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Tir groupé contre les caméras thermiques 

Autorité sanitaires, Cnil, industriels… les caméras thermiques installées ces derniers jours dans beaucoup de locaux, dont des mairies, sont critiquées de toutes parts. À leur manque de fiabilité technique comme sanitaire, s'ajoute un risque de discrimination. Si leur installation n'est pas formellement prohibée, la constitution de fichiers nominatifs est interdite.

Dans les mairies de Vélizy-Villacoublay (Yvelines), Lisses (Essonne), Porticcio (Corse) ou encore à Chartres dans le hall du conseil général d'Eure-et-Loir, les collectivités ont décidé de mettre en place des caméras thermiques pour prendre la température des personnes entrant dans les lieux. À Lisse, la caméra a ainsi été installée à l’entrée du pôle administratif de la commune pour contrôler la température de la cinquantaine d'agents municipaux qui y travaillent. Lorsque celle-ci dépasse 37,5°C, un message d’alerte conseille à l’agent de faire demi-tour et de consulter un médecin. Ces caméras thermiques, installées souvent à grand renfort de communication, sont censées sécuriser la reprise du travail en contribuant à déceler de potentielles personnes atteintes du Covid-19, évitant ainsi la création de "clusters" dans les administrations. 

Les cas asymptomatiques non détectés

Des arguments que ne partagent pas les autorités sanitaires. Le 28 avril ainsi, le Haut Conseil à la santé publique (HCSP) recommandait ainsi de "ne pas mettre en place un dépistage du Covid-19 dans la population, par prise de température, pour un contrôle d’accès à des structures, secteurs ou moyens de transport".  Principal motif avancé : "le manque de fiabilité de cette mesure systématique de la température". L’infection peut en effet "être asymptomatique ou paucisymptomatique, et la fièvre n’est pas toujours présente chez les malades" et le "le portage viral peut débuter jusqu’à deux jours avant le début des signes cliniques" expliquent les experts. En outre, cette prise de température pourrait être interprétée par les personnes présentant une température normale comme un bon prétexte pour ne pas respecter les gestes barrières (port du masque, distanciation sociale…).

Un risque de discrimination

La Cnil ajoute à ces arguments sanitaires, les risques de discrimination que pourraient générer ces installations en stigmatisant les individus fiévreux alors même que leur contagiosité n'est pas avérée. Si la prise de température n'est pas en elle-même répréhensible sur le lieu de travail, la Cnil a rappelé les lignes rouges à ne pas dépasser. Dans une note à destination des employeurs publiée le 7 mai, la commission précise qu'il leur est "interdit de constituer des fichiers conservant des données de températures de leurs salariés" comme "de mettre en place des outils de captation automatique de température". Autrement dit, les employeurs ont l'obligation de recueillir le consentement de leurs employés avant la prise de température et ces derniers gardent la possibilité de s'opposer au contrôle.

Un investissement élevé pour un résultat aléatoire

L'AN2V, l'association nationale qui réunit les prestataires de la vidéoprotection, s'est ralliée à l'avis des autorités publiques en déconseillant "sauf exception" l'usage de caméras thermiques. Un avis qui s'appuie aussi sur des considérations techniques mises à jour par le groupe de travail ad'hoc créé par l'association. Le compte rendu, mis en ligne le 7 mai sous forme de cartographie décisionnelle , relève ainsi que ces caméras thermiques "nécessitent des capteurs de qualité ainsi qu'un réglage fin sous peine de fausser définitivement les résultats". En outre, eu égard à l'investissement conséquent que représentent ces caméras - de 3.000 à 15.000 euros en n'oubliant pas la maintenance -, l'association pointe le risque que cet équipement ne soit jamais rentabilisé faute de réemploi possible à l'issue de la crise du Covid-19. Des considérations présentées cependant comme une simple "recommandation" par l'association, la décision finale d'installation revenant aux gestionnaires de lieux.