Gestion de l’eau : "On ne trouvera aucune solution si chacun reste dans son couloir !"

Dans l’attente de la présentation du plan Eau – que le ministre de la Transition écologique devait dévoiler au carrefour des gestions locales de l’eau qui s’est tenu à Rennes ces 25 et 26 janvier, mais qui ne sera finalement présenté que dans "quelques semaines" –, Régis Banquet, vice-président Grand Cycle de l’eau d’Intercommunalités de France, recommande aux communes qui n’auraient pas encore transféré leur compétence eau de s’y atteler sans tarder, alors que la date butoir de 2026 vient d’être confortée. Plus largement, il appelle notamment à revoir le modèle économique de la gestion de l’eau et à instaurer un débat, afin d’éviter une "guerre de l’eau" qui couve déjà dans certains territoires.

Localtis - À défaut de présenter le plan Eau comme attendu, le ministre de la Transition écologique a déclaré dans un entretien accordé au Parisien ce 24 janvier : "On ne peut pas garder des communes qui gèrent seules la compétence eau potable. L’objectif d’installer la gestion de l’eau en intercommunalités en 2026 doit être tenu." On imagine que ces propos sont de nature à vous satisfaire. Étiez-vous vraiment inquiets ?

Régis Banquet - Cette déclaration est effectivement une très bonne nouvelle pour Intercommunalités de France, qui se bat pour que cette date soit maintenue. Nous n’étions pas particulièrement inquiets, même si résonnait encore çà et là la petite musique d’un report de l’échéance. Ce débat est aujourd’hui dépassé. À l’heure de la raréfaction de la ressource en eau, une solidarité au sein d’un bassin de vie – donc à l’échelle intercommunale – est indispensable pour assurer la sécurité de l’approvisionnement. Et la solidarité, ce n’est pas qu’un mot. On ne peut plus raisonner égoïstement au niveau communal, comme dans Manon des sources, où chacun cherche à s’approprier ce bien commun. Et il y a d’autant moins de craintes à avoir de la part des maires qu’ils sont membres des intercommunalités. C’est le bloc communal ! Dans l’enquête que nous venons de publier [voir notre article du 25 janvier], nous recommandons d’ailleurs de continuer à impliquer les anciennes autorités compétentes après le transfert. C’est un gage de succès. J’ajouterai que cette enquête montre que près de la moitié des intercommunalités exercent déjà la compétence eau. Plus encore, elles représentent plus de 80% de la population.

La carte de France des intercommunalités exerçant la compétence eau fait apparaître de grandes disparités régionales. L’ouest de la France a globalement passé le cap, contrairement à la région Bourgogne- Franche-Comté, par exemple. Une explication ?

Pas spécialement. Peut-être que certaines régions sont plus enclines au travail intercommunal. Peut-être aussi que le problème de l’eau est à ce jour plus criant chez certains. Dans ma région, nous avons été confrontés à de graves inondations, qui ont malheureusement entraîné des morts. Ce funeste événement passé, je vous garantis que plus personne ne se posait la question de la taxe Gemapi, alors que nous avions jusqu’alors les plus grandes difficultés pour la mettre en place. Il est évidemment souhaitable de ne pas attendre de telles extrémités. La politique est l'art de rendre possible le nécessaire, prête-t-on à Richelieu.

Christophe Béchu insiste justement sur la nécessité de "repolitiser le sujet de l’eau". Que faut-il comprendre ?

Pour éviter une véritable "guerre de l’eau", qui menace déjà sur certains territoires, il est indispensable que les différents utilisateurs puissent se retrouver autour d’une même table, débattre et arbitrer. C’est le rôle du politique, que l’on doit replacer au cœur des discussions, portant une vision de long terme indispensable sur un sujet aussi structurant et vital qu’est celui de l’eau. Comme l’est d’ailleurs aussi, parmi d’autres, celui de l’énergie.

Lors du carrefour des gestions locales de l’eau, Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne, indiquait le 25 janvier que "le débat sur l’eau ne nourrit que les extrêmes". Êtes-vous optimiste ?

