Trente villes moyennes "particulièrement fragiles"
Une note du CGET légitime une action spécifique en faveur des villes moyennes, telle que le plan "Action coeur de ville" lancé vendredi dernier par le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard. Selon cette note, une trentaine de villes moyennes sont "particulièrement fragiles". Les réactions à ce plan gouvernemental vont bon train. S'il est unanimement salué, de nombreuses voix demandent à l'Etat d'aller plus loin.
Ce n'est sans doute pas un hasard si, le jour du lancement du plan "Action cœur de ville" destiné à revitaliser les centres des villes petites et moyennes, le Commissariat général à l'égalité des territoires a publié une note sur les 203 villes moyennes qui concentrent 23% de la population française. Le commissariat souligne le rôle très particulier de ces villes dans la cohésion du territoire. "Maillons fondamentaux de l'armature urbaine française", elles assurent des fonctions de "centralité" et constituent un "trait d'union qui connectent les territoires entre eux". Mais elles connaissent aussi des facteurs de fragilité. Parmi eux, le CGET pointe les risques d'une "spécialisation industrielle et administrative" (beaucoup accueillent des industries positionnées sur des activités de faible valeur ajoutée), une population vieillissante (les retraités représentent plus du tiers de la population dans un tiers des villes moyennes), une plus faible proportion de cadres et de diplômés de l'enseignement supérieur. Le chômage y a augmenté plus vite qu'ailleurs (+2,8% entre 2008 et 2013, contre 2% en France), le taux de pauvreté y est plus élevé (17,8 % contre 14,5 % en 2013), de même que le nombre de jeunes non insérés (21% contre 14%). En croisant ces différentes données, le CGET identifie ainsi 30 villes moyennes "particulièrement fragiles", avec une forte concentration dans la partie nord : Boulogne-sur-Mer, Calais, Maubeuge, Dieppe, Abbeville, Charleville-Mézières, Sedan, Saint-Quentin, Laon, Saint-Dié-des-Vosges, Flers, Vernon, Saint-Dizier... On compte aussi dans le lot Montbéliard, Auxerre, Châtellerault, Vierzon, Nevers, Montluçon, Guéret, Oyonnax, Tulle, Tarbes, Menton... En revanche, les villes moyennes de Bretagne, des façades atlantique et méditerranéenne et de la vallée du Rhône sont dans une situation "favorable".
Le Sénat en "veut plus"
Ces données plaident en faveur d'un plan prioritaire en faveur des villes moyennes, même s'il pourrait aussi s'appliquer aux plus petites villes, dès lors que celles-ci ont un rôle de centralité. Le CGET rappelle que les villes moyennes n'ont pas fait l'objet de politique spécifique depuis 2007 avec l'expérimentation "Villes moyennes témoins", sans remonter à 1973 et aux contrats de villes moyennes. Le nouveau plan gouvernemental "Action cœur de ville" doté de 5 milliards d'euros sur cinq ans (voir ci-dessous notre article du 15 décembre 2017) vise à "créer les conditions efficientes du renouveau et développement de ces villes en mobilisant les moyens de l'Etat et de ses partenaires en faveur de la mise en œuvre de projets de territoire portés par les intercommunalités et les communes centres", insiste le commissariat. Pour l'heure, le gouvernement n'a pas arrêté de liste de villes ciblées. C'est aux maires de manifester leur intérêt. Ceux dont le projet de territoire est déjà bien avancé pourront intégrer le programme dès 2018. Unanimement salué, ce plan suscite beaucoup d'attentes. Mais nombres d'élus et d'acteurs du commerce demandent d'ores et déjà de ne pas s'arrêter aux annonces de vendredi. C'est le cas du Sénat, qui a installé un groupe de travail transpartisan sur la revitalisation des centres-ville et centres-bourg, l'été dernier. Il en "veut plus". Ce plan "est un premier pas 'en demi-teinte'" et il "ne permet pas de faire face à l'urgence pour les commerces de centre-ville, en particulier la nécessité de ralentir voire stopper les implantations de grandes surfaces en périphérie dans les territoires les plus fragilisés", estime le Sénat, dans un communiqué du 18 décembre. Les deux sénateurs qui pilotent ce groupe de travail, Rémy Pointereau (Cher, LR) et Martial Bourquin (Doubs, PS), n'ont pas caché, lors de leurs auditions, leur intérêt pour un "moratoire" sur les grandes surfaces, comme le propose notamment l'association Centre-ville en mouvement. Par ailleurs, selon les sénateurs, le plan "ne comporte pas, à ce stade, de mesures structurelles fortes sur la fiscalité, sur la régulation des surfaces commerciales et, plus généralement, sur l'indispensable rééquilibrage des coûts d'implantation et du fonctionnement entre centres-ville, d'un côté, et périphéries et géants du e-commerce, de l'autre".
