Un plan d’investissement dans les compétences détourné de son ambition initiale, selon la Cour des comptes

"Le PIC ne devait pas être un plan pour l'emploi mais plutôt un plan structurel d'investissement dans les compétences", analyse la Cour des comptes dans un rapport publié ce mardi 28 janvier auscultant le décalage entre sa philosophie initiale et sa mise en oeuvre par le ministère du Travail. 

C'est une critique sans concession que vient de livrer la Cour des comptes sur la mise en œuvre du plan d'investissement dans les compétences (PIC). Dans un rapport diffusé ce mardi 28 janvier, la plus haute juridiction financière ausculte ce grand plan d’investissement déployé entre 2018 et 2023 en tandem avec les régions, après la série d’évaluations réalisée par le comité scientifique d’évaluation du PIC (lire notre article). Ses rapporteurs constatent le décalage entre les ambitions initiales du plan tel qu’imaginé par l’économiste Jean-Pisani Ferry et la réalité de son exécution. Non, le PIC n’a ni transformé le système de formation, ni vraiment atteint ses objectifs en termes de montée en compétences de la population française, selon eux. 

Le plan d’investissements imaginé par Jean Pisani-Ferry dans le cadre de la campagne d’Emmanuel Macron en 2017 visait à édifier une "société de compétences". "L’entrée ne [devait] plus être le statut de l’individu (élève, étudiant, salarié, demandeurs d’emploi) qui segmente l’action publique selon les périmètres ministériels mais l’investissement social dans le capital humain dès le plus jeune âge", rappelle la Cour des comptes. Une ambition rapidement abandonnée du fait du pilotage de ce plan, entièrement confié au ministère du Travail et non à une instance interministérielle, comme l’envisageait l’économiste. 

De fait, malgré l’exécution du PIC, "les indicateurs économiques demeurent plus dégradés en France qu’ils ne le sont chez ses concurrents directs", constate la Cour des comptes. Ainsi, seuls 52,7% des non-diplômés sont en emploi en 2022 en France, contre 60% en Allemagne et 62,6% au Royaume-Uni. Cette part qui n’a progressé que de 1,7 points en cinq ans, illustrant la difficulté des acteurs publics à pallier les lacunes de la formation initiale. Et si le nombre de non-diplômés baisse, passant de 11,3% des 18-24 ans en 2010 à 7,6% en 2022, la France a du retard dans le niveau de compétences des adultes. 

Un plan "classique"

Le PIC n’a pas permis d’agir directement sur ce problème. "L’ouverture des formations à tous les publics éloignés de l'emploi et pas uniquement aux publics prioritaires peu ou pas diplômés contribue à retirer à ce dernier son caractère original : le PIC ne devait pas être un plan pour l'emploi mais plutôt un plan structurel d'investissement dans les compétences", écrivent les rapporteurs. Trop large aux yeux des rapporteurs, ce plan a financé des dispositifs ne relevant pas stricto sensu de la formation : garantie jeunes puis CEJ, Pacea, écoles de la deuxième chance et établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide).

Par ailleurs, le PIC a été détourné "vers un schéma plus classique de financement du retour à l’emploi par la formation de publics éloignés du marché du travail". La décision d’octroyer la moitié des crédits du PIC aux régions témoignent d’un plan prioritairement régionalisé et principalement tourné vers la formation des demandeurs d'emploi dans un objectif de court terme”. 

En pratique, le PIC n’est donc pas si différent du plan 500.000 formations de 2016. Et comme les autres plans, il n’a pas réussi "à investir le champ des métiers d’avenir des transitions numériques et écologiques". Et en croisant les statistiques de formation avec l’enquête Besoins en main-d'œuvre de France Travail, la Cour des comptes établit que les formations vers les métiers "en tension" ont reculé de 12% entre 2019 et 2022 alors que ces projets de recrutement ont progressé de 30%.

… mais plus de formations de meilleure qualité

Du plan lancé sous le quinquennat Hollande, le PIC se distingue toutefois par sa dimension pluriannuelle, apportant stabilité et visibilité aux acteurs de la formation… À défaut de transformer le système, le volume des crédits affectés - 7,6 milliards d’euros si l’on exclut les dispositifs d’accompagnement cités précédemment - a tout de même permis de "faire plus et mieux", détaille le rapporteur Aymen Ben Miled. Il a ainsi permis de systématiser les diagnostics de compétence, d'individualiser et renforcer les accompagnements et de bâtir des parcours visant des emplois plus durables. Et d’améliorer la rentabilité des organismes de formation. 

Au final, les entrées en formation de personnes en recherche d'emploi ont progressé de 6% entre 2017 et 2022. Cependant, la part des chômeurs faiblement diplômés dans ces flux est restée stable à 52% entre 2018 et 2023. Autant de résultats "encore incertains et fragiles", selon les rapporteurs. La proportion de chômeurs bénéficiaires du RSA à entrer en formation a bien augmenté de 12,8% mais "sans que le lien avec le PIC ne puisse être démontré", estime la Cour des comptes. La faute à des objectifs trop vagues et variables selon les territoires.