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Transport particulier de personnes : un rapport plaide pour une meilleure régulation

Une mission commune de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a remis le 31 janvier aux ministres du Travail et des Transports son rapport sur la régulation du secteur du transport public particulier de personnes. Elle a formulé 21 propositions visant notamment à réduire les risques professionnels et à améliorer les conditions de travail et le modèle économique imposé aux chauffeurs de VTC. Certaines préconisations s'adressent aux autorités organisatrices de la mobilité pour qu'elles puissent en particulier imposer des normes environnementales et de desserte.

Taxis, voitures de transport avec chauffeur (VTC), motos-taxis : au gré des évolutions technologiques, organisationnelles et législatives, le transport public particulier de personnes (T3P) a été profondément bouleversé au cours des dix dernières années. Ces changements suscitent nombre d'interrogations sur le modèle économique et social de ce secteur, où prédominent largement les travailleurs indépendants qui constituent 95% des chauffeurs de taxis et environ deux tiers des VTC.
Pour prendre la mesure des changements à l'oeuvre, une mission a été confiée par le gouvernement fin janvier 2018 à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Le rapport conjoint qui en résulte a été remis ce 31 janvier à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, et à son homologue des Transports, Élisabeth Borne. Sa publication intervient alors que le mécontentement des chauffeurs de VTC reste vif. Ils entendent ainsi manifester à nouveau ce 5 février à travers Paris pour appuyer leurs revendications, comme la lutte contre les plateformes illégales et les fausses cartes VTC, la fixation d'un tarif minimum ou la détaxation des carburants.

Réglementation duale

Le rapport remis le 31 janvier mais daté de décembre 2018 commence par un état des lieux, en rappelant que le T3P est une "composante ancienne et significative des solutions de mobilité locale qui représente dans une métropole comme Paris de l'ordre de 15% du trafic des véhicules sur la voirie". Mais la proportion de taxis et de VTC par habitant est trois à quatre fois plus élevée dans certaines métropoles équivalentes telles Londres et New York, relativise le document. Dans les métropoles régionales, elle est en revanche beaucoup plus basse que dans la capitale (0,5 taxi pour 1.000 habitants contre 3 environ à Paris).
La France se distingue aussi des autres pays par sa réglementation duale. D'un côté, les taxis ont, sous condition d'une autorisation de stationnement (ADS), le monopole de la prise en charge en station et de la maraude. Ils peuvent rouler dans les voies réservées aux bus et bénéficient d'une détaxe du carburant. De l'autre, les VTC qui sont réglementés de façon moins contraignante (pas de tarif maximum ni d'obligation de prise en charge ou d'ADS) ont connu un essor important après la loi Novelli de 2009 et le lancement d'Uber. Ils sont en concurrence directe avec les taxis sur le marché de la réservation préalable et sont principalement concentrés en Île-de-France où ils sont sans doute devenus majoritaires dans le T3P depuis 2018, constate le rapport.

"Concurrence féroce"

Les multiples bouleversements qui agitent le secteur sont le fruit de plusieurs facteurs qui se conjuguent, souligne-t-il. "Les smartphones et leurs applications, le haut débit et la géolocalisation permettent désormais une mise en relation instantanée des clients et des chauffeurs par l'intermédiaire de plateformes digitales, détaille-t-il. Cette mise en relation, qui améliore beaucoup l'efficience des VTC, a engendré une concurrence féroce, en raison de la préférence des clients pour les moindres temps d'attente qui mènent au 'winner takes all' (le gagnant emporte tout) de quelques grands acteurs mondiaux (Uber, Lyft, Ola, Didi, Txfy…) disposant d'énormes fonds propres financés par des fonds d'investissement et structurant le marché du VTC sur des milliers de marchés locaux. Ces évolutions posent des défis redoutables au secteur plus traditionnel des taxis."
Pour autant, les hauts fonctionnaires auteurs du rapport ne préconisent pas de modifications fondamentales de la réglementation, qui a déjà varié au fil de trois lois (loi Novelli en 2009, suivie de la loi Thévenoud en 2014 puis de la loi Grandguillaume en 2016). Ils appellent néanmoins à la faire évoluer en l'améliorant sur quelques points précis, "tout en veillant à accompagner le développement du T3P et les nouvelles solutions de mobilité sur tout le territoire", insistent-ils.