Un "point de départ"
La concurrence du commerce en ligne suscite beaucoup de réactions. Alors que le gouvernement a annoncé qu'une mission serait lancée début 2018 par le Premier ministre "sur les distorsions fiscales entre les commerçants physiques et numériques", la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) réclame, pour sa part, dans un communiqué du 15 décembre, "la suppression de la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE) qui frappe uniquement les espaces commerciaux 'physiques' qui contribuent pourtant à l'animation des cœurs de villes". Pour la CPME, ce plan constitue une "grande avancée", il "part dans la bonne direction mais il ne constitue qu'un point de départ". Elle s'inquiète par ailleurs de l'une des mesures fortes du plan en matière d'urbanisme commercial : la suppression, dans les centres-ville concernés, de l'intervention obligatoire de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), jusqu'à présent obligatoire à partir de 1.000 m2. Ce qui, pour la CPME, "n'est pas la solution". "Le risque est de voir demain s'implanter des surfaces commerciales importantes dans les centres-ville, au détriment des commerçants déjà situés dans les cœurs de ville." Pour rappel, la loi de modernisation de l'économie de 2008 avait fait passer ce seuil de 300 à 1.000 m2, ce qui avait engendré un afflux de projets de surfaces commerciales de 999 m2... De son côté, l'Alliance du commerce, qui voit dans ce plan des "signaux très positifs", avance plusieurs pistes en matière fiscale. Dans un communiqué du 15 décembre, elle propose de créer des zones franches urbaines sur un périmètre déterminé par l'intercommunalité (une proposition également défendue par la fédération du commerce coopératif et associé) afin de "tenir compte de ces contraintes plus fortes en centre-ville et rééquilibrer les coûts d'exploitation". Dans ce périmètre, tout nouveau commerce, quelle que soit sa taille et son statut (indépendant, franchisé, commerce associé, succursaliste) pourrait ainsi bénéficier d'exonération de la Tascom et des impôts locaux (TFPB, CFE, CVAE).
De nouvelles coopérations
L'association Villes de France (qui représente les villes moyennes) a réagi dès vendredi pour saluer ce plan. Mais elle regrette que "l'Etat ne s'engage pas davantage sur des mesures plus significatives en matière d'attractivité et de développement économique", en particulier sur les TPE-PME, sur l'économie circulaire, la smart city, l'économie de la transition démographique. Elle souhaite aussi que l'Etat aille plus loin "en matière d'accessibilité aux villes moyennes, notamment par la qualité de la desserte ferroviaire, le développement de l'offre de soins" et qu'il "apporte des garanties du matière de maintien de l'offre l'enseignement supérieur de proximité, éléments essentiels à l'attractivité et à la cohésion du territoire". La CPME demande "la tenue d'Etats généraux du centre-ville pour placer la réflexion au niveau global dans le cadre de l'aménagement du territoire et de l'absolue nécessité de ne pas laisser se creuser la fracture territoriale dont souffre de plus en plus notre pays". Elle invite par ailleurs à ne pas limiter la réflexion aux centres-villes moyennes, rappelant le cœur de ville de Montpellier, ville de 275.000 habitants, connaît un taux de vacance commerciale de 17%.
La note du CGET préfigure une étude plus vaste qui sera publiée au premier semestre 2018. Le CGET s'intéresse aussi aux relations entre les villes moyennes et leur environnement, que ce soit les métropoles, leur département ou les autres villes moyennes environnantes. Il souligne à cet égard de nouvelles formes de coopération, comme l'accord signé en décembre 2016 entre les communautés d'agglomération d'Alès, de Nîmes, de Sète et la métropole de Montpellier en matière de développement économique, de mobilité ou de culture. Autre exemple : "le sillon lorrain qui réunit les villes et les communautés d'agglomération d'Epinal et de Thionville, aux métropoles Metz et Nancy".