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"Vers une République des biens communs ?", ou comment les communs interpellent les territoires

Sous l'impulsion de la Coop des communs, un ouvrage collectif mêlant recherches et observations de praticiens décrit "l'enracinement des communs dans la société". L'occasion, pour les collectivités locales, de se pencher sur ces mouvements citoyens qui, de nos écoles à la ville, en passant par l'entreprise et le numérique, réinterrogent les notions de propriété, d'usage et de gestion des "biens communs". 

"Des jardins partagés aux logiciels libres, des encyclopédies en ligne aux recycleries installées dans les quartiers de villes ou dans les campagnes, les 'communs' semblent partout fleurir." Que faire de ce "retour des communs", lointaine réminiscence des communaux du Moyen-Age (1) ? Popularisée dès 2009 (en pleine crise des subprimes) par l'attribution du prix Nobel à l'économiste Elinor Ostrom, cette notion désigne "des ressources à la fois partagées et gouvernées par des communautés qui possèdent, vis-à-vis de ces ressources, des droits et des obligations". En cette période de doutes sur le système néo-libéral, les communs sont-ils susceptibles de s'inscrire durablement dans nos modes d'organisation économique, sociale et politique ? C'est l'objet d'un ouvrage collectif intitulé "Vers une République des biens communs ?" (2), présenté le 12 novembre à Paris. Alimenté par les contributions à un colloque tenu à Cerisy en 2016 (3), ce livre a été coordonné par des administrateurs de la Coop des communs, dont Nicole Alix, sa présidente, et Jean-Louis Bancel, président du Crédit coopératif. L'association vise à rapprocher praticiens et chercheurs de l'économie sociale et solidaire et du mouvement des communs.

Une partie de l'ouvrage est dédiée aux liens entre communs et territoires. Dans ces chapitres, mais aussi dans le reste de l'ouvrage, les collectivités et autres autorités locales sont invitées à réinterroger leur rapport aux citoyens sous le prisme des biens communs.

Ecoles, jardins, rues… partager l'administration des biens publics pour en faire des biens communs ?

A partir de l'expérience de villes italiennes, un chapitre de Gregorio Arena est dédié à l'"administration partagée des biens communs". En Italie, le principe de "subsidiarité horizontale" a en effet été consacré dans la Constitution en 2001, l'Etat et les collectivités territoriales étant désormais tenus de favoriser "l'initiative autonome des citoyens, individuellement ou en association, afin de réaliser des activités d'intérêt général".
Président du Labsus (Laboratoire pour la subsidiarité) ayant aidé les municipalités à tirer les conséquences réglementaires et pratiques de ce nouveau principe, Gregorio Arena explique dans le livre pourquoi une telle évolution est selon lui souhaitable. Il ne s'agit pas d'encourager l'implication citoyenne pour permettre aux pouvoirs publics de mieux "se retirer et justifier leur inaction", mais de valoriser "la collaboration entre l'administration et les citoyens, susceptible d'apporter aux questions d'intérêt général une solution plus adaptée que les modèles existants". Il insiste sur le caractère "complémentaire et non supplétif" des interventions des citoyens par rapport à l'action publique. Et, selon lui, quand une communauté assume la responsabilité d'un bien, "c'est d'abord d'elle-même dont elle prend soin".

Il s'agit en particulier d'ouvrir des écoles publiques "au quartier pendant l'après-midi et l'été, pour abriter des activités de formation de toutes sortes". Gregorio Arena recense des centaines de cas de biens publics, tels que des jardins, des fontaines, des rues, pris en charge dans le cadre de "pactes de collaboration" entre citoyens et collectivités pour les "valoriser" et "améliorer la qualité de vie pour tous". Par ailleurs, l'implication des citoyens peut conduire à donner une seconde vie à des "biens publics abandonnés ou sous-utilisés par les administrations" – "l'Italie en compterait 5 millions" -, tels que des écoles fermées dans des villages de montagne.

