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Politique de la ville - Un rapport de terrain sur les collégiens en zones sensibles pour éviter le pire

Quatre mois d'études, quatre visites de terrain de plusieurs jours chacune dans quatre sites de rénovation urbaine (en Seine-Saint-Denis, à Roubaix, à Marseille et à Montbéliard) et trois tables rondes thématiques menées en parallèle au Sénat. Le rapport présenté ce mercredi 16 mars par Fabienne Keller, rapporteure et sénatrice UMP du Bas-Rhin, sur "L'avenir des années collège dans les territoires urbains sensibles" dresse un état des lieux de la situation et dessine, par "extrapolation temporelle", trois scénarios envisageables à l'horizon 2025.

Le rapport fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective ne se veut pas un rapport de plus sur le thème du système éducatif. Sa force est d'être une véritable enquête de terrain, de prendre ses informations à la source, auprès des acteurs des quartiers sensibles, tout en "capitalisant" sur les nombreux travaux déjà effectués dans ces quartiers, par la Cour des comptes entre autres. Qu'ils soient professeurs, conseillers d'éducation, éducateurs, sociologues, élus locaux, démographes, policiers et gendarmes, collégiens, tous ont été interrogés, ont apporté leur contribution aux deux questions que pose le rapport : quelles sont les évolutions possibles des facteurs déterminants de l'avenir des jeunes et quel futur va-t-on leur offrir à l'horizon 2025 ?
Si "l'avenir des années collège dans les quartiers sensibles n'est évidemment pas écrit", comme le conclut le rapport, l'état des lieux des quartiers en rénovation urbaine montre à quel point la situation est complexe, explosive et fragile, à l'image de la jeunesse qui y vit. "Un processus de ghettoïsation est à l'oeuvre dans certains quartiers du fait de la relégation des plus pauvres, accentuée pour les personnes d'origine étrangère", rappelle Fabienne Keller pour installer le contexte.

"La spirale de l'exclusion"

Si les enquêtes de terrain montrent que globalement, les collèges assurent très bien leur mission - Fabienne Keller a rappelé le rôle prédominant des enseignants "qui, comme les autres éducateurs, sont souvent des référents pour les jeunes", leur volonté envers et contre tout d'exercer leur métier -, l'étude se veut transversale car d'autres facteurs (sociaux, familiaux et environnementaux) interviennent dans la construction de l'identité des jeunes collégiens.
Et de rappeler les chiffres qui témoignent de la situation plus que préoccupante des zones sensibles. Car souvent, comme il est rappelé dans le rapport, "les quartiers ne vont pas mal, ils plongent". Ainsi, les sempiternels facteurs déterminants des quartiers : 28,8% de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, contre 12% hors ZUS ; 18,6% sont au chômage, contre 9,2% pour le reste du territoire (dont 41,7% des 15-25 ans, contre 19,1% hors ZUS) ; une proportion de bénéficiaires du RMI/RSA deux fois plus importante dans les zones sensibles que sur l'ensemble du territoire (18% contre 9,3%) ; pour plus d'un allocataire sur trois en ZUS, les ressources sont constituées à plus de 50% par des aides de la CAF ; un peu plus de 40% des moins de 25 ans résidant en ZUS vivent en dessous du seuil de pauvreté ; les inégalités en termes de résultats scolaires se creusent : un taux de retard en 6e et de redoublement deux fois plus important que sur le reste du territoire...
L'étude énumère aussi, témoignages à l'appui, les autres facteurs, connus et reconnus, qui accentuent l'enfermement : le manque de transports en commun et donc l'enclavement de villes où la proportion des jeunes est très élevée, le manque d'équipements culturels (la communauté de communes de Clichy-sous-Bois/Montfermeil, qui compte plus de 50.000 habitants, ne dispose ni d'une piscine ni de cinémas)...
Des facteurs qui tendent à faire partir les classes moyennes de ces quartiers, sinon de la commune, dès qu'elles le peuvent. Si l'objectif est de faire venir les autres classes sociales et faire de la mixité, encore faut-il empêcher celles présentes de partir... 

