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Sécurité routière : la Cour des comptes appelle à une stratégie plus globale incluant les collectivités locales

Alors que l'efficacité des politiques de sécurité routière en France a atteint depuis 2013 "un plateau", la Cour des comptes plaide, dans un rapport publié ce 1er juillet, pour une approche moins centrée sur les "comportements" des usagers et plus "globale", en se concentrant davantage sur les infrastructures routières, la pédagogie et l'inclusion des collectivités locales.

La mortalité routière, grande cause nationale depuis 1999, a drastiquement chuté en un demi-siècle sur les routes de France, passant de 18.000 morts en 1972 à moins de 3.500 en 2018 et en 2019. La baisse s'est particulièrement accélérée entre 2008 et 2013, avec un nombre de morts par million d'habitants passé de 69,4 à 52,2. Mais, depuis, cet indicateur-clé stagne et la position de la France dans le classement européen a dégringolé en dix ans du 7e au 14e rang, alerte la Cour des Comptes dans un rapport publié ce 1er juillet. Avec une moyenne européenne en baisse de 7 points sur la période – elle s'établit à 51,5 en 2019 -, les pays européens dont les résultats étaient les plus proches de la France en 2008 l’ont dépassée (Espagne et Luxembourg), et d’autres comme l’Italie et la Belgique ont davantage progressé qu’elle en dix ans.
La Cour estime aussi que les objectifs de la politique de sécurité routière restent trop focalisés sur le nombre de tués et devraient évoluer pour rendre compte de deux séries d’évolutions : le nombre des blessés graves qui s’accroît, phénomène pris en compte aujourd’hui par la majorité des pays européens et le nombre des victimes parmi les populations vulnérables, dont le volume augmente en raison de la mutation des mobilités (piétons et cyclistes) et de l’évolution de la démographie (personnes âgées). "L’accent un peu hésitant mis sur ces catégories par la politique de sécurité routière devrait être plus constant et plus résolu", souligne la Cour.

Priorité accordée aux contrôles automatisés

Elle cible une doctrine française centrée "par défaut" sur les comportements des usagers, notamment sur la question de la vitesse, avec l'introduction en 2003 de mesures emblématiques comme les contrôles radar ou l'abaissement de la vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes secondaires sans séparateur central en 2018. Pour la Cour, la priorité accordée aux contrôles automatisés doit s’accompagner d’une clarification du volume, des modalités et des objectifs de ces outils et d’une concertation accrue sur leur implantation avec les collectivités territoriales. La Cour s'alarme également d'une baisse estimée à 40% de la présence des forces de l'ordre sur le bord de la route. Cette tendance, expliquée par l'automatisation des contrôles de vitesse et une redéfinition des priorités sécuritaires (terrorisme, crise sanitaire), ne permet pas, selon elle, d'amélioration sur les risques liés à l'alcool, aux stupéfiants et autres facteurs de conduite dangereuse.

Mieux intégrer la différenciation territoriale 

La Cour estime aussi que la politique de sécurité routière doit "mieux intégrer la différenciation, qui s’accentue, entre les zones urbanisées où la problématique de la sécurité routière se métamorphose à la faveur de l’évolution des mobilités, et les zones rurales et périurbaines, où se perpétue le modèle classique de la ' sécurité routière' sur routes et autoroutes hors environnement urbain". "A la faveur de cette évolution, les métropoles inventent aujourd’hui des approches innovantes, qui gagneraient à être mieux prises en compte par la politique nationale de sécurité routière", souligne-t-elle. Plus généralement, ajoute-t-elle, "les enjeux liés aux politiques de mobilité et de transition écologique, qui convergent aujourd’hui, laissent trop souvent à l’écart la politique de sécurité routière, qui devrait être davantage mise en cohérence avec ces politiques".

Enjeu d'adhésion des citoyens

Quant à la question de l’adhésion des citoyens à la politique de sécurité routière, "le manque de lisibilité de la doctrine d’emploi du contrôle sanction automatisé alimente dans l’opinion publique des critiques, souvent injustifiées, mais auxquelles ne sont pas toujours apportées des réponses adaptées", constate la Cour qui considère que "les mesures emblématiques sur lesquelles se polarise le débat gagneraient à être mieux rattachées à une stratégie d’ensemble de moyen terme qui se prêterait davantage à la réalisation d’un consensus". A ce sujet, la gouvernance de la politique de sécurité routière "pourrait être sensiblement améliorée, en particulier dans sa dimension interministérielle, aujourd’hui insuffisante alors que la délégation à la sécurité routière est une direction du ministère de l’Intérieur", note-t-elle. "Les territoires sont associés, dans une certaine mesure, à la mise en œuvre de la politique, mais guère à sa conception", relève-t-elle encore. Quant à la consultation des acteurs privés, industriels et parties prenantes, elle pourrait elle aussi "être améliorée". Alors que la politique de sécurité routière suscite des réticences fortes, elle juge aussi nécessaire de mobiliser davantage "les outils de communication, d’association ou d’engagement susceptibles de renforcer l’adhésion du public".

