Transfert des compétences eau et assainissement : chassé-croisé au Parlement

Sans avoir finalement pu voter le texte, l'Assemblée nationale a voulu rétablir ce 8 juin, en première lecture d’une proposition de loi d'origine sénatoriale, le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes le 1er janvier 2026 que le Sénat avait rendu optionnel le 16 mars dernier. Au cours des débats, les députés s'étaient toutefois prononcés en faveur du transfert possible de ces compétences à des syndicats infracommunautaires et du renforcement des facultés d’intervention des conseils départementaux.

"C’est […] la sixième fois en quelques années que nous délibérons d’un aménagement de la mutualisation des compétences eau et assainissement au niveau intercommunal", dénombrait ce 8 juin le président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié, lors de l’examen en séance publique de la proposition de loi du sénateur Jean-Yves Roux (Alpes-de-Haute-Provence) et de plusieurs de ses collègues du groupe RDSE "visant à permettre une gestion différente de la compétence eau et assainissement". Et sans doute pas la dernière puisque les députés n’ont finalement pas eu le temps de voter ce texte, examiné dans le cadre de la niche parlementaire Liot, avant minuit.

L’espoir douché de la suppression du transfert obligatoire

Déposé en septembre dernier, le texte initial visait à rétablir ces compétences parmi celles optionnelles des communautés de communes, et donc à revenir sur leur transfert obligatoire au 1er janvier 2026. En accord avec son auteur, la proposition avait juste été retouchée par la Chambre haute – en commission le 1er mars et en séance publique le 16 mars – afin qu’elle ne remette pas en cause de manière automatique les transferts et délégations de compétences déjà opérés. 

Quelques jours après cette adoption, les déclarations du président de la République – présentant son plan Eau (voir notre article du 30 mars) et appelant à de "la souplesse et de l’apaisement" sur le sujet – avaient pu un temps laisser croire à certains que le gouvernement pourrait être favorable à un tel scenario. Il n’en était rien. Car si le président se disait prêt à "mutualiser différemment", l’objectif de mutualisation restait pour lui intact. Aussi, c’est sans surprise qu’à l’initiative de la députée Laurence Heydel Grillere (Ardèche) et du groupe Renaissance, l’Assemblée a revu en commission le 31 mai, puis en séance publique ce 8 juin, l’économie de la proposition de loi. La version souhaitée par les députés ne remet plus en cause le caractère obligatoire du transfert de compétences. "Si l’intercommunalité n’est pas toujours la maille la plus pertinente, la mutualisation n’en reste pas moins un impératif pour faire face aux enjeux", rappelait sans ambiguïté la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, en ouverture des débats.

Mutualisation ouverte à des syndicats infracommunautaires

Le texte introduit en revanche un nouvel assouplissement, en permettant la création de nouveaux syndicats infracommunautaires dans le périmètre des communautés de communes. 

La loi 3DS avait déjà assoupli le dispositif, en disposant que de tels syndicats existant au 1er janvier 2019 pourraient être maintenus par voie de délégation après transfert. En l’état du texte, cette faculté serait désormais ouverte à tous les syndicats existants, y compris ceux créés depuis 2019. "Si nous espérons que de tels syndicats fédéreront le plus grand nombre de communes d’un même bassin versant, ils pourront aussi, en sens inverse, ne fédérer que deux communes", explique Dominique Faure.

Le texte débattu prévoit également que par dérogation à l’article L.5711-3 du CGCT, les membres composant le conseil syndical sont les représentants des communes membres. Il dispose encore que la convention de délégation de gestion conclue entre la communauté de communes et le syndicat intercommunal déterminera les modalités de gestion et les conditions tarifaires des services d’eau et d’assainissement des eaux usées sur le territoire de la communauté de communes, en tenant notamment compte du mode de gestion du service, des caractéristiques des réseaux ainsi que des coûts de production, de traitement et de distribution, et déterminera les orientations et les objectifs de la politique d'investissement sur les infrastructures. 

Compétences renforcées pour les conseils départementaux

La proposition s’est par ailleurs enrichie de deux autres dispositions – promues par le gouvernement, et finalement portées par les députés Renaissance – visant à "introduire de plus grandes facultés d’intervention des départements" en matière de gestion de l’approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine.

D’une part, le texte dispose que "les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes compétents, lorsqu’ils y sont expressément autorisés par leurs statuts, peuvent déléguer à un département la maîtrise d’ouvrage en matière de production, de transport et de stockage d’eau destinée à la consommation humaine, dans les conditions prévues aux articles L.2422-5 à L.2422-11 du code de la commande publique [relatifs au mandat de maîtrise d’ouvrage, ndlr]. Ce mandat est exercé à titre gratuit." "Plutôt que de nous concentrer sur la répartition des compétences au sens juridique du terme, nous devons trouver les moyens d’œuvrer collectivement", justifie la ministre.

D’autre part, il prévoit qu’un "syndicat mixte défini à l’article L.5721-8 regroupant exclusivement un ou plusieurs groupements de collectivités mentionnés aux articles L.5212-1 [syndicat de communes], L.5214-1 [communautés de communes] et L.5711-1 [syndicats mixtes fermés], formant un espace d’un seul tenant et sans enclave et compétents en matière de production, de transport et de stockage d’eau destinée à la consommation humaine, et un ou plusieurs départements limitrophes peut assurer tout ou partie de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine." 

Guerre de tranchées

Les autres amendements déposés sur cette proposition n’ont pu être examinés  dans le temps imparti. Et le texte n’a de même finalement pu être voté . "Merci, madame la ministre déléguée ! Les groupes ont une seule niche par an !", a grincé la députée Ségolène Amiot (Loire-Atlantique, LFI), dénonçant l’obstruction de Dominique Faure.

Au-delà, les débats n’auront guère permis de rapprocher les positions entre les deux camps. Pour les partisans du transfert, dont la ministre, "la mutualisation d’une telle compétence relève de l’ardente nécessité – rien de moins que cela". 

Ses contempteurs, comme Pierre Morel-À-L’Huissier (Lozère, Liot), dénoncent au contraire un tel transfert, qui  "implique un regroupement de services très différents en raison de la diversité des modes de gestion par les communes, des durées de contrats et des pratiques tarifaires. En outre, la qualité des infrastructures est hétérogène et les investissements sont inégalement répartis sur le territoire. Enfin, il existe un risque réel de hausse des tarifs de l’eau". Et ce dernier de souligner en outre que les syndicats infracommunautaires qui se voient ici renforcés sont "ceux-là mêmes que la loi Notre a voulu supprimer".

Philippe Schreck (Var, RN) a pour sa part rappelé que, "dans sa version initiale", la loi Notre "ne prévoyait aucunement le transfert automatique des compétences eau et assainissement aux communautés de communes", celui-ci ayant été finalement institué par des "amendements adoptés sans étude d’impact préalable ni concertation". L'élu voit dans la réécriture opérée de la proposition de loi une "forme de défiance envers les élus ruraux", qui "neutralise leur liberté", "enrichit le mille-feuille administratif, favorise les groupements infracommunautaires et renvoie la gestion de l’eau à une organisation parfois kafkaïenne". Et de déplorer que "plutôt que d’assumer un vote frontalement négatif, qui aurait contrarié la grande majorité des maires ruraux, la majorité a fait le choix de noyer le texte".