Gouvernance locale : démocratie contributive et "économie municipale des communs"

Dans un autre chapitre, Pierre Sauvêtre, chercheur au Sophiapol de l'Université Paris Nanterre, se penche sur le "municipalisme des communs" qui serait actuellement expérimenté à Barcelone et en Catalogne, depuis la victoire aux élections de 2015 de la plateforme citoyenne "Barcelone en commun". L'auteur décrit les étapes ayant permis à des mouvements sociaux issus de la crise de 2008 – dont des personnes expulsées de leur logement – d'accéder aux responsabilités et de les exercer, dans une dynamique de coconstruction des politiques publiques avec le plus grand nombre.

Autre facette de ce "municipalisme" : la mise en place d'une "économie municipale des communs" destinée à protéger les populations fragiles. Une politique de régulation de "l'hébergement touristique urbain" a par exemple été conduite pour "éviter les effets négatifs de la hausse des prix du logement, de la spéculation et de l'occupation abusive de l'espace public" (à ce sujet, voir ci-dessous notre article du 2 octobre 2018 "Airbnb : 14 villes européennes saisissent la commission").

"Assemblée des communs", CCI des communs : se structurer pour mieux peser

Ancien élu municipal à Brest et observateur des dynamiques de coopération, Michel Briand a souligné le 12 novembre le lien entre ces mouvements sociaux – à Barcelone, mais aussi à Saillans (Drôme) ou encore en Italie autour de l'eau – et la montée en puissance des communs qui peuvent alors "porter de l'inclusion".

Plusieurs tentatives visent actuellement à renforcer ces approches, dont un réseau international de "villes rebelles" ou "villes refuges" dont Paris serait sympathisante. A l'échelle locale, une "assemblée des communs" est expérimentée actuellement à Lille, a témoigné Maïa Dereva, co-auteur avec Michel Bauwens d'un chapitre du livre sur "l'économie du commun". Une telle instance serait un interlocuteur pour les collectivités désireuses de s'appuyer sur ces citoyens, engagés dans des collectifs auto-gérés et souvent sans personnalité juridique propre. Les "commoners" du numérique rêvent également de "chambres des communs territoriales" qui, sur le modèle des chambres de commerce et d'industrie, seraient là pour veiller à leurs intérêts - c'est-à-dire à l'intérêt du plus grand nombre, ainsi qu'à une répartition équitable de la valeur face au phénomène de captation par des plateformes.

L'organisation du travail : l'entreprise, un "commun de territoire" ?

Enfin, dans un chapitre intitulé "L'entreprise comme commun de territoire", Hervé Defalvard, responsable de la chaire ESS à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, a analysé trois mouvements sociaux d'occupation par leurs salariés d'entreprises en cours de liquidation. L'affirmation de ce "droit d'usage" de leur outil de travail – l'établissement et ses machines –, bien qu'illégal, a acquis une "légitimité territoriale" par la mobilisation des élus, des habitants et des médias locaux, a analysé l'auteur. Dans deux cas sur trois, l'entreprise devenue "commun de territoire" a pu perdurer.

Dans la lignée de l'expérimentation "Territoire zéro chômeur de longue durée" dont l'extension a été récemment annoncée par le président de la République, Hervé Defalvard propose de lancer une nouvelle expérimentation centrée sur les entreprises en difficulté. Il s'agirait de tester un nouveau type de gouvernance territoriale de l'entreprise, dont la finalité serait d'"assurer la durabilité" des actifs de l'entreprise et des emplois sur le territoire. Trois territoires, dont Thiers (Puy-de-Dôme), seraient volontaires pour jeter les fondements d'une telle expérimentation.


(1) "Le retour des communs", sous la direction de Benjamin Coriat, publié aux éditions Les liens qui libèrent (2015).

(2) Ouvrage coordonné par Nicole Alix, Jean-Louis Bancel, Benjamin Coriat et Frédéric Sultan, publié aux éditions Les liens qui libèrent (2018).

(3) A noter qu'un colloque intitulé "Territoires solidaires en commun" aura lieu à Cerisy du 12 au 19 juillet 2019. 
 

 

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