Réutilisation des eaux usées traitées : le contenu du dossier de demande connu… mais pas celui de l’arrêté préfectoral d’autorisation

Un arrêté du 28 juillet précise les pièces attendues dans le dossier de demande d’autorisation d’utilisation des eaux usées traitées prévu par le décret du 10 mars dernier. Il ne mentionne en revanche pas le contenu de l’arrêté préfectoral d’autorisation, laissant ainsi planer le doute sur l’opérationnalité du dispositif. De son côté, la Commission européenne vient de publier les lignes directrices visant à soutenir l’application du règlement visant à favoriser la réutilisation de ces eaux pour l’irrigation agricole.

L’arrêté précisant les pièces justificatives attendues dans le dossier de demande de délivrance d’une autorisation d’utilisation des eaux usées traitées vient enfin d’être publié le 4 août dernier. Pris pour application du décret du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées (voir notre article du même jour), les deux textes devaient initialement être publiés en même temps. Dans sa note de présentation soumettant les deux textes à consultation à l’automne dernier (voir notre article du 28 septembre 2021), le ministère de la Transition écologique indiquait que cette "publication concomitante permettra de disposer d’un cadre d’expérimentation de réutilisation des eaux opérationnel dès l’entrée en vigueur des textes". Il n’en a donc rien été.

Dispositif opérationnel… ou pas ?

Plus encore, alors que le projet d’arrêté soumis à consultation précisait à la fois le contenu du dossier de demande et celui de l’arrêté préfectoral d’autorisation, cette dernière partie a disparu du texte publié. Contacté par Localtis, le ministère de la Transition écologique nous a indiqué qu’un autre arrêté viendrait préciser le contenu de cette autorisation ultérieurement et que le dispositif n’était, de ce fait, pas encore opérationnel. Pour autant, le décret du 10 mars précisant le contenu de cet arrêté préfectoral en son article 5 de manière relativement détaillée, rien ne s’oppose en théorie à l’entrée en vigueur immédiate du dispositif.

Dossier volumineux

Le décret du 10 mars avait été décrié pour ses "lourdeurs administratives". Au vu du nombre d’éléments qu’il requiert, l’arrêté risque fort de souffrir du même accueil. À gros traits, il reprend à la fois les pièces demandées au titre de l’arrêté du 2 août 2010 modifié qui encadre la réutilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage des espaces verts et des cultures et des informations souhaitées par l’Anses (voir sa note du 6 octobre 2020). Il devra notamment comprendre :

- le projet de convention entre les parties, lorsque le producteur des eaux usées traitées du projet et le ou les utilisateurs sont distincts ;

- la description quantitative et qualitative du milieu qui recevait antérieurement les eaux usées traitées et de la ressource précédemment utilisée pour les usages du projet ;

- la description détaillée du projet, comprenant à la fois : un schéma conceptuel présentant l’origine des eaux usées, l’installation de traitement, le point de conformité, les modalités de transport et de stockage, les usages et installations permettant leur utilisation ; les informations relatives aux eaux usées et la description de l’installation de traitement, à l’utilisation de ces eaux et la description des installations associées ;

- l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux ainsi que les mesures préventives et correctives prévues ;

- la description détaillée des modalités de contrôle, de surveillance, d’entretien et d’exploitation des installations de traitement des eaux usées et des installations dans lesquelles elles sont utilisées ;

- les informations sur les conditions économiques de réalisation du projet ;

- le carnet sanitaire permettant le suivi et la surveillance continue des installations, dont le contenu est détaillé et qui devra par ailleurs être transmis au moins annuellement au préfet.

Pour chacun de ces éléments, l’arrêté précise les nombreuses informations et pièces devant être fournies, sans exhaustivité (il y a quatre "notamment" dans le texte…).

Le tout devra être adressé au préfet en un exemplaire électronique et – preuve que l’administration dématérialisée reste encore un vœu pieu – un exemplaire papier. Les optimistes objecteront que la précédente version de l’arrêté en exigeait quatre. Les pessimistes relèveront que le texte dispose explicitement que "le préfet a la possibilité de demander des exemplaires papiers supplémentaires", sans indiquer de nombre plafond.

Pour mémoire, le décret dispose que ce dossier sera transmis pour avis au conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) et, le cas échéant, à la commission locale de l’eau, ainsi qu’à l’agence régionale de santé, cette fois pour avis conforme.

Réticences

D’aucuns soulignent que ces lourdeurs risquent fort de contrarier l’atteinte de l’objectif, fixé par le précédent gouvernement lors des Assises de l’eau de 2019 (voir notre article du 1er juillet 2019), d’un triplement de l’usage d’eaux non conventionnelles (au sein desquelles émargent les eaux usées traitées) d’ici 2025. Et qu’elles ne semblent à tout le moins pas en phase avec la volonté de mieux "valoriser" ces eaux, réaffirmée à l’issue du récent Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique (voir notre article du 2 février 2022).

Elles s’expliquent sans doute par les réticences encore vives à la réutilisation de ces eaux, comme en témoigne l’avis du 22 avril dernier du Haut Conseil de la santé publique (HSCP) relatif aux impacts sanitaires des politiques de substitution des eaux destinées à la consommation humaine dans les usages domestiques par des eaux "non conventionnelles" (qui ne prend pas en compte le décret du 11 mars 2022). Le HSCP n’y émet par exemple qu’un "oui sous réserve" à l’utilisation des eaux usées traitées pour l’arrosage de cultures vivrières, pourtant encouragée par le règlement (UE) 2020/741 du Parlement européen et du Conseil relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau (qui vise uniquement l’irrigation agricole).

Des "lignes directrices" pour la réutilisation à des fins d’irrigation agricole

Applicable à compter du 26 juin 2023, ce règlement vient, lui, d’être précisé par des "lignes directrices" de la Commission européenne visant à "soutenir son application", publiées le 5 août dernier.

Preuve que les réticences ne sont pas propres à la France, rappelons que ce règlement prévoit que les États membres peuvent décider qu’il n’est pas approprié de réutiliser des eaux usées traitées à des fins d’irrigation agricole sur tout ou partie(s) de leur territoire. La Commission rappelle toutefois qu’une telle éventuelle interdiction doit être justifiée, notamment dans le contexte de la gestion intégrée de l’eau, et lui être soumise. Elle prend encore soin de rappeler que "la situation par défaut (en l’absence de décision nationale contraire) est que la réutilisation de l’eau est autorisée moyennant un permis octroyé au titre du règlement".

Alors que la Commission européenne doit présenter ce semestre sa proposition de révision de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, et que la sécheresse estivale apporte de l’eau au moulin de la réutilisation, nul doute que le débat n’est, lui, pas près de se tarir.

 
Référence : arrêté du 28 juillet 2022 relatif au dossier de demande d'autorisation d'utilisation des eaux usées traitées, J.O. du 4 août 2022, texte n°32.
 

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