Mais on ne trouvera aucune solution si chacun reste dans son couloir ! Tout l’enjeu, c’est précisément de parvenir à ce que les différentes parties se retrouvent, s’écoutent, se comprennent et se nourrissent les unes des autres. Ce qu’elles ne pourront faire si elles restent chacune dans leur coin ! Nous avons organisé dans l’agglomération de Carcassonne des assises de l’eau. Sur le "pas assez" et le partage, mais aussi sur le "trop d’eau". Elles ont réuni tous les acteurs, et nous déployons aujourd’hui différents ateliers thématiques. Preuve que c’est possible. Une chose est certaine : il faudra que nous fassions, tous sans exception, des efforts. Particuliers, agriculteurs, industriels… Et pour répondre directement à votre question, si je n’étais pas optimiste, je ne serais pas élu. Notre mission, c’est précisément d’essayer d’embarquer tout le monde dans une direction commune. Sinon, c’est que l’on a manqué sa vocation.

Concrètement, ce politique, qui est-il ?

La question doit être gérée à deux échelons : local – c’est celui des bassins de vie – et supra-régional, celui des grands bassins, auxquels incombent de gérer la solidarité entre l’amont et l’aval. Cet échelon est aussi indispensable que le premier. Un exemple : en Ardèche, nous avons une grande usine de production électrique, qui prélève 360 millions de m3 d’eau de la Loire pour les rejeter dans le Rhône. Cette usine est ancienne et son installation n’a pas posé difficulté. Mais cet été, on manquait d’eau à Nantes et d’aucuns pourraient penser que ces m3 lui faisaient défaut… Reste qu’aujourd’hui, le bassin du Rhône tient compte de ces volumes. Il faut bien comprendre que bouger le moindre des curseurs à un endroit peut entraîner de graves conséquences à un autre.

Toujours lors du carrefour des gestions locales de l’eau, Thierry Burlot estimait que le "vrai sujet" tenait précisément à l’adéquation entre les périmètres hydrologique et politique. Doit-on en conclure qu’une strate fait défaut ?

Il est certain que ces grands bassins ne correspondent à aucune organisation politique du territoire, qu’ils sont à cheval sur plusieurs circonscriptions administratives. Pour autant, il faut arrêter de penser, en France, qu’il faut créer une nouvelle structure à chaque problème ! Les agences de bassin existent, et il n'y a nul besoin de strate supplémentaire. C’est simplement une question de représentativité, qui doit pouvoir être réglée si besoin.

Faute de disposer déjà du plan Eau, que vous inspirent les premières pistes dévoilées par Christophe Béchu et Bérangère Couillard ?

Il est encore difficile de se prononcer, même si j’ai l’impression que cela va plutôt dans le bon sens. J’ai le sentiment que le ministre cherche le consensus. Reste que le nœud du problème, c’est l’invention d’un nouveau modèle économique. Il faut avoir conscience que se dresse devant nous un véritable mur d’investissements pour renouveler les réseaux de distribution d’eau. Ils le sont aujourd’hui à une cadence moyenne de 130 ans, alors qu’il faudrait le faire tous les 40 à 50 ans. Conséquence, nous perdons 1 litre d’eau sur 5 dans des fuites. C’est inacceptable ! Certaines agences de l’eau n’accompagnent plus financièrement ces renouvellements du fait de la ponction de leur budget en faveur de la biodiversité. Je n’ai évidemment rien contre cette dernière, mais il faut que l’eau finance l’eau, et dégager d’autres ressources pour la biodiversité. Au-delà, on ne fera pas l’économie d’une remise à plat du système. Aujourd’hui, ce sont les factures d’eau qui génèrent les recettes et permettent d’investir. Plus les Français seront vertueux, moins on pourra le faire...

Des investissements qui invitent à la mutualisation des moyens. Que conseillez-vous aux communes qui n’ont pas encore sauté le pas du transfert de compétence ?

De se mettre au travail dès maintenant ! Notre enquête montre qu’il faut deux à trois ans pour préparer ce transfert dans de bonnes conditions. Si elles attendent 2025, ce sera la catastrophe ! Elles ont d’autant plus intérêt à se mettre à l’ouvrage sans tarder que ce travail permettra de lever beaucoup de craintes.

 

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