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Urbanisme - Simplification du droit : la proposition de loi Warsmann réforme le droit de préemption

L'article 83 du chapitre III de la proposition de loi Warsmann de simplification et d'amélioration du droit, adoptée le 2 décembre en première lecture par l'Assemblée nationale (voir nos articles ci-contre) propose une importante réforme du droit de préemption et modifie ainsi le Code de l'urbanisme (CU). Cette réforme vise principalement à limiter l'insécurité juridique pour les communes en simplifiant la rédaction des articles du code, en supprimant par exemple des renvois qui en rendaient la lecture difficile, et à préciser les garanties offertes aux particuliers. Le principal apport de cette réforme est la création de deux droits de préemption : un droit de préemption urbain, applicable aux zones urbaines ou à urbaniser en dehors de tout projet d'aménagement de la collectivité aux prix et conditions de la déclaration d'intention d'aliéner, et un droit de préemption applicable dans des périmètres prédéfinis par les collectivités ou l'Etat pour des projets d'aménagement ou pour la protection d'un secteur en particulier.

 

L'article 83 A, assez bref, vise à modifier l'article L.210-1 CU, qui fait référence aux objectifs de l'article L.300-1 du même code qui permettent de justifier l'exercice du droit de préemption, en reprenant explicitement ces objectifs (mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, favoriser le développement des loisirs et du tourisme, réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, lutter contre l'insalubrité, permettre le renouvellement urbain, sauvegarder ou mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti, constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement). La suppression du renvoi facilite ainsi la lecture de cet alinéa.

Les alinéas deux et trois de l'article L.210-1 CU, concernant le pouvoir de substitution du préfet lorsque l'objectif de création de logements locatifs sociaux n'a pas été atteint et l'obligation de motivation de la décision de préemption, sont supprimés. Leur contenu est repris dans deux nouveaux articles, L.211-4 et L.213-7. Enfin, l'article 83 A crée un article L.210-3, qui renvoie à un décret en Conseil d'Etat pour l'application du droit de préemption.

 

Institution des droits de préemption

L'article 83 B énumère les nouveaux articles L.211-1 à 10, L.212-1 à 5 et L.213-1 à 30 du Code de l'urbanisme, contenus dans trois nouveaux chapitres. Le chapitre I intitulé "Institution des droits de préemption" concerne les articles L.211-1 à 10. Il est subdivisé en trois sections.

La section 1 précise quels sont les droits de préemption institués par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les communes. Selon l'article L.211-1, le champ du droit de préemption urbain est réduit aux zones urbaines ou à urbaniser, quel que soit le type de document d'urbanisme applicable (PLU, POS, carte communale ou plan de sauvegarde et de mise en valeur). La personne publique compétente pour l'instituer est celle compétente en matière de PLU. L'article L.211-2 crée un nouveau droit de préemption. Il permet aux communes et EPCI, par décision motivée, d'instaurer un droit de préemption au sein de "périmètres de projet d'aménagement" qui remplacent les zones d'aménagement différé (ZAD) créées par l'Etat sur demande de la commune ou de l'EPCI. La durée, renouvelable, de ces périmètres est de six ans contre quatorze pour les ZAD. Cette durée a été retenue suite à un amendement gouvernemental afin de se conformer aux propositions du Conseil d'Etat et aux obligations résultant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, un nouveau droit de préemption est également créé par l'article L.211-3. Il permet aux communes et EPCI, par décision motivée, d'instaurer un droit de préemption au sein de "périmètres de protection" qui concernent les zones non-urbaines actuellement couvertes par le droit de préemption urbain, à savoir : les périmètres de protection rapprochée de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, les périmètres définis par un plan de prévention des risques technologiques, les zones de rétention temporaire des eaux de crues ou de ruissellement, les zones de mobilité d'un cours d'eau et les zones stratégiques pour la gestion de l'eau. Enfin, il est à noter que l'article L.211-4 reprend intégralement les dispositions du deuxième alinéa de l'article L.210-1 évoqué ci-avant et concernant le pouvoir de substitution du préfet à la commune en vue de la construction ou de l'acquisition de logements sociaux, après déclaration de carence de la commune.

La section 2 précise que l'Etat peut instituer tout comme les communes, pour six ans renouvelables, un droit de préemption dans des "périmètres de projet d'aménagement" qui remplacent les ZAD et auxquelles la procédure de création prévue aux articles L.211-5 et 6 s'apparente. Cependant, l'absence d'avis émis par l'EPCI ou la commune concernés vaut avis favorable au bout de trois mois, alors qu'actuellement, en l'absence d'avis au bout de deux mois, la ZAD doit être créée par décret en Conseil d'Etat. L'Etat peut en outre, selon l'article L.211-7, créer un périmètre provisoire sur le modèle de celui des ZAD, valable pour une durée de deux ans à l'expiration de laquelle l'arrêté l'instituant devient caduc. La durée de six ans du périmètre de projet d'aménagement part à compter de cet arrêté. Par ailleurs, l'article L.211-7 précise que, en dehors du périmètre définitif ou en cas de caducité de l'arrêté instituant le périmètre, les biens acquis sont rétrocédés à leur ancien propriétaire. Ceux situés dans le périmètre définitif et non-utilisés pour un des objectifs énumérés à l'article L.210-1 sont cédés au titulaire du droit de préemption.

