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Sophie Charles, présidente de l'Association des communes d'outre-mer : "Nous sommes avant tout une force pour la France"

Les élus de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM), présidée par Sophie Charles, maire de Saint-Laurent du Maroni, ont tenu congrès en Guyane la semaine précédant celui de l'AMF (Association des maires de France). Un congrès itinérant où les problématiques spécifiques aux 212 communes d'outre-mer ont été abordées : croissance démographique, habitat informel, réserve foncière, continuité territoriale… Cinq motions ont été adoptées. 

"Si la France est aujourd’hui une force économique dans le monde, elle le doit à l’outre-mer", déclarait Sophie Charles à Localtis, samedi 17 novembre, à Cayenne, alors que s'était achevé la veille le congrès de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM) qu'elle préside depuis deux ans. "Nous sommes avant tout une force pour la France", insistait la maire de Saint-Laurent du Maroni, toujours furieuse lorsqu'elle entend les voix de métropole résumant l'outre-mer à "des problèmes sociaux" de personnes "au chaud sous les cocotiers" et qui "sont toujours à quémander".
C'est bien grâce à l'outre-mer que "la France est présente sur tous les continents" sur le plan économique, rappelle-t-elle. Mais aussi que la France peut se targuer d'être championne en matière de biodiversité. C'est aussi grâce aux essais en Polynésie qu'elle est leader dans le secteur nucléaire. Ou encore, grâce à la Guyane que la France est "leader européen sur le spatial"…
"Nous sommes riches", résumait à ses côtés Lilian Malet, délégué général de l'ACCD'OM. Et cette richesse, aujourd'hui "méconnue et non prise en compte", les élus des anciennes colonies françaises souhaiteraient qu'elle soit valorisée et chiffrée. L'association a sollicité la Direction générale des outre-mer (DGOM) en ce sens.

Atelier finance à Cayenne, immigration à Saint-Georges de l'Oyapock, culture à Awala-Yalimapo…

Le congrès de l'ACCD'OM s'est déroulé sous la forme d'une semaine de visites thématiques suivies de travaux dans différentes villes de Guyane. Le traditionnel atelier sur les finances publiques s'est déroulé à Cayenne. A Saint-Georges de l'Oyapock, ville frontière avec le Brésil, les élus ont abordé le thème de l'immigration, y compris l'immigration clandestine. 
Ils ont ensuite parlé culture à Awala-Yalimapo, commune labellisée "Pays d'art et d'histoire" en 2013 et majoritairement habitée par des amérindiens kali'na. Entre autres particularités, Awala-Yalimapo est administrée par un conseil municipal doublé d'un conseil composé de quatre chefs coutumiers. L'un délivre les permis de construire, mais après accord du chef coutumier officiant sur le "bassin de vie" concerné par le futur logement, et sur la base d'un "cadastre coutumier". 
La thématique culture était également au programme de Saint-Laurent du Maroni, avec notamment la visite du sinistre camp de la transportation qui pourrait bien, un jour, faire partie de la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, sans doute avec d'autres bagnes de Cayenne, comme le sont déjà onze sites pénitentiaires australiens construits sur le même modèle. A Rémire Montjoly, ils ont découvert un projet d'écoquartier qui comptera à terme 6.000 habitants, avec un marais de stockage des eaux pluviales et une digue-promenade.

Cinq motions adoptées, dont deux sur les finances

Des délégations de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie, de Guadeloupe, de Martinique, de Mayotte et de La Réunion avaient fait le voyage en Guyane. Une partie prenait ensuite l'avion pour Paris pour participer le 19 novembre au Sénat à la journée des outre-mer, organisée cette fois par l'Association des maires de France dans le cadre du congrès des maires. A cette occasion, l'ACCD'OM remettra les cinq motions adoptées à l'issue de son congrès au président de La République, à la ministre des Outre-mer et au président de l'AMF. 
Deux motions concernent les finances publiques. Dans la première, les élus "considèrent, sur la base des chiffres de la Cour des comptes et des simulations d'experts, qu'environ 185 millions d'euros manquent à la péréquation nationale destinée à l'outremer au regard du droit commun". Plus globalement, ils "s'insurgent du décrochage de l'outremer dans les mécanismes de solidarité nationale" et à l'idée que "l'éligibilité à la péréquation nationale serait indue pour l'outremer". Dans la seconde, il s'attaque plus précisément au dispositif de reversement du Fpic (Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales) aux départements d'outre-mer, qui "conduit à exclure du bénéfice du Fpic (…) 40% des ensembles intercommunaux des DOM (hors Mayotte)". Observant que, "au regard des seuils d'éligibilité en vigueur en métropole, la plupart des collectivités d'outremer ainsi exclues devraient bénéficier du Fpic", ils demandent ce qu'ils considèrent comme "l'application du droit commun". Il s'agit, pour Sophie Charles, d'une "demande d'équité : avoir le même traitement que tout le monde".