Aller vers des "stratégies plus globales"

Mais au-delà de l'évolution du modèle actuel, la Cour appelle la France à "franchir une nouvelle étape" pour imiter ses voisins européens en adoptant des "stratégies plus globales", qui "appréhendent la sécurité routière de manière systémique et cherchent à agir simultanément sur les comportements, les véhicules et l’infrastructure, selon une démarche partageant la conception et la mise en œuvre des politiques avec le plus grand nombre possible d’acteurs." Le "système sûr", promu par le Forum international des transports (FIT) et qui a pour origine les démarches mises en œuvre en Suède et aux Pays-Bas dans les années 90, représente selon elle l’approche globale la plus aboutie – elle intègre l’ensemble des dimensions de la politique à conduire (définition d’objectifs à long terme et d’étapes intermédiaires, indicateurs d’évaluation). "Le 'système sûr' vise à ce que, dans le triptyque 'comportement, véhicule, infrastructure', la défaillance d’un élément puisse être atténuée par les deux autres, explique la Cour. Anticiper la défaillance possible du conducteur ne reflète pas une plus grande tolérance à l’égard des comportements déviants, mais impose d’aménager les infrastructures de façon à minimiser les conséquences matérielles et corporelles des accidents". 
Selon la Cour, qu’ils décalquent le modèle du "système sûr" ou qu’ils l’adaptent aux caractéristiques locales, la plupart des pays qui, en Europe, obtiennent les meilleurs résultats dans le domaine de la sécurité routière s’appuient sur des plans de long terme - décennaux en général - qui comprennent des évaluations approfondies à mi-parcours. "Ces plans sont multidimensionnels et portés par une pluralité de forces politiques, économiques et sociales. Une telle conception de l’action publique pourrait utilement servir de référence pour la politique française de sécurité routière", estime-t-elle.

Prendre appui sur les initiatives de terrain

L’approche française gagnerait par ailleurs à s’appuyer davantage sur les initiatives et les réussites de terrain, poursuit-elle. "Responsable de la politique de sécurité routière, l’État doit faire prévaloir des règles nationales qui encadrent les comportements des usagers de la route, garantissent la qualité des infrastructures mises à leur disposition et rendent les véhicules plus sûrs, souligne-t-elle. Pour autant, l’identification, la mise en valeur et la diffusion des pratiques locales efficaces d’un territoire à l’autre sont des leviers d’action puissants, qui pourraient être davantage mobilisés".
Pour cela, l'articulation entre plans nationaux et départementaux, "aujourd’hui limitée, devrait être renforcée". Après avoir comparé trois paires de départements aux résultats contrastés en matière de sécurité routière, en dépit de caractéristiques sociogéographiques très proches - Yonne et Charente, Eure et Ardennes, Gironde et Bouches-du-Rhône, elle retire "cinq  facteurs-clés de succès"  : "l’existence de politiques locales explicites et claires" ; "la qualité des échanges et de la coopération entre le réseau associatif, la préfecture et le conseil départemental" ; "la continuité des actions de prévention menées par les acteurs locaux"  ; "l’engagement de l’éducation nationale" ; "la disponibilité et le partage d’une information de qualité sur l’accidentalité du département". Ces conclusions rejoignent selon elle celles tirées de l’observation des meilleures pratiques étrangères, qui font ressortir "un rôle décisif de la qualité des échanges entre acteurs et du consensus atteint autour des grands choix de la politique de sécurité routière". Le pilotage d’ensemble de la politique de sécurité routière doit également donner toute sa place à l’expérimentation et à l’évaluation. Pour y parvenir plus aisément, elle juge nécessaire de "perfectionner" les outils de mesure et de qualification de l’accidentalité.

Pour une meilleure connaissance des coûts

La connaissance des coûts engagés à l’appui de la politique de sécurité routière peut également être "sensiblement améliorée", estime-t-elle. Elle recommande de supprimer le compte d’affectation spéciale (CAS) "contrôle de la circulation et du stationnement routier". "Conçu au départ pour donner au public l’assurance que le produit des amendes issues du contrôle automatisé serait affecté à la politique de sécurité routière, [il] a atteint un degré de complexité qui l’empêche d’atteindre cet objectif", pointe-t-elle. Elle propose, à la place du CAS, de rendre plus exhaustif et lisible le document de politique transversale (DPT) "sécurité routière" afin d’améliorer la connaissance des coûts de la politique, "en tout état de cause très supérieurs au produit des amendes figurant dans le CAS", et de rendre ainsi mieux compte au public du contenu et des moyens de la politique. En 2019, l'ensemble des dépenses de l'Etat pour les politiques de sécurité routière s'est ainsi élevé à 3,7 milliards d'euros. En proportion, et loin de l'idée qu'elle représenterait une "manne" pour les finances publiques, l'ensemble des recettes liées à la perception des amendes a atteint cette année-là un peu plus de un milliard d'euros.

Adapter la gouvernance

Pour réorienter la politique française vers une "approche plus cohérente et mieux partagée", la Cour juge "indispensable" d’adapter sa gouvernance, "en accroissant sa dimension interministérielle et en faisant en sorte, en particulier, que le ministère des Transports y joue un rôle accru, aux côtés du ministère chargé de l’Intérieur". Une implication formalisée du Parlement, des collectivités territoriales et de leurs organisations fédératives est également jugée "souhaitable, afin de renforcer le consensus autour de la politique de sécurité routière". Pour cela, elle recommande de créer, au sein du conseil national de la sécurité routière (CNSR) une commission État-territoires, associant les ministres compétents et les associations représentatives des régions, des départements et du bloc communal, et de lui soumettre pour avis les orientations de la politique de sécurité routière. Dans les départements, elle propose de remplacer la commission consultative des usagers de la route et la commission départementale de la sécurité routière par un conseil territorial de la sécurité routière (CTSR) exerçant des compétences consultatives plus larges et associant l’ensemble des parties prenantes de cette politique, à l’instar du Conseil national de la sécurité routière.
Enfin, elle plaide pour "une stratégie pluriannuelle clarifiée à la périodicité fixe, comportant un nombre fortement réduit de mesures, associée à des objectifs à la réalisation mesurable". Cette stratégie pourrait être soumise à l’approbation du Parlement et sa durée alignée sur la programmation départementale quinquennale aujourd’hui en vigueur.