Un projet éolien peut-il être porteur de conflits d'intérêts ?

Il peut arriver que le périmètre de réalisation d’un projet éolien englobe des terrains situés sur le territoire de plusieurs communes comprenant une parcelle appartenant au Maire de la commune où est le siège du projet. Ce Maire qui n'a pas participé à la délibération procédant à la création du parc éolien se pose la question de savoir s’il doit aussi ne pas participer à la commission locale dédiée aux questions éoliennes.

Cette problématique qui a déjà suscité des questions parlementaires ainsi qu’une mention dans le rapport d’activités 2013 du Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC), désormais remplacé par l’Agence Française Anticorruption (AFA), présente l’avantage de souligner les différents risques juridiques induits par des situations de conflits entre l’intérêt général de la commune et de ses habitants et l’intérêt privé des élus, exécutifs ou membres, des assemblées délibérantes des collectivités impliquées.  De prime abord, ce risque porte sur la légalité des délibérations prises par les collectivités concernées par ces projets d’implantation d’équipements de production d’énergie renouvelables, au regard des dispositions qui prévoient que sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil municipal intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires (CGCT, art. L.2131-11). Dans une affaire, le juge administratif a considéré que le fait qu’un membre du conseil municipal soit le propriétaire de parcelles destinées à l'élargissement des chemins d'accès à deux des éoliennes projetées, ce qui lui conférait un intérêt certes minime mais néanmoins direct et personnel à l'affaire, ne rendait pas pour autant la délibération contestée irrégulière. En effet, les requérants n’avaient apporté aucun élément de nature à établir que la participation de cet élu à la délibération avait été de nature à exercer une influence décisive sur le résultat du vote (CAA Nancy, 4 oct. 2018, n° 17NC01857). Ainsi, pour apprécier la légalité d’une décision ou d’une délibération, il ne suffit pas d’établir une confusion entre l’intérêt privé d’un élu et l’intérêt public de la collectivité ou de la généralité de ses habitants, il est nécessaire de démontrer que la participation de cet élu « intéressé » à la décision a eu une influence déterminante sur celle-ci. Toutefois, pour une plus grande sécurité juridique des décisions des collectivités et pour une meilleure transparence de leurs activités à l’heure où la confiance dans les décideurs publics semble s’émousser, on ne peut que recommander aux élus se trouvant dans cette situation de s’abstenir de participer au vote portant sur ces décisions.

Pour autant, cette approche pragmatique de la jurisprudence administrative ne met pas à l’abri de tout risque pénal, notamment au regard des conditions d’application du délit de prise illégale d’intérêts. Celui-ci est défini comme le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement (code pénal, art. 432-12).  Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction. Si des exceptions à cette incrimination ont été prévues en faveur des maires, adjoints et conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire des communes comptant 3500 habitants au plus, aucune d’entre elles (transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou fourniture de services, acquisition d’une parcelle d'un lotissement communal ou conclusion de baux d'habitation avec la commune, et acquisition d’un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle) ne correspond à l’hypothèse de l’implantation d’un projet éolien sur des parcelles leur appartenant. Le délit de prise illégale d’intérêts ne concerne que les élus (et les fonctionnaires) qui sont chargés de l’administration ou la surveillance de l’affaire, c’est-à-dire qui sont détenteurs d’un pouvoir personnel, soit de décision, soit au moins de préparation de la décision prise par d’autres. Ainsi la participation au vote d’une délibération et même la simple présence à une assemblée délibérante, sans même rechercher une quelconque influence sur la décision, expose à la prise d’intérêts, à la différence de la jurisprudence administrative précitée. Par ailleurs, pour la Cour de Cassation, le délit se caractérise par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel (Crim. 21 juin 2000, Gross, no 99-86.871). Cette approche s’est imposée au regard de la loi qui mentionne la prise d’un « intérêt quelconque » sans autre précision quant à sa nature. Par ailleurs, cette conception est conforme à la finalité de l’incrimination qui a pour but d’éviter qu’une personne chargée d’une fonction publique puisse seulement être soupçonnée de ne pas en user conformément à l’intérêt général.

Ainsi, au regard de la question posée concernant l’intégration d’une parcelle appartenant à un Maire, fût- elle située sur le territoire d’une commune voisine, il est évident que cet élu ne doit participer à aucune des réunions où se prennent des décisions et où se rendent de simples avis sur ce projet. Mais en outre, il convient de s’interroger sur la suffisance de cette abstention alors que le Maire, en tant qu’exécutif de la commune, est seul chargé de l’administration communale, par l’effet de la loi (CGCT, art. L.2122-18), ce qui lui confère une fonction permanente d’administration et de surveillance de l’ensemble des affaires de la commune. En conséquence, c’est en tant que propriétaire intéressé que le Maire doit envisager son déport du projet afin d’éviter tout risque de prise illégale d’intérêts. En dehors du Maire, cette précaution vaut pour tout autre élu placé dans cette situation qui serait chargé, à quelque titre que ce soit, de l’administration et de la surveillance de ce projet éolien (RM, JO Sénat, 13 nov. 2014, p 2535, n° 13376 ; 15 oct. 2015, p 2415, n° 18371).

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