Service public de la petite enfance : l’AMF fixe ses conditions

L’Association des maires de France est favorable à la création d’un service public de la petite enfance, mais sous certaines conditions. Une compétence obligatoire confiée au bloc communal doit s’assortir d’une "compensation intégrale" des dépenses induites selon des modalités décidées avec les collectivités concernées. Et la pénurie de professionnels doit être traitée prioritairement et inclure un travail sur les formations avec les régions. Rappelant l’engagement déjà fort des communes et intercommunalités en matière d’enfance et de soutien à la parentalité, l’AMF, désormais intégrée à la rédaction de la future convention d’objectifs et de gestion ainsi qu'aux comités départementaux des services aux familles, entend peser sur les arbitrages à venir.

Les sujets de la petite enfance et du soutien à la parentalité ont été plébiscités par les candidats à l’élection présidentielle, et les co-présidents du groupe de travail "petite enfance et parentalité" de l’Association des maires de France (AMF) en sont "très heureux". "Nous les élus locaux nous emparons très largement de cette politique d’accueil du jeune enfant", alors que cette compétence n’est pas obligatoire, a rappelé Clotilde Robin, première adjointe au maire de Roanne (Loire), ce 7 juin en visioconférence devant la presse. "Les collectivités sont gestionnaires de près de 70% des établissements d’accueil du jeune enfant [EAJE] implantés sur le territoire" et subventionnent en outre des associations et entreprises gestionnaires d’autres établissements, ajoute Xavier Madelaine, maire d’Amfreville (Calvados).

Si l’AMF s’oppose à la mise en place, jugée impossible, d’un "droit opposable" à un mode de garde, elle a "validé" l’avis du Cese (voir notre article du 31 mars 2022) pour lequel elle avait été auditionnée. "Nous nous sommes positionnés en faveur d’un service public petite enfance confié éventuellement au bloc communal mais qui ne pourrait se faire que sous certaines conditions", déclare Clotilde Robin. Première de ces conditions non-négociables : la "compensation intégrale de l’ensemble des dépenses" induites par le nouveau système qui créerait de fait une compétence obligatoire. Et l’AMF souhaite que les modalités de cette compensation soient "coconstruites" avec les élus locaux.

Une pénurie grave de professionnels

Enjeu tout aussi important mis en avant par la co-présidente du groupe de travail petite enfance : la nécessité de "travailler sur la résorption des difficultés de recrutement dans un contexte de pénurie grave de professionnels". Cette pénurie qui, "jusqu’à il y a 18 mois-deux ans, touchait plutôt Paris et la région parisienne", concerne désormais d’autres territoires et représentent le "premier frein à la création de nouvelles places", voire un obstacle au fonctionnement normal des établissements dans leur format actuel, décrit Clotilde Robin. Ces difficultés de recrutement ne sont pas récentes et l’élue les explique par des salaires peu attractifs, des "engagements professionnels lourds", l’"essoufflement" lié aux difficultés propres à certains territoires. "On paye aussi la crise Covid, avec des professionnels qui se sont fortement mobilisés", ajoute-t-elle.   

Après avoir interpelé la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’AMF s’adressera prochainement par courrier aux présidents de régions pour leur demander de se pencher sur la formation des professionnels de la petite enfance. Et pour financer ces formations utiles à leurs besoins, "les collectivités ont leur rôle à jouer", précise Xavier Madelaine. 

L’AMF se félicite d’avoir obtenu pour la première fois la possibilité d’être associée à la rédaction de la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) et entend bien peser, dans ce cadre, sur la définition des objectifs de création de places. Les co-présidents du groupe "petite enfance" demandent "une remise à place du modèle de financement des EAJE", en particulier pour que la prestation de service unique (PSU) ne soit pas "en défaveur des structures qui proposent des horaires atypiques". Il importe aussi pour l’AMF de "retravailler les bonus" territoire, mixité – pour un calcul de ce dernier à l’échelle du bassin de vie – et handicap. En matière de financement, "nous avons des leviers pour le fonctionnement mais nous rencontrons de grosses difficultés pour le fonctionnement", résume Clotilde Robin.

Aller vers une offre "collant au plus près aux besoins des territoires"

Dans le cadre d’un éventuel service public de la petite enfance, les élus locaux souhaitent conserver de la "souplesse", la possibilité de proposer une offre d’accueil "bien sûr harmonisée mais collant au plus près aux besoins des territoires", selon Clotilde Robin. Sans s’y opposer sur le fond, certains élus "sont un peu sceptiques sur ce service public" et craignent "une rigidité dans les textes" qui pourrait "diminuer le service offert actuellement dans leur territoire", signale Xavier Madelaine. "A contrario nous avons des territoires qui sont dépourvus de services d’accueil diversifiés aux familles et c’est un véritable problème", complète-t-il, insistant sur la nécessité de partir de la réalité des territoires. L’AMF appelle également à préserver la diversité des initiatives de soutien à la parentalité portées localement.

Dans son discours du 6 janvier 2022 en ouverture du congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, le président de la République estimait qu’il était nécessaire d’ouvrir progressivement "200.000 nouvelles places d’accueil collectives ou individuelles" pour répondre aux besoins. Atteindre un tel objectif passe, selon le chef de l’État, par la mise en œuvre d’un système "plus simple, plus responsabilisant" pour la puissance publique, matérialisé par le pilotage d’un "chef de file unique (…) au plus près du terrain".

Or, le plan Rebond fixait pour le précédent quinquennat un objectif nettement plus modeste : la création nette de 30.000 places en EAJE. "Nous déplorons le fait qu’il n’ait pas pu être réalisé dans sa totalité", pointe Clotilde Robin – environ 11.500 places de crèches avaient été créées en 2021 (voir notre article du 24 mars 2022). En cause pour l’adjointe au maire de Roanne : la tension sur le foncier disponible dans les grandes villes, les budgets de fonctionnement contraints et, surtout, le manque de professionnels.

Le bloc communal désormais associé au pilotage du comité départemental des services aux familles

Par ailleurs, les élus doivent intégrer une baisse du nombre d’assistantes maternelles qui devrait se poursuivre dans les années à venir avec l’accélération des départs à la retraite. "C’est un vrai sujet car dans certains territoires, plutôt ruraux, c’est le seul mode d’accueil", s’inquiète Xavier Madelaine. Communes et intercommunalités interviennent quand ils le peuvent pour accompagner les assistantes maternelles, en finançant en particulier les travaux nécessaires à l’ouverture de maisons d’assistantes maternelles (MAM). 

L’élu normand entend aborder ces sujets avec le département et les autres partenaires de l’accueil du jeune enfant dans le cadre du comité départemental des services aux familles, puisque le bloc communal y est désormais associé via une vice-présidence désignée par l’AMF, aux côtés de deux vice-présidents département et région, et d’une présidence préfet. L’AMF suggère qu’un bilan trimestriel – au lieu d’un bilan annuel comme l’impose la loi – soit réalisé pour amplifier la dynamique autour de la mise en œuvre du schéma départemental des services aux familles. L’enjeu est pour Xavier Madelaine d’"associer et de convaincre l’ensemble des élus du territoire du bien-fondé de mener une véritable politique de services aux familles".