Lutte contre les branchements électriques "sauvages"

Une motion porte sur la lutte contre les branchements électriques "sauvages". La question renvoie plus globalement à la prolifération des bidonvilles (en outre-mer, on parle plutôt de "squats"), conséquence d'une croissance démographique galopante avec un marché de l'habitat qui ne suit pas. En Guyane, 40% des nouveaux logements seraient ainsi construits sans permis. "Si quelqu'un meurt suite à ces branchements illégaux, c'est la responsabilité des maires", souligne Sophie Charles. "Il serait donc bienvenu que l'Etat, de par ses compétences en termes de sécurité des biens et des personnes, puisse renforcer sa politique d'accompagnement auprès des collectivités soumises aux effets pervers de la crise que nous traversons", lit-on dans la motion. Cet accompagnement porterait sur trois axes : la lutte contre la précarité énergétique des familles, l'accompagnement juridique des collectivités, la simplification des procédures juridiques et le durcissement des sanctions contre les contrevenants. Contrevenants qui, bien souvent, sont aussi les marchands de sommeil. "Il faut nous donner les moyens d'empêcher l'installation de squats", résume Sophie Charles. 

Eviter que les squats évacués ne se reforment immédiatement

Selon la présidente de l'ACCD'OM, il faudrait par exemple permettre aux collectivités de saisir les matériaux lors des évacuations de squats, pour éviter que les habitats précaires ne se reforment aussi vite à quelques centaines de mètres. L'intervention de l'Etat devrait aussi passer par un meilleur contrôle aux frontières. 
Un dispositif du projet de loi de finances pour 2019 portant sur le RSA irait selon elle dans le bon sens : il s'agirait, pour la Guyane, d'allonger de 5 à 15 ans la durée de résidence préalable pour les étrangers en situation régulière venant de pays non membres de l'Union européenne. "Mais cela ne suffira pas", prédit Sophie Charles. Pour la maire de Saint-Laurent, la croissance démographique tient tout autant à la très grande natalité. Sans doute faudrait-il "agir sur les allocations familiales", s'interroge-t-elle, tout en reconnaissant que dès qu'il s'agit d'enfants il est difficile de poser des limites. Elle suggère, pour la Guyane et Mayotte, de "relancer le planning familial", en y mettant les moyens financiers et en engageant une grande campagne de communication notamment auprès des femmes. La démarche aurait été menée à La Réunion avec des résultats positifs.

Cession gratuite de foncier d'Etat aux communes 

Une autre motion est fortement liée aux conséquences de la croissance démographique. Proposée par les mahorais, elle vise à la constitution de réserves foncières pour les communes d'outre-mer, par la mise à disposition "à titre gracieux" du foncier de l'Etat. Pour cela, les élus de l'ACCD'OM demandent que l'Etat procède au recensement exhaustif de son foncier disponible, notamment pour Mayotte, mais aussi la Guyane, la Polynésie et la Guadeloupe. 
Ces terrains serviraient à construire des écoles, des équipements publics et du logement social, précise Sophie Charles, "il ne s'agit pas de faire de la spéculation foncière", insiste-t-elle. Justin Dessout, adjoint au maire de Baie-Mahault en Guadeloupe, ne trouve pas non plus "normal" d'acquérir des terrains d'Etat au prix des Domaines, d'autant plus quand il s'agit "d'équipements relevant du service public régalien de l'Etat". Jean Patrick Toura, maire de Thio en Nouvelle-Calédonie, témoigne, lui aussi, de l'urgence à construire des logements à très bas coût : aujourd'hui même les loyers des logements sociaux sont trop élevés pour les familles.

Pour une dotation de mobilité pour les élus d'outre-mer

Enfin, une motion porte sur l'exigence de "continuité territoriale" dans un contexte où les compagnies aériennes affichent des prix "exorbitants", notamment autour des vacances scolaires, ce qui pénalise les familles, les sportifs, mais aussi les élus. Une nouvelle fois, l'ACCD'OM demande "l'application urgente de tarifs préférentiels pour les outre-mer" et la mise en place d'une "dotation de mobilité" pour les élus qui se rendent en métropole pour des réunions de travail, des formations, des séminaires… "Les élus d'outre-mer ne sont pas des élus de seconde zone", s'agace Lilian Malet.
Le congrès de l'ACCD'OM s'est achevé avec l'élection de sa nouvelle présidente. Sylviane Terooatea, maire de Uturoa en Polynésie française, succédera à Sophie Charles à compter du 1er janvier 2019. Elle-même avait succédé à une autre femme, Hanima Ibrahima, maire de Chirongui à Mayotte.

 

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