Territoires d'industrie : la Cour des comptes dresse un bilan en demi-teinte
Alors que la phase II du programme Territoires d'industrie a été lancée en novembre 2023, la Cour des comptes dresse un bilan en demi-teinte du dispositif dans sa première phase, qui selon ses analyses n'a pas permis de prioriser ni de concentrer les moyens sur ces territoires labellisés, ni de rattraper le retard en termes d'emplois industriels. Elle reconnaît toutefois le caractère efficace du programme pour créer et renforcer des dynamiques locales de coopération.
Regrettant que l'État n'ait pas réalisé d'évaluation avant la reconduction du programme Territoires d'industrie, la Cour des comptes s'est attelée à l'exercice. Son bilan, publié le 21 novembre 2024, est en demi-teinte, avec un verdict sévère concernant la priorisation et la concentration des moyens financiers et la création d'emplois industriels alors que sur le plan de la dynamique coopérative créée, la rue Cambon porte un regard plus positif.
Pour rappel, le programme a été lancé en 2018 afin de renforcer la dynamique de réindustrialisation à l'échelle locale. Une deuxième phase a été lancée en novembre 2023 jusqu'en 2027, avec désormais 183 Territoires d'industrie labellisés et un budget de 100 millions d'euros par an (voir notre article du 10 novembre 2023).
Premier point observé par la Cour des comptes lors de la première phase : la priorisation des territoires labellisés, telle qu'annoncée par le gouvernement, "n'a pas eu lieu, ni dans le nombre et le montant des interventions, ni dans les délais d'instruction des dossiers". La Cour va même plus loin. "L'objectif annoncé au lancement du programme était de mobiliser 1,4 milliard d'euros dans les territoires labellisés, indique-t-elle. Cet objectif n'a pas donné lieu à un suivi financier mais à des communications gouvernementales visant principalement à promouvoir le programme." Finalement, les principaux opérateurs chargés de la mise en œuvre du programme n'ont ainsi pas donné de priorité particulière à ces territoires.
Les régions ont accueilli le programme avec réserve voire réticence
L'implication des collectivités territoriales est quant à elle très variable. Sur ce point, la Cour note que les régions, devenues les chefs de file pour le développement économique depuis la loi Maptam du 27 janvier 2014, n'ont pas été associées ou même consultées lors de la conception et du déploiement du programme qu'elles étaient censées piloter. "C'est donc avec réserve voire réticence qu'elles ont accueilli ce qui pouvait être considéré comme une volonté de l'État de déployer un programme sans moyen supplémentaire et dont la gestion opérationnelle reposerait sur les collectivités territoriales", analyse la Cour, précisant toutefois que la crise sanitaire a permis une meilleure implication de leur part, notamment à travers leur cofinancement du fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires, lancé dans le cadre du plan de relance en 2020, qui a renforcé le programme. Les intercommunalités labellisées, elles, ont augmenté leurs dépenses d'action économique sur la période 2018-2023 : +16% contre -8% dans les autres territoires.
Les territoires d'industrie n'ont pas réussi à enrayer le déclin des années précédentes
Côté emploi, le compte n'y est pas. "Depuis 2018, année de lancement du programment, l'industrie a créé 47.782 emplois, situés pour 89% hors des territoires d'industrie, qui n'ont bénéficié que de 5.445 créations nettes d'emplois", signale le rapport. "Alors que l'emploi industriel a progressé en moyenne de 0,4% par an entre 2018 et 2022, il n'a augmenté que de 0,1% par an dans les territoires labellisés, contre 0,8% dans les autres territoires." Conclusion : contrairement aux autres territoires où la tendance s'est inversée en matière d'emploi, de nombreux Territoires d'industrie ne sont pas parvenus à enrayer le déclin des années précédentes et ont continué à détruire des emplois industriels. "Entre 2018 et 2023, ils ont concentré 44% des créations d'emplois industriels mais 71% des destructions", insiste le document. Le nombre d'entreprises industrielles diminue toutefois un peu moins dans ces territoires que dans les autres et leur situation financière est en moyenne meilleure, en particulier depuis l'épidémie de Covid-19. "Cette amélioration pourrait être liée à une modernisation de l'appareil productif industriel, que de nombreux dispositifs publics nationaux et locaux visent à accompagner", précise la Cour des comptes, estimant que ces constats mettent en évidence des corrélations mais ne permettent pas d'établir des causalités. D'autres facteurs conjoncturels ou structurels peuvent en effet jouer.
Un renforcement de la coopération locale
Reste bien sûr des effets positifs, dont la dynamique créée sur le plan de la coopération locale. "Depuis son lancement, le programme a su mobiliser les acteurs et créer un espace d'échange sur les enjeux industriels, précise le document, ce qui a été largement salué par les parties prenantes locales." Des coopérations sur lesquelles le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires s'est appuyé : "alors qu'ils ne regroupaient que 48% des entreprises industrielles, les territoires d'industrie ont représenté plus des deux tiers des projets bénéficiaires du fonds", note le rapport qui reconnaît un intérêt particulier du programme pour créer et renforcer ces dynamiques coopératives au niveau local.
Dans la perspective de la deuxième phase, la Cour des comptes avance quelques recommandations, dont l'une, essentielle, est d'élaborer un cadre harmonisé d'évaluation "in itinere", c'est-à-dire réalisée durant le dispositif. Un cadre qui serait mis en œuvre localement par les Territoires d'industrie et qui associerait toutes les parties prenantes. Une évaluation "ex post" de la deuxième phase est aussi proposée.
2.680 actions référencées
La Cour propose aussi de faciliter les échanges de bonnes pratiques et la remontée des propositions de simplification et d'accélération du traitement des procédures qui auraient été identifiées par les acteurs locaux et d'utiliser au niveau central et régional le suivi de la mise en œuvre des plans d'action pour mesurer et, si nécessaire, stimuler le niveau de mobilisation des opérateurs.
De son côté l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) prévoit un bilan à un an de cette phase, qui sera disponible en décembre. Il sera associé à des portraits socio-économiques des territoires d'industrie, réalisés en partenariat avec l'Insee. Un premier point à six mois du déploiement de l'ANCT permet de faire ressortir quelques éléments : en novembre 2023, le programme recensait 2.429 actions ; six mois après son lancement, 2.680 actions sont référencées, avec des niveaux d'avancement différents selon les régions (42% actions en cours de réalisation, 31% à initier, 17% en étude préalable). L'ANCT prévoit aussi fin novembre un séminaire à Marseille dédié à l'écologie industrielle et territoriale.