La section 3 réunit les dispositions communes aux différents droits de préemption. L'article L.211-8 organise l'articulation entre différents droits. Ainsi, lorsqu'il existe un droit de préemption de l'Etat, celui-ci prime sur ceux institués au profit des communes et EPCI. De la même manière, le droit de préemption institué dans un périmètre de projet d'aménagement prime sur le droit de préemption urbain. L'article L.211-9 prévoit les conditions d'exercice du droit de délaissement pour les propriétaires de biens situés dans un périmètre défini (de projet d'aménagement ou de protection) hors droit de préemption urbain. Il précise par ailleurs, suite à un amendement proposé par Lionel Tardy lors des débats en commission, que les honoraires de négociation ne sont pas dûs dans ce cas aux agences immobilières par le titulaire du droit de préemption. Le troisième et dernier article de cette section, l'article L.211-10, précise l'obligation de motiver le renouvellement de la durée d'un périmètre de projet d'aménagement ou de protection.

 

Les biens soumis à préemption

Les articles L.212-1 à 5 composent le chapitre II, assez bref, qui expose le type de biens soumis à préemption. Le champ des biens soumis au droit de préemption urbain est étendu et la notion de droit de préemption urbain renforcé disparaît. Les biens pouvant faire l'objet d'une préemption sont quasiment inchangés. Ainsi, l'article L.212-1 reprend les trois catégories de cessions de biens soumises au droit de préemption, tandis que les articles L.212-2 et 3 énumèrent les biens qui en sont exclus. Mais une nouvelle exception est prévue au 7° de l'article L.212-2 : les immeubles et droits immobiliers cédés par l'Etat ou un de ses établissements publics à un établissement public de développement territorial. L'article L.212-4 reprend les dispositions du dernier alinéa de l'article L.213-8 actuellement en vigueur qui prévoit qu'en cas d'annulation par la juridiction administrative d'une décision de préemption, la personne publique ne peut plus exercer ce droit à l'égard de ce bien pendant une durée d'un an à compter de la date à laquelle la décision juridictionnelle est devenue définitive. Il convient enfin de souligner que la logique actuelle consistant à exclure du droit de préemption certains biens, sauf à les soumettre au droit de préemption renforcé, est inversée. En effet, l'article L.212-5 prévoit que peuvent faire l'objet d'une préemption, sauf si la personne publique les exclut, l'aliénation des immeubles bâtis, pendant une période de dix ans à compter de leur achèvement, l'aliénation de parts ou actions de sociétés coopératives de construction ou de sociétés constituées en vue de l'attribution d'immeubles aux associés par fractions divises qui donnent vocation à l'attribution d'un local d'habitation ou d'un local professionnel, l'aliénation de lots dans un bâtiment soumis au régime de la copropriété, l'aliénation de lots à la suite du partage d'une société d'attribution ou dans un délai de dix ans à la date de publication du règlement de copropriété.

 

La procédure de préemption

Le troisième et dernier chapitre de l'article 83 B détaille la procédure d'exercice du droit de préemption commune au droit de préemption urbain, aux périmètres de protection et aux périmètres de projet d'aménagement.

La section 1 concerne les modalités d'exercice du droit de préemption. L'obligation de transmettre une déclaration d'intention d'aliéner est reprise mais l'article L.213-1 précise qu'elle doit être systématiquement faite en mairie, y compris lorsque le bien est situé dans un périmètre de protection ou de projet d'aménagement selon l'article L.213-2. Cependant cette obligation tombe lorsque le bien est situé partiellement dans une zone soumise au droit de préemption urbain. Aux termes de l'article L.213-3, l'action en nullité d'une aliénation engagée par le titulaire du droit de préemption se prescrit toujours par cinq ans à compter de la publication de l'acte portant transfert de propriété. La déclaration d'intention d'aliéner devra en plus de son contenu actuel comporter, selon l'article L.213-4 : les éléments permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée ou, en cas d'adjudication, l'estimation du bien ou sa mise à prix, le cas échéant, les fermiers, locataires, titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et les personnes bénéficiaires de servitudes et, lorsque la contrepartie de l'aliénation fait l'objet d'un paiement en nature, le prix d'estimation de cette contrepartie. L'article L.213-5 précise qu'en cas de location-accession, la déclaration d'intention d'aliéner doit désormais précéder la signature du contrat. En outre, l'article L.213-6 dispose que le titulaire du droit de préemption transmet une copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux uniquement s'il envisage d'acquérir le bien. Reprenant le troisième alinéa de l'article L.210-1, l'article L.213-7 précise que la décision de préemption mentionne la nature du projet justifiant son exercice. Elle fait par ailleurs l'objet d'une publication et est notifiée au vendeur mais également, le cas échéant, à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ainsi qu'aux fermiers, locataires, titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage et aux personnes bénéficiaires de servitudes mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner vaut toujours renonciation à l'exercice du droit de préemption selon l'article L.213-8. Dans ce cas, en application de l'article L.213-10, le propriétaire peut vendre son bien au prix indiqué dans la déclaration d'intention d'aliéner. Ce prix peut être révisé pour tenir compte de l'évolution de l'indice du coût de la construction entre la date de la déclaration et la date de la vente. L'article L.213-9. prévoit, sans changement par rapport au droit en vigueur, qu'en cas de déclaration d'utilité publique, l'exercice du droit de préemption produit les mêmes effets que l'accord amiable en matière d'expropriation en ce qui concerne l'extinction des droits réels et personnels si le titulaire du droit de préemption est également le bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique. De la même façon, le titulaire du droit de préemption peut toujours déléguer ce droit à l'Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement, selon l'article L.213-11. Cependant, la possibilité de "déléguer" est remplacée par celle de "transférer", ce qui induit notamment le fait que les biens préemptés par le bénéficiaire du transfert entrent directement dans son patrimoine.

