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Société de confiance : le projet de loi adopté en commission spéciale à l'Assemblée

La commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance a adopté le texte dans la nuit du 17 janvier, après six réunions. Ce texte particulièrement dense a fait l'objet de 95 amendements sur le fond. Avant l'examen en séance à partir du 23 janvier, gros plan sur les principales modifications pouvant intéresser les collectivités dans de multiples domaines.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance est entrée dans le vif du sujet en adoptant ce texte touffu, à l’issue de six réunions, dans la nuit du 17 janvier. A ce stade, 161 amendements, dont 95 portant sur le fond, sont venus compléter ce véhicule législatif à vocation simplificatrice, dont la lecture en séance publique débutera ce mardi 23 janvier, en présence de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics. En ouverture de l’examen en commission, le ministre s’est dit ouvert à "tout amendement qui s’inscrira dans la perspective du bon sens", soulignant que "le droit à l’erreur, ou l’intégralité des expérimentations et des demandes portées par le Gouvernement et amendées par les parlementaires, doit être vu comme le moyen d’une conduite du changement ou, pour faire plus simple, d’une bonne politique de ressources humaines avec les agents publics". Pour limiter la pratique des cavaliers législatifs, le député Stanislas Guerini (LREM)  a précisé la ligne de conduite, en tant que rapporteur, rappelant que ce texte "n'a pas vocation à être la grande et unique loi de simplification de ce quinquennat (...)". 

Réduction des délais administratifs

Le projet de loi s'ouvre sur l'approbation d'une stratégie nationale d'orientation de l'action publique dont les objectifs sont renvoyés en annexe. Le texte issu des travaux de la commission spéciale ajoute à ces principes programmatiques "la réduction des délais administratifs" (article 1er). Cette mesure est notamment déclinée à l’article 15 du projet de loi : l’évaluation qui sera faite de l'expérimentation du référent unique comportera ainsi une partie sur l’impact du dispositif sur les délais administratifs. Dans le cadre de l’objectif de dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives à horizon 2022, la commission a en outre souhaité prévenir certains écueils, notamment par des dispositifs d’accompagnement des citoyens éloignés du numérique. On en retrouve l’illustration à l’article 33 s’agissant de remplacer, à titre expérimental, la procédure de l’enquête publique par une participation du public par voie électronique pour certains projets agricoles soumis aux législations sur l'eau (IOTA) et sur les installations classées (ICPE). 

Conseil de la réforme

Sur la méthode plusieurs dispositions du projet de loi (articles 11, 12 bis, 15, 15 bis, 16, 21 et 33) feront ainsi l'objet d'une expérimentation. Pour permettre une évaluation pendant le quinquennat, la commission a veillé à harmoniser les durées des différentes expérimentations à trois ans. Les rapports d'évaluation de ces différentes expériences rendront compte des conditions dans lesquelles "les parties prenantes" ont participé à ces évaluations (article 41 nouveau). Le Parlement y sera naturellement étroitement associé, à travers notamment le Conseil de la réforme, voulu par le bureau de la commission spéciale, selon différentes modalités "qui seront précisées dans les mois à venir", indique le rapporteur. Ce dernier a évoqué en quelques mots ce conseil  "transpartisan" destiné à survivre à la commission spéciale, et auquel pourraient être associés personnalités de la société civile et services gouvernementaux, notamment la direction interministérielle de la transformation publique.

Droit à régularisation

Plusieurs amendements adoptés par les députés concernent le droit à l’erreur en matière fiscale. La commission a également contribué à élargir les possibilités de recours du contribuable. Autre apport : la suppression des sanctions pécuniaires infligées aux administrés qui commettent une erreur de forme tout en respectant la loi sur le fond (article 2). Ce type d’erreur n’entrera pas dans le dispositif du droit à l’erreur qui ne s’applique, en principe, qu’une seule fois. La commission a par ailleurs mieux cerné la notion de mauvaise foi autour de deux éléments : un élément matériel (le manquement) et un élément intentionnel (délibérément). Le principe général étant que la bonne foi est présumée, et non l’inverse. A cet égard, pour Gérald Darmanin, indépendamment des expérimentations menées ici ou là, le texte se distingue d’une simple loi de simplification, et marque une véritable "révolution",  "dont nous espérons tous qu’elle aura lieu (…)". " C’est vraiment quelque chose qui, peut-être pas demain ni même après-demain, mais au fil des jurisprudences des juridictions administratives, des saisies des autorités administratives indépendantes, et finalement de la pratique administrative, fera que nous aurons inversé la charge de la preuve", s’est félicité le ministre.

Rescrit administratif

A l’article 10, le texte précise que le délai dans lequel l’administration sera tenue de répondre aux demandes de rescrit "ne saurait être supérieur à six mois". A défaut de réponse, son silence vaudra acceptation. "Si le délai s’avérait trop long, il ne présenterait aucun intérêt pour les porteurs de projets complexes", justifie le rapporteur. Il s'agit d'un plafond, le décret en Conseil d’État permettra de fixer des délais différents suivant les secteurs d’activité et les administrations concernées.

Cristallisation du droit

Les députés de la commission spéciale ont également proposé d’expérimenter la cristallisation des règles présentées dans le certificat d’information pour une durée de douze mois, le temps pour le porteur de lancer son activité (article 12 bis nouveau). Compte tenu de la variété des champs d’activité potentiellement intéressés par le certificat, il est à nouveau apparu prudent de prévoir une phase d'expérimentation afin de préciser les activités concernées. 