Les leviers d'action pour éviter le pire

A la question "comment pallier la fuite des classes moyennes des écoles de la République" et "enrayer ce processus d'enfermement des collèges de banlieue dans les ghettos urbains", Fabienne Keller propose différents leviers, dont la réalisation d'un manuel scolaire de "l'histoire commune des jeunes de banlieue, partagée entre Français, Maghrébins et Africains", qui est selon elle "un incontournable pour l'avenir des quartiers sensibles et de cette jeunesse en perte de repères collectifs" ; (re)donner toute leur place aux femmes et jeunes adolescentes qui souffrent dans les quartiers d'un manque de communication à leur égard, "rasent les murs" et "préfèrent se marier très tôt pour quitter la cellule familiale" ; recréer de l'emploi "car la socialisation passe par le travail" en adéquation avec l'évolution des familles (horaires décalés, nombreuses familles monoparentales…) ; installer des guichets Pôle emploi, ce qui paraît une évidence et pourtant... là où il en manque (Clichy, par exemple,  et sa nombreuse population jeune et au chomage n'en dispose pas) ; coordonner la politique de la ville... Ou, encore, ouvrir le débat sur la situation des collèges qui jouent un rôle déterminant dans la construction mentale et sociale de la nouvelle jeunesse française, avec des méthodes pédagogiques qui doivent s'adapter aux nouvelles technologies et réseaux sociaux, insiste la synthèse du rapport. Car, comme l'a précisé lors de la remise du rapport Adil Jazouli, sociologue, auteur de livres sur la banlieue et membre du comité de pilotage de l'étude : "Le primaire commence à bouger, le lycée aussi avec ses réformes en seconde, mais le collège n'a pas bougé." 

Le pire et le meilleur

Pour le rapport, il s'agit aussi de s'adapter aux anciennes populations avides de reconnaissance et aux nouvelles (les primo-arrivants), à leur culture, à leur alimentation (le débat sur l'hallal dans les cantines), à leurs langues, de changer les programmes d'enseignement (enseigner les différentes histoires en fonction des nationalités, "peut-être faire un peu moins de 'nos ancêtres les Gaulois'"), de changer le regard que l'on a sur la banlieue, d'utiliser à bon escient l'énergie formidable des jeunes des quartiers "à l'âge de la déferlante hormonale", tel que le rappelle la sénatrice dans un sourire en reprenant une formule d'Adil Jazouli. Faute de quoi on risquerait d'atteindre, le cas échéant, un point de non retour, comme dans le scénario n°1, celui du pire, proposé en fin de synthèse : "La vie sociale est prise en main par les réseaux mafieux ou religieux, la puissance publique s'efface." C'est le scénario du glissement des collégiens et des collèges situés dans les quartiers en rénovation urbaine vers l'enfermement dans les ghettos, annonce-t-elle. Celui des zones de non-droit, pourrait-on dire.
D'un autre côté, si l'on se contente d'un "Etat providence pour maintenir une relative paix sociale", on obtient le scénario n°2 du statu quo, celui du non-choix. Qui risque de glisser à courte échéance vers le scénario n°1, précise avec clairvoyance le rapport.
Le dernier scénario, le plus favorable, est celui de l'investissement de l'Etat à tous les niveaux. C'est celui où la mixité sociale promise est réalisée, celui où les quartiers se fondent progressivement dans la ville, celui de la continuité du plan de renouvellement urbain…
La seule certitude dans tout ça, au-delà des scénarios-hypothèses, rappelle le rapport, est que l'avenir dans ces quartiers sera contrasté. Il n'y a pas un quartier comme "il n'y a pas un jeune de banlieue", rappelle le rapport. Tous ne connaîtront pas la même évolution, mais il est évident que certains d'entre eux sont déjà engagés dans un processus d'enfermement. "Il faut créer du dialogue sur le terrain, être vigilant, ne pas baisser les bras car tout est prêt à exploser", témoigne une enseignante à Clichy-sous-Bois. Il ne faut donc pas se voiler la face. Le rapport le montre sans faire l'impasse sur une certaine réalité des faits émanant du terrain : "Il y a 20 ans, il y avait une volonté de s'intégrer, qui est moins le cas maitenant", "des filles qui ne se rebellent plus contre certaines traditions...", "le problème fondamental est celui de l'absence de maîtrise de la langue française chez les élèves"...
Il reste à espérer que parmi les leviers proposés par le rapport se trouvent effectivement certaines des solutions qui permettront d'intégrer ces jeunes en manque d'identité. Qu'un jour, "on réussira, comme l'assure un ancien principal de collège, à être heureux dans les collèges comme on l'a été pendant longtemps"... et que le meilleur reste à venir.

 

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