 

Prix, transfert de propriété et utilisation du bien préempté

La section 2 de ce chapitre est composée d'un article unique, L.213-12, qui pose comme principe novateur l'obligation dans le cadre du droit de préemption urbain de préempter aux prix et conditions de la déclaration d'intention d'aliéner (ou de la dernière enchère ou surenchère en cas d'adjudication).

La section 3 concerne les dispositions spécifiques au droit de préemption dans les périmètres de projet d'aménagement ou de protection, et plus précisément leurs modalités d'application qui ne dérogent pas au droit en vigueur, à quelques exceptions près. En effet, l'article L.213-13 règle les éventuels conflits entre le droit de préemption de la commune et celui de l'Etat, les articles L.213-14, L.213-15 et L.213-18 détaillent les modalités de fixation du prix d'acquisition, toujours par accord amiable ou, à défaut, par le juge de l'expropriation, si ce n'est quant à la valeur du bien qui est estimée à la date de l'acte ayant délimité ou renouvelé le périmètre de préemption.

La section 4 traite du paiement du prix et du transfert de propriété qui sont désormais liés. Le changement notable en la matière tient à l'article L.213-19 qui indique que le transfert de propriété intervient à la date à laquelle sont intervenus le paiement et l'acte authentique. A défaut de paiement dans les six mois suivant la décision de préemption ou la date du jugement définitif selon l'article L.213-20, le transfert de propriété n'a pas lieu. C'est pourquoi l'obligation de consigner 15% du prix n'a plus lieu d'être.

L'avant-dernière et cinquième section est relative à l'utilisation des biens préemptés et n'entraîne pas de bouleversement des règles en vigueur. L'article L.213-22 consacre la jurisprudence actuelle qui considère qu'un bien préempté peut être utilisé à d'autres fins que celle mentionnée dans la décision de préemption, si la nouvelle finalité correspond aux objectifs de l'article L.210-1. Par ailleurs, l'article L.213-25 nouveau modifie les règles applicables en cas de vente d'un bien préempté à une personne privée autre que le concessionnaire d'une opération d'aménagement ou qu'une société d'habitations à loyer modéré, puisque l'acte de vente ou le bail devront comprendre des stipulations assurant que l'usage du bien relève des objectifs de l'article L.210-1.

 

Annulation de la décision de préemption

La dernière section intitulée "Dispositions diverses" est consacrée aux conséquences de l'annulation de la décision de préemption. L'article L.213-29 prévoit que dans ce cas, le titulaire du droit de préemption doit proposer la rétrocession du bien à l'ancien propriétaire, sans que le prix demandé à ce dernier ne puisse être plus élevé que le prix acquitté par le titulaire du droit de préemption pour acquérir le bien, mais pour un prix pouvant être fixé à un niveau inférieur pour compenser le préjudice subi. Le juge de l'expropriation serait saisi en cas de désaccord sur le prix par l'ancien propriétaire et prendrait en compte le préjudice direct et matériel causé par la décision de préemption. L'ancien propriétaire ou ses ayants droit sont réputés avoir renoncé à la rétrocession à défaut de réponse dans un délai de trois mois à compter de la notification de la proposition. Enfin, l'article L.213-30 mentionne la possibilité pour les propriétaires qui ne souhaitent pas la rétrocession de leur bien de saisir le juge judiciaire d'une action en dommages-intérêts, prescrite pour cinq ans à compter de la mention de l'affectation ou de l'aliénation du bien au registre en cas de rétrocession pour non-utilisation du bien ou de la décision juridictionnelle définitive en cas d'annulation ou déclaration d'illégalité de la décision de préemption.


Fanny Morisseau, avocat à la Cour / Cabinet de Castelnau

 

Références : proposition de loi relative à la simplification et à l'amélioration de la qualité du droit adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 2 décembre 2009.