Dialogue non surtaxé

Le texte (article 15 A nouveau) prévoit d’instaurer un numéro d’appel "non surtaxé", vers les services de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent ainsi que des personnes publiques et des organismes délégataires d’une mission de service public.

Référent unique

La commission a souhaité élargir la liste des établissements pouvant bénéficier de l’expérimentation d’un référent unique aux établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic), dont certains ont des compétences larges et des interlocuteurs multiples, comme l'Ademe (article 15). Sont également adossées à ce dispositif les maisons de services au public d’ores et déjà synonymes de simplification du quotidien pour les usagers (article 15 bis nouveau). A titre expérimental, le responsable d’une maison de services au public pourra ainsi être désigné par les personnes morales compétentes comme référent unique, et doté d’un pouvoir de décision en lieu et place des personnes concernées sur la base d’une convention-cadre.

Contrats de ville

Sur la même logique, une autre expérimentation ajoutée en commission (article 15 ter nouveau) vise les quartiers prioritaires de la politique de la ville. L’enjeu est ici d’alléger et d’accélérer les processus d’attribution de subventions dans le cadre partenarial des contrats de ville, à partir d’un guichet numérique. Actuellement, "c’est un maquis inextricable, par exemple pour une association, de déposer un dossier de demande d’aides, car les contrats de ville concernent de nombreux signataires", explique le rapporteur. Là encore un référent unique assurera le suivi des demandes et la coordination entre les différents services instructeurs, avant la décision collégiale dans le cadre de l’instance de pilotage du contrat de ville. 

Différends avec les entreprises

Toujours à titre expérimental, il est créé un dispositif de médiation entre les entreprises et l’administration en cas de différend (article 17 bis nouveau). Cette expérience pourrait être mise en œuvre par le Médiateur des entreprises pour fluidifier le dialogue avec les collectivités et les organismes concernés, et ce dans un nombre limité de régions et de secteurs économiques définis par décret. Le secteur du bâtiment pourrait, selon le rapporteur, en constituer un champ d’application "particulièrement pertinent". 

Agents publics

Sur cet autre volet, la commission a proposé d'étendre la dispense de signature de l’employeur à la gestion des fonctionnaires de La Poste pour les décisions produites entièrement par voie dématérialisée (article 22). Un amendement gouvernemental repousse par ailleurs l’échéance d’entrée en vigueur de la déclaration sociale nominative (DSN) pour la fonction publique "à une date fixée par décret", avec une date butoir au plus tard en janvier 2022 (article 22 bis nouveau). Le rapport annuel prévu à l'article 40 rendra quant à lui compte des dispositifs de formation et d'accompagnement des agents publics.

Etat civil

En commission, les députés ont supprimé le renvoi à un décret pour la fixation des modalités d’application de l’article 23. Pour rappel, cette disposition prévoit de mener une expérimentation dans les départements du Nord, des Yvelines, de l’Aube et du Val-d’Oise, visant à supprimer les justificatifs de domicile pour la délivrance des cartes nationales d’identité, passeports, permis de conduire ou carte grise. L’usager pourra fournir uniquement un avis d’imposition ou un contrat d’abonnement pour une prestation attachée à son domicile (facture d’énergie, d’internet…). Ce sera ensuite à l’administration de procéder aux vérifications utiles, en sollicitant les prestataires concernés. Le texte insiste toutefois désormais sur la confidentialité des données personnelles ainsi communiquées à l’administration par les opérateurs.   

Permis de faire dans le bâtiment

A l’article 26, la commission a également souhaité encadrer plus strictement le champ de l’habilitation donné pour les deux ordonnances. La première doit mettre en place un régime dans lequel le maître d'ouvrage pourra être autorisé à déroger, au cas par cas, à certaines règles de construction, sous réserve d'apporter la preuve qu'il atteint, par les "moyens innovants" qu'il entend mettre en oeuvre "des résultats équivalents". Ce premier texte précédera une autre ordonnance plus ambitieuse ouvrant la voie à une dérogation d’application plus large. L’atteinte de ces résultats sera contrôlée "avec le concours d’une expertise professionnelle de la construction", précise désormais le texte. La commission impose en outre la fixation d’étapes de contrôle, avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme et après l’achèvement du bâtiment.

Structures agricoles

Seule disposition retoquée à ce stade l'article 30, visant à permettre, là encore à titre expérimental, d'alléger par ordonnance, le contrôle des exploitations agricoles dans certains départements ou régions. La commission a jugé cette réforme "trop radicale", préférant attendre à ce sujet les propositions de la commission des affaires économiques qui vient de lancer une mission d’information sur le foncier agricole.

Eolien en mer

La commission a également complété le texte sur ce point pour prévoir à travers un rapport gouvernemental un bilan de l’application des futures ordonnances destinées à simplifier le processus décisionnel en matière d’éolien en mer et ouvrir la possibilité d’éventuelles modifications à y apporter (article 34).

Evaluation de la loi

Suite à un amendement du rapporteur, le projet de loi comporte désormais un titre III consacré à l’évaluation de la mise en œuvre de la loi.  Enfin, le texte invite le gouvernement à remettre un rapport sur l’application du principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation et sur les moyens mis en œuvre pour le généraliser sans exception (article 43 nouveau).