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Réforme fiscale - Un "bug" pourrait entraîner une hausse de la taxe d'habitation pour des millions de contribuables

La suppression de la taxe professionnelle risque de faire un dégât collatéral inattendu : faute d'une délibération spécifique, le transfert au bloc communal de la taxe d'habitation départementale se traduira dans certaines intercommunalités par des abattements moins favorables aux contribuables. 3,6 millions de foyers sont potentiellement concernés.

Cet automne, des millions de contribuables pourraient voir leur taxe d'habitation (TH) croître, parfois dans des proportions non négligeables, alors même que leur collectivité n'a pas élevé ses taux. Cette incidence de la réforme fiscale, que nul n'a perçue au moment du vote de la loi de finances 2010, commence à inquiéter sérieusement les responsables des collectivités locales et pourrait faire mentir le gouvernement, selon lequel les impôts locaux des ménages n'augmenteront pas suite à la suppression de la taxe professionnelle.

Cette hausse tient à la mécanique très compliquée de la fiscalité locale et de la réforme en cours de mise en oeuvre. Il faut se souvenir qu'en compensation de la taxe professionnelle, la loi de finances pour 2010 transfère aux communautés – de même qu'aux communes non regroupées en intercommunalité – la part de la taxe d'habitation dévolue auparavant aux départements, soit 5,5 milliards d'euros. Conséquence de ce transfert : les groupements à taxe professionnelle unique, qui n'ont pas d'impôts sur les ménages, sont amenés à prendre, avant le 1er octobre prochain, une délibération concernant les abattements de taxe d'habitation, qui ne peut intervenir sans une étude longue et difficile à mener. De fait, de nombreux groupements seraient dans l'incapacité de voter à temps, d'autant qu'une partie d'entre eux ne sont même pas encore au courant, comme l'affirme l'Association des maires de France (AMF). Faute de délibération de leur part, les abattements de taxe d'habitation décidés par les communes se substitueront alors aux abattements départementaux. Or, pour les contribuables, les premiers sont plutôt moins généreux que les seconds. En outre, les valeurs locatives moyennes servant de base au calcul de l'abattement de TH ne seront plus celles du département, mais celles de la commune. Là encore, ce peut être une source importante de changement pour les contribuables.

Injustice

Le problème est d'autant plus fâcheux que les allègements fiscaux en question bénéficient à des populations aux revenus modestes, aux familles nombreuses ou aux personnes qui rencontrent des difficultés sociales, ces diverses situations étant parfois cumulées. La communauté d'agglomération Sud-est toulousain (Sicoval) a calculé qu'en l'absence de délibération de son conseil, une famille avec trois enfants dont le père est handicapé paiera, dès cet automne, 100 euros de taxe d'habitation en plus.

Les statistiques communiquées par Bercy en réponse aux questions posées par les sénateurs sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle (question n°10) donnent une estimation globale de l'impact du transfert de la TH départementale. Sans intervention des intercommunalités, plus de 3,6 millions de foyers verront leur impôt progresser : 3,5 millions paieront entre 1 et 50 euros de plus, et 170.000 paieront entre 50 et 200 euros supplémentaires. A contrario, la TH baisserait pour 3,6 millions de foyers résidant dans des communes ayant instauré une politique d'abattement plus favorable que celle du département. Mais Valérie Lemaire, directrice générale adjointe du Sicoval, observe à l'échelle de sa communauté que ce type de communes accueille les populations les plus riches. Si celles-ci devaient être les seules à profiter d'une baisse de la TH, la mesure serait d'une très grande injustice fiscale, conclut-elle.

Dilemme

Les communautés peuvent corriger les défauts de la réforme fiscale en décidant de maintenir partiellement ou totalement les abattements départementaux. Outre qu'elles iraient dans le sens d'une plus grande justice fiscale, de telles décisions présenteraient l'intérêt d'harmoniser la TH entre les communes. Mais cela aurait un coût. De fait, toute communauté est confrontée à un dilemme. Soit les ménages subissent les hausses d'impôt : dans ce cas, le transfert est neutre pour le budget de la communauté. Soit celle-ci décide d'intervenir : son budget est alors amputé. Dans ce dernier cas, la neutralité de la réforme fiscale pour les collectivités, si souvent mise en avant par le gouvernement, n'est pas garantie. A titre d'exemple, une prise en charge totale des hausses de TH coûterait 1,4 million d'euros au Sicoval, rien qu'en 2011. La même opération coûterait 5 millions d'euros à la communauté urbaine de Lille, dont les élus ont décidé de réagir. Le 25 juin, ils ont adopté un voeu dans lequel ils demandent au gouvernement d'assurer vraiment la neutralité du transfert de la TH.
Les associations nationales de maires et présidents de communautés ont quant à elles adressé récemment un courrier commun à la ministre de l'Economie, dans lequel elles réclament un report de trois mois de la date-butoir avant laquelle les communautés doivent délibérer. Le ministère n'a pas encore répondu officiellement. Mais lors d'une réunion, le 20 juillet, la directrice de la Législation fiscale, Marie-Christine Lepetit, déclarait qu'un délai d'un mois pourrait être accordé. Heureusement, l'administration centrale commence donc à "prendre conscience" de l'existence du problème, confie Claire Delpech, spécialiste des finances locales à l'Assemblée des communautés de France. Si le gouvernement faisait preuve d'ouverture, le "bug" concernant la TH serait peut-être corrigé dans la loi de finances pour 2011, en vertu de la clause de revoyure demandée par le Sénat.

 

Thomas Beurey / Projets publics


Une délibération à prendre avant le 1er octobre prochain

Dans le rapport qu'ils ont remis le 30 juin à la ministre de l'Economie (lire notre article du 1er juillet 2010, ci-contre), les parlementaires en mission estiment qu'une disposition législative doit intervenir, faute de quoi les communautés ne pourront pas voter cette année une politique d'abattement pour la taxe d'habitation. "Les parlementaires ont voulu garantir à l'intercommunalité le maximum de sécurité juridique", souligne-t-on à l'AMF. En réalité, les communautés peuvent tout à fait, à législation constante, prendre la délibération dès cette année. C'est d'ailleurs ce que confirme le tableau des délibérations à prendre avant la fin de l'année dressé par le ministère de l'Economie.
 

 

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