Titres d'identité : comment éviter une nouvelle crise ?

Ces deux dernières années, les délais pour obtenir un passeport ou une carte d'identité avaient fortement grimpé, entraînant un très fort mécontentement des usagers. Les mesures prises par le gouvernement ont permis un retour à la normale, constate la Cour des comptes dans un rapport réalisé pour le Sénat. Les magistrats – de même que les sénateurs - appellent néanmoins l'État à tirer les enseignements de la période. En jeu : passer sans encombre les nouveaux pics de demandes qui se produiront dans les prochaines années.

La crise des titres d'identité, qui a battu son plein entre mars 2022 et juin 2023, "est en cours de résolution", grâce aux mesures successives décidées par le gouvernement, estime la Cour des comptes dans un rapport réalisé pour la commission des finances du Sénat, dont les conclusions ont été débattues le 12 mars au Sénat, au cours d'une table-ronde réunissant les représentants des principaux acteurs de la "chaîne" de délivrance des titres. Lors des pics de demande, il a fallu aux Français attendre en moyenne 150 jours pour obtenir leur carte nationale d'identité ou leur passeport, le délai nécessaire pour décrocher un rendez-vous en mairie représentant à lui seul près de deux mois. En sachant que le temps d'attente a pu être ici ou là plus court, ou à l'inverse plus long (jusqu'à six mois).

La décrue a été progressive à partir de mai 2023, pour parvenir six mois plus tard à un délai moyen d'obtention de rendez-vous en mairie de moins de 17 jours. Un temps raisonnable d'attente, qui se stabilise, puisque, selon le ministère de l'Intérieur, il fallait "la semaine dernière" patienter en moyenne 15 jours pour obtenir un rendez-vous en mairie. Le délai moyen de "mise à disposition" d'un nouveau titre s'élevait, lui, à 19 jours, "en dessous des délais qui étaient couramment observés avant la crise sanitaire".

Une répartition des équipements qui "interroge"

La réponse gouvernementale à la crise a été crescendo : les premières mesures annoncées en mai 2022 ont été suivies par d'autres, trois mois plus tard. Mais, devant la répétition des difficultés, l'exécutif a dû en remettre une couche au printemps 2023. "Rompant avec la logique malthusienne jusqu’alors en vigueur", le ministère de l'Intérieur a permis que le parc national de dispositifs de recueil des empreintes s'agrandisse "de près d’un tiers entre fin 2021 et avril 2023, dépassant les 5.500 dispositifs déployés ou en cours de déploiement", détaille la Cour. En parallèle, des efforts ont été faits pour inciter les mairies à améliorer le taux d'utilisation de chaque dispositif de recueil. Selon les magistrats, le coût de ces différents plans a atteint 113 millions d'euros "jusqu’à la fin 2023".

"Face aux signaux précurseurs d’une très forte hausse de la demande de titres", la réaction du gouvernement a été "tardive", critiquent-ils, parlant même d'un "défaut d’anticipation".

"On est passé en gros de 16.000 habitants pour un DR [dispositif de recueil] en moyenne nationale avant la crise, à 11.000 habitants par DR aujourd'hui", en sachant qu'une "dizaine de départements sont en décalage (au-dessus ou en dessous) avec ce taux d'équipement moyen", a précisé Anne-Gaëlle Baudouin Clerc, directrice de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Les disparités sont réelles, a insisté de son côté la rapporteure spéciale au Sénat, Florence Blatrix Contat (groupe Socialiste, écologiste et républicain), pour qui "la situation interroge". Entre deux "départements présentant des caractéristiques comparables", le nombre de dispositifs de recueil "peut varier du simple au double", a-t-elle constaté.

Echéance d'août 2031

Malgré le retour à la normale, les acteurs de la chaîne de délivrance des titres ne doivent pas baisser la garde. En effet, les prévisions de l'ANTS font état d'une demande d'environ 14 millions de cartes d'identité et de passeports pour 2024, ce qui veut dire que "le système reste très largement sous tension", a souligné la directrice de l'établissement public en charge de la fabrication des titres d'identité. Ce niveau sera, certes, plus faible qu'en 2023, année où 15 millions de cartes d'identité et de passeports ont été produits. Mais il restera largement supérieur au volume de la production de 2019 (9 millions de titres).

La vigilance est aussi de mise pour les années suivantes, compte tenu de l'obligation qu'auront les Français de détenir à partir du 3 août 2031 une carte d’identité au format électronique pour leurs déplacements dans l’Union européenne. Le renouvellement des titres va entraîner une vague massive de demandes. "L’État doit dès à présent se préparer à ces échéances pour éviter une nouvelle crise", prévient la Cour. À cette fin, elle préconise de renforcer "le pilotage de l’ensemble du système de délivrance des titres", en le confiant à la direction du management de l’administration territoriale et de l'encadrement supérieur (Dmates) du ministère de l'Intérieur, qui décide notamment de l’octroi de dispositifs de recueil aux mairies.

Charges compensées très partiellement

Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et vice-président de l'Association des maires de France (AMF), a de son côté souligné la nécessité que l'État couvre financièrement "à 100%" les missions réalisées par les communes (accueil des usagers comprenant le recueil des empreintes digitales et remise du titre), ces dernières relevant des actions que le maire effectue en tant qu'agent de l'État. La Cour fait fort justement le point sur cette question : avec les mesures nouvelles, la dotation pour les titres sécurisés (DTS) allouée aux communes pour un dispositif de recueil, s'élevait à 22.000 euros par an, en juillet 2023, contre 12.130 euros en 2022. Son montant pouvait même atteindre 27.000 euros avec les primes exceptionnelles. Des montants assez éloignés des dépenses réellement engagées annuellement par les mairies, la Cour des comptes les chiffrant à environ 64.200 euros par dispositif et par an, sur la période 2019-2022.

Agents municipaux en charge des photos ?

La rapporteure spéciale du Sénat a plaidé dans le sens de la revendication de l'AMF. En soulignant aussi que les modalités d'attribution de la DTS devraient prendre en compte l'effort réalisé par les mairies pour accueillir des usagers résidant dans des communes tierces. Et en relevant au passage que cet effort est "beaucoup plus important pour les communes les plus rurales".

Parmi ses recommandations, la Cour suggère de faire évoluer les dispositifs de recueil installés en mairie, de sorte qu'ils comportent un appareil photo. À charge pour les agents de prendre la photo des usagers – a minima les personnes majeures - venant déposer leur demande de titre. Une grande partie des 190.000 rejets de dossiers annuels liés à la non-conformité des photos seraient ainsi évités. La rapporteure spéciale a estimé que l'idée était pertinente, à condition que "les agents de mairie ne soient pas considérés comme responsables" lorsqu'une photo est jugée non conforme. Guy Geoffroy a pour sa part rappelé l'hostilité de la profession des photographes à une telle évolution et souligné qu'il reviendrait au maire de traiter ces "effets collatéraux".

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis