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Transition agricole : la question du renforcement des Safer refait surface

Si la tentative législative destinée à renforcer le pouvoir des Safer a échoué, la question reste pleinement d'actualité, assurent bon nombre d'acteurs concernés. Lors d'une journée d'auditions organisée le 23 novembre par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, cette problématique a été à nouveau posée, dans la perspective de la future loi qui devrait faire suite aux Etats généraux de l'alimentation en phase de clôture.

"La maîtrise foncière, c'est l'avenir d'un pays ; si on veut aller vers une autonomie alimentaire, il faut absolument maîtriser notre foncier, et même si on a fait des progrès - il y a eu un certain nombre de lois - il y a encore des trous dans la raquette." Lors d'une journée d'auditions organisée le 23 novembre 2017 par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, Freddy Le Saux, président de Terre de Liens, a mis en avant les difficultés que connaît actuellement la France pour préserver ses terres agricoles. En témoigne le dernier achat effectué fin novembre 2017 par des investisseurs chinois. 900 hectares ont ainsi été récupérés par le groupe Hongyang, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d'équipements pour les stations-service et l'industrie pétrolière. Le groupe avait déjà acquis 1.700 hectares de terre dans l'Indre l'an dernier. Pour cet achat, la Safer, société d'aménagement foncier et d'établissement rural, a reçu une notification mais elle n'a pas pu intervenir. La loi relative à l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, du 20 mars 2017 - qui prévoyait de permettre aux Safer de faire usage de leur droit de préemption, en cas de cessions partielles de parts de sociétés, pour contrecarrer les prises de contrôle des terres par des sociétés financières - a en effet été partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel en mars 2017. Impossible donc pour une Safer d'intervenir sur un achat qui ne porterait pas sur la totalité des parts. Pour les investisseurs comme ce groupe chinois, cette faille permet de contourner le droit de préemption des Safer.

Des investissements d'avenir pour la transition agricole

"Il faut renforcer le rôle des Safer, cela a été tenté mais débouté, il va falloir arriver à passer", a assuré Freddy Le Saux. D'après les données de Terre de Liens, en dix ans, 15 à 20% des terres agricoles sont passées entre les mains de sociétés d'investissements de ce type. "En dix ans, Terre de Liens a réussi à préserver 3.000 hectares, mais c'est autant que ce que les Chinois ont acheté en trois opérations seulement !", a-t-il précisé. Le responsable de Terre de Liens met en avant la question de la valeur accordée à la terre agricole. "Aujourd'hui, il est plus avantageux d'aller chercher des terres vides que de réhabiliter des friches, il faut qu'on trouve des systèmes pour que ce soit le contraire. Il faut donner une valeur à la terre agricole", a de même expliqué Freddy Le Saux.
Une protection des terres agricoles qui se justifie d'autant plus que la transition vers une agriculture agroécologique "n'est pas une utopie et c'est techniquement possible", comme l'a affirmé Hélène Le Teno, directrice transition écologique du Groupe SOS-Fermes d'avenir, accélérateur de transition agricole, exemples à l'appui de fermes pionnières, comme la ferme du Petits Chapelais près de Rennes ou la coopérative Ferme de Figeac, dans le sud-ouest. Pour faire découvrir ces fermes, l'association a réalisé un tour de France, le "Fermes d'avenir tour", ouvert au grand public et aux élus. Elle met en place des concours pour donner la possibilité à des jeunes qui s'installent de réaliser leur transition vers des pratiques agroécologiques. Cent fermes innovantes ont ainsi été aidées. Fermes d'avenir avance aussi plusieurs propositions dans le cadre du futur projet de loi qui devrait faire suite aux Etats généraux de l'alimentation : séparer la vente du conseil agricole pour que "le médecin ne soit pas aussi le pharmacien", organiser la transition des compétences et en assumer le financement, et mettre en place un financement dédié, autour de 5 milliards d'euros, pour la transition agricole et alimentaire. "Vous le savez, la France a dépensé des dizaines de milliards d'euros en investissement d'avenir pour les transports, la mobilité du futur, sur le numérique, … mais où sont donc les milliards d'euros pour la transition agricole ?", a questionné Hélène Le Teno.

Une mission d'information

Une mission d'information a été lancée sur la question du foncier par la commission des affaires économiques, dont les travaux vont se dérouler dans les semaines ou mois à venir. Mais pour Dominique Pottier, député PS de Meurthe-et-Moselle et coprésident de l'atelier sur la transition écologique et solidaire des Etats généraux de l'alimentation, qui participe à cette mission, "si on veut induire ce virage que le président de la République semble vouloir prendre pour notre pays, il faut une alliance entre les forces sociales innovantes et les structures de l'Etat et ses périphériques comme les Scot et Safer, et que l'Etat impose à ces outils décentralisés des impératifs de résultats, ce qu'il ne fait pas assez".