Urbanisme - Vers la pénalisation de la poursuite de travaux nonobstant la suspension d'un permis de construire
Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes et président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a déposé le 13 juillet 2010 une proposition de loi tendant à modifier l’article L. 480-3 du Code de l’urbanisme, qui prévoit une peine d’amende de 75.000 euros et éventuellement un emprisonnement de trois mois en cas de continuation de travaux nonobstant une décision judiciaire ou administrative en ordonnant l'interruption.
Selon cet article, et par renvoi à l’article L. 480-4 du même code, ces peines peuvent être prononcées contre les utilisateurs du sol, les bénéficiaires des travaux, les architectes, les entrepreneurs ou autres personnes responsables de l'exécution desdits travaux. Suivant la proposition du député, l’article L. 480-3 serait complété d’un second alinéa rédigé comme suit : "Ces peines sont également applicables en cas de continuation des travaux nonobstant la décision de la juridiction administrative prononçant la suspension de l’autorisation d’urbanisme." Une sanction pénale serait désormais envisageable sur ce fondement à l’encontre des personnes précitées poursuivant des travaux malgré la suspension du permis de construire prononcée par le juge administratif.
Cette proposition vise à combler les lacunes actuelles de la législation pénale en matière d’urbanisme. En effet, si des peines sont applicables en cas de poursuite des travaux nonobstant une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l’interruption, aucune sanction n’est prescrite par les textes concernant la poursuite de travaux en dépit d’une décision juridictionnelle de suspension du permis de construire. Le juge administratif contourne l’obstacle en prononçant malgré tout des condamnations sur le fondement de l’article L. 480-3 du Code de l’urbanisme, en raisonnant par analogie.
Le rapport annuel de la Cour de cassation de 2009 avait relevé ce problème suite à un arrêt de la chambre criminelle du 13 février 2009, tirant les conséquences d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2006. Le bénéficiaire d’un permis de construire, qui avait poursuivi l’exécution de ses travaux en dépit du sursis à exécution prononcé par le juge administratif (procédure équivalente aujourd’hui au référé suspension), avait été sanctionné en première instance sur le fondement de l’article L. 480-3 du Code de l’urbanisme par une amende de 75.000 euros. La cour d’appel d’Aix-en-Provence le condamne à nouveau par un arrêt du 3 juillet 2001, mais cette fois sur le fondement de l’article L. 480-4 relatif à l’exécution de travaux sans permis de construire, décision confirmée par la Cour de cassation par un arrêt du 6 mai 2002. Le contrevenant insatisfait a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a estimé, dans son arrêt Pessini contre France du 10 octobre 2006, que l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme avait été violé en ce que les juridictions françaises auraient étendu le champ d’application des infractions existantes à des faits présentant des similitudes.
La Cour de cassation en a tiré les conséquences dans un arrêt rendu le 13 février 2009 en assemblée plénière. En s’appuyant sur les articles 111-4 du Code pénal et L. 480-4 du Code de l’urbanisme, elle rappelle que "la poursuite de travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n’est pas constitutive de l’infraction de construction sans permis prévue par le second de ces textes".
Il semblerait donc opportun de modifier l’article L. 480-3 du Code de l’urbanisme en y incluant la condamnation pour poursuite de travaux en méconnaissance de la suspension du permis de construire, palliant ainsi un vide juridique.
Fanny Morisseau, Avocat à la Cour, Cabinet de Castelnau
Référence : proposition de loi n°2749 présentée par le député Jean-Luc Warsmann le 13 juillet 2010.