Encadrer le temps de conduite des chauffeurs

L'un des points fondamentaux mis en avant dans le rapport consiste à renforcer l'encadrement du temps de conduite. Les données disponibles sur les accidents de la route font en effet ressortir une "probable" sur-sinistralité des chauffeurs de VTC, notent les auteurs. Ils recommandent donc que "le temps de conduite des chauffeurs VTC au moins de la zone de Paris et des 80 communes (environnantes), soit plafonné à hauteur de 11 heures par jour et de 60 heures par semaine". Les artisans taxis parisiens bénéficient déjà d'une semblable limitation à 11 heures du temps de conduite quotidien.
Il propose aussi "l'instauration d'un repos hebdomadaire de 24 heures consécutives au minimum, à n'importe quel moment de la semaine", applicable cette fois à tous les chauffeurs du transport public particulier de personnes dans toute la France. Pour cela, les auteurs préconisent "d'obliger les centrales de réservation VTC à suivre le temps de conduite de chaque chauffeur et à adresser les données à un organisme totalisateur", et de lancer une étude pour la mise en place d'un contrôle électronique embarqué comme il en existe déjà en Suède.

Améliorer le modèle économique

La mission s'est aussi intéressée aux moyens d'améliorer le modèle économique des chauffeurs de VTC. La viabilité de leur métier est très diverse et fonction de variables qui leur échappent pour partie, relève-t-elle. Ainsi, le prix des courses n'est pas fixé par eux (ils ne peuvent que refuser la course), compte tenu de la place prise par les centrales de réservation. En théorie, ils ont plus de liberté pour le choix du véhicule, son mode d'acquisition (achat ou location), la forme juridique d'exploitation et les horaires de conduite mais en réalité "leurs choix sont en partie contraints et ne sont pas nécessairement toujours optimaux", note la mission. Si elle estime qu'il "n'est pas possible juridiquement d'instaurer un tarif minimum des VTC qui s'imposerait aux clients", elle recommande de lancer "un processus de concertation, sous l'égide de l'État, sur le prix décent de la prestation des chauffeurs". Elle souhaite qu'un registre officiel des centrales de réservation soit mis en place et réclame un "net relèvement des sanctions" en cas de non-respect de leurs obligations. Elle préconise également que ces centrales soient soumises à un "régime d'autorisation préalable".

Points névralgiques dans l'espace urbain

Parmi les 21 propositions formulées dans le rapport pour mieux réguler le secteur, certaines concernent aussi les autorités organisatrices de la mobilité (AOM). La mission propose ainsi d'améliorer la gestion de "l'espace urbain rare" autour de quelques points névralgiques comme les grandes gares ferroviaires, les aéroports et quelques hauts lieux touristiques. Elle avance plusieurs pistes concrètes sur ce point : mise en place à leurs abords de lieux de prise en charge et de dépose pour le T3P en réservation préalable, points de rencontre dans les gares, aérogares ou lieux touristiques pour que le chauffeur du véhicule pré-réservé et son client se repèrent mutuellement, aménagements locaux de voirie en ville, près des grandes gares ou autres points névralgiques, pour fluidifier le trafic, etc. Pour définir les objectifs fonctionnels de ces améliorations, le rapport préconise de constituer des comités de parties prenantes auprès des commissions locales T3P.

Propositions pour les autorités organisatrices

Les véhicules de T3P roulant trois à quatre fois plus qu'une voiture particulière, les auteurs du rapport jugent aussi "opportunes" des mesures visant à limiter leur impact sur la pollution de l'air locale et sur les émissions de gaz à effet de serre. Ils encouragent les AOM à définir un périmètre pertinent au sein duquel elles pourraient instaurer une norme locale plus stricte des véhicules contre la pollution de l'air. La mission estime aussi que la T3P pourrait contribuer davantage à l'insertion sociale et au développement du droit à la mobilité des personnes en situation de handicap ou des publics fragiles, les collectivités compétentes pouvant les conventionner ou fixer des tarifs sociaux. Le rapport suggère aussi d'améliorer la couverture des zones rurales, des périphéries et d'assurer des dessertes aux heures creuses. A l'instar de ce qui est pratiqué dans plusieurs pays étrangers, ils estiment que des services de T3P pourraient être aidés par des AO en zones peu denses car ce système présente à la fois des coûts plus modérés qu'un service transports collectifs urbains et des temps d'attente souvent plus courts.
Certaines des 21 propositions du rapport "vont désormais faire l'objet d'un examen approfondi par le gouvernement", ont indiqué Muriel Pénicaud et Élisabeth Borne, dans un communiqué commun. Elles ont annoncé une concertation sur ce sujet "avec l'ensemble des acteurs du secteur" et notamment une réunion du comité national des transports publics particuliers de personnes "dans le courant du mois de février".

 

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