Un rapport du CGEDD plaide pour l'abolition des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique 

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a publié début mai un rapport daté de 2020 qui plaide pour l'abolition des cinquante pas géométriques en Martinique et en Guadeloupe. Ce statut foncier, lié à l'histoire coloniale des Antilles françaises, s'applique à une bande littorale d'une largeur de 81,20 m sur laquelle se sont développées de nombreuses habitations informelles menacées par des risques naturels. Face à des enjeux complexes en termes de gouvernance et de relogement des habitants concernés, la mission du CGEDD émet des propositions pour mieux régulariser et transférer ces terrains aux collectivités.

"Eclairer les décisions du gouvernement en matière d'organisation et de moyens à mobiliser avec pour objectif final d'assurer à terme une destination définitive des terrains gérés actuellement par les agences des cinquante pas géométriques en dehors du domaine public ou privé de l'Etat" : telle était la mission confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) fin octobre 2019 par plusieurs ministères (Transition écologique, Cohésion des territoires, Outre-mer, Ville et Logement). Daté de 2020, le rapport de mission n'a été rendu que début mai 2022 mais ses propositions restent d'actualité, alors qu'un nouveau gouvernement vient d'être formé.
La question ô combien complexe des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et Martinique fait en effet l'objet depuis plusieurs années de travaux de corps d’inspection ou de contrôle, ou du Parlement. Elle trouve son origine dans la réserve des "cinquante pas du roi", instaurée au début de la colonisation des Antilles au XVIIe siècle, qui devait permettre d’octroyer des permissions d’occupation. Les terrains compris sur cette zone, d’une largeur de 81,20 mètres et appartenant au domaine public, étaient inaliénables jusqu’en 1996. A partir de cette date, l’État a pu céder des terrains aux communes qui souhaitaient y construire des logements sociaux ou à des particuliers qui y avaient déjà fait construire leur habitation principale. Dans les années quatre-vingt-dix, "plus de 10.000 constructions étaient installées sur les cinquante pas" en Guadeloupe et Martinique, puis des agences des cinquante pas, établissements publics de l’État, ont été installées dans ces deux îles, rappelle le CGEDD. Leur mission : la régularisation d’occupations illicites et l’équipement en voirie et réseaux de ces quartiers informels.

"Situation encore confuse"

Vingt-cinq ans et six lois modificatives plus tard, "la situation reste encore confuse au moment où les zones urbanisées des cinquante pas n’ayant pas encore fait l’objet d’aliénation devraient être transférées aux collectivités de niveau régional dans les deux îles (Collectivité territoriale de Martinique et Région de Guadeloupe)", constate la mission d'inspection. Mais abolir le statut de cette fine bande littorale reste un sujet délicat à plusieurs titres. La question foncière, d’abord, est au cœur de la problématique, en raison de l’ampleur de l’occupation sans droit ni titre. Celle du logement social et très social aussi, "dont le manque est la cause première de la 'colonisation' des cinquante pas par des populations très modestes". Les risques naturels majeurs, ensuite, qui s’accumulent aux Antilles. Derrière ces questions, enfin, l’enjeu d’aménagement, immense, notamment "pour pallier les lacunes de l’habitat spontané en matière d’organisation urbaine".
La définition du foncier concerné par le transfert aux collectivités n’a pas été fixée dans les délais impartis par la loi d'actualisation du droit des outre-mer (Adom) de 2015, si bien que ce transfert n’a pas pu être effectué d’ici fin 2021 comme prévu. La mission propose donc d’installer jusqu’au 1er janvier 2025 une nouvelle période préparatoire au transfert, en rénovant les dispositions pour les rendre efficaces, et de projeter une sortie définitive du statut jugé "anachronique" de la zone des cinquante pas.

Définition de la "consistance parcellaire" des terrains à transférer

Elle entend délimiter les parties urbaines à partir d’une stratégie de protection des écosystèmes antillais, en affectant en totalité les zones naturelles des cinquante pas au Conservatoire du littoral et des rivages lacustres et à l’Office national des forêts et définir "la consistance parcellaire" des terrains des zones urbaines et d’urbanisation future à transférer. Elle propose aussi de "mandater, en lien avec la direction de l’immobilier de l’État, les DRFip pour procéder dans les délais à la vérification des terrains domaniaux aux transferts". Les auteurs du rapport appellent au passage à trancher "le niveau adéquat des collectivités" qui en seront bénéficiaires, "compte tenu de la répartition des compétences d’aménagement opérationnel, aujourd’hui positionnées au niveau du bloc communal" - ils invitent d’ailleurs à "conserver un opérateur d’aménagement d’État".
Le rapport demande encore à faciliter la régularisation "en prévoyant la cession gratuite aux occupants dont le revenu les situe dans les trois premiers quartiles de revenus des ménages, dès lors qu’il s’agit de leur résidence principale". Une récupération de plus-value dégressive avec le temps en cas de vente gratuite par l’État devrait être organisée, estime-t-il. La régularisation deviendrait possible pour les constructions de plus de dix ans à la date de la demande.

Situations de risques à traiter "de toute urgence"

Parallèlement, des situations de risques menaçant gravement les vies humaines doivent être "traitées de toute urgence", estiment les inspecteurs. Des opérations de démolition et de relogement, financées dans le cadre du fonds Barnier, sont donc à identifier dans les meilleurs délais. Ils appellent aussi à "concevoir ces opérations dans le quartier ou à proximité immédiate et en accession très sociale avec un coût du foncier analogue à celui de la régularisation". Les agences des cinquante pas géométriques pourraient bénéficier directement des financements du fonds Barnier. Ils proposent encore de donner aux agences "la capacité opérationnelle d’aménagement", ce qui revient notamment à "prolonger de dix ans leur durée de vie pour leurs seules missions d’aménagement" et à "leur donner une capacité d’initiative équivalente à celle des établissements publics d’aménagement". 
Ils préconisent enfin une direction de projet interministérielle dédiée au sujet. La rupture au fond - le retour de la réserve des cinquante pas dans le droit commun - ne pourra en effet voir le jour que grâce à une rupture de méthode - un pilotage interministériel intégré en mode projet - pour garantir la mise en œuvre complète et coordonnée des mesures qui seront décidées.
 

 

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