ZAN : le Sénat lance ses travaux, et l’Assemblée son propre texte…

Les députés ont à leur tour déposé une proposition de loi visant à "accompagner les élus locaux dans la mise en œuvre" du ZAN. Et ce, le jour même où le Sénat auditionnait les ministres dans le cadre de sa propre proposition de loi. Christophe Béchu estime que la moitié des articles de cette dernière ne pose pas difficulté. Ce qui laisse une autre moitié, au sein de laquelle figurent en bonne place le caractère prescriptif des Sraddet, les grands projets ou encore la garantie rurale.

"Quel est l’intérêt de se voir aujourd’hui si demain tout est réglé à l’Assemblée nationale ?" Auditionnant ce 14 février le ministre Christophe Béchu (et Dominique Faure, fort discrète), c’est peu dire que le sénateur Jean-Baptiste Blanc (Vaucluse, LR), rapporteur de la proposition de loi de la Chambre haute "visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires" (voir notre article du 14 décembre), n’a guère goûté le dépôt par les députés de la majorité présidentielle de leur propre proposition "visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols" ce 14 février. Le jour même où le Sénat entamait ses auditions. Le ministre s’est défendu de tout "télescopage de calendriers". "Au mois de décembre, je vous ai annoncé que la majorité relative à l’Assemblée nationale, ne souhaitant pas que le débat n’ait lieu qu’au Sénat, déposerait une proposition de loi de manière à préciser ce qu’étaient ses lignes à elle pour, en quelque sorte, pouvoir entamer une sorte de CMP [commission mixte paritaire] virtuelle", a-t-il plaidé.

La loi Climat votée mais vilipendée

On ignore encore si cette "nouvelle manière de produire la loi", pour reprendre les termes du sénateur Ronan Dantec (Loire-Atlantique, Écologiste), sera efficace pour corriger, toujours selon ce dernier, "une loi assez mal fagotée" – la loi Climat et Résilience. "Dénuée d’étude d’impact sérieuse", a rappelé la sénatrice Valérie Létard (Nord, UC), cette loi issue de la convention citoyenne pour le climat n’en a pas moins été adoptée à une très large majorité par des parlementaires qui rivalisent désormais pour la dénoncer. Pour leur défense, la sénatrice argue qu’ils l’ont votée "en responsabilité, car nous soutenons l’ambition écologique". Surtout, elle juge que "la loi votée n’est pas celle que le gouvernement veut faire appliquer", notamment du fait de décrets dont le ministre Christophe Béchu lui-même reconnaît l'imperfection.

Pas de difficulté sur la moitié des articles

Dans l’attente de connaître en détails le contenu de la proposition de l’Assemblée, ce sont donc les mesures de la proposition sénatoriale qui ont été discutées. Avec d’autant plus d’attention que Christophe Béchu a confirmé que cette proposition est "le véhicule par lequel le texte [la loi Climat] peut bouger". Le ministre a salué une proposition "qui comprend beaucoup d’avancées, corrige un certain nombre d’erreurs et a le mérite de proposer des outils nouveaux". Jugeant l’ensemble, il indique qu’"on a environ la moitié des articles sur lesquels on n’a pas de difficultés, quelques-uns pour lesquels nous avons des interrogations sur la manière dont les choses sont écrites et quelques autres qui nous posent des difficultés plus ou moins fortes par rapport à leurs perspectives". 

Les Sraddet au cœur des discussions

Émargent singulièrement au rang de ces derniers l’article 2 de la proposition de loi, qui entend revenir notamment sur la nécessaire "compatibilité" des schémas de cohérence territoriale (Scot) avec les règles du fascicule des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Une disposition qui transformerait ces derniers "en super Scot", alors que "ce n’est pas un document d’urbanisme", souligne Laurence Rouède (Nouvelle-Aquitaine, PS), également auditionnée, pour le compte de Régions de France. Plaidant pour que "l’on en revienne à la loi Notr", l’élue régionale attire par ailleurs l’attention sur le fait que si le délai de révision des Sraddet – "qu’on venait de finir" ! –, devait être allongé – "une bonne chose" –, il conviendra "de ne pas décaler que la partie foncière". Et d’évoquer notamment les modifications induites par la loi Agec sur d’autres volets. "Il faut de la stabilité", plaide-t-elle.

L’allongement des délais ne devrait guère poser difficulté, a indiqué le ministre. Pas le reste. "S’il n’y a pas de trajectoire qui soit prescriptive, il n’y aucune garantie que nous atteindrons les objectifs", prévient un Christophe Béchu prêt "à donner de la souplesse", pas à revoir l’objectif. Si le sujet n’a pas été évoqué, on sait qu’il est également hostile à l’institutionnalisation des conférences des Scot (voir notre article du 9 février). Il est ici rejoint sans surprise par Laurence Rouède qui, sans parler "d’usine à gaz", redoute la "foire d’empoigne", sans que cela réponde "à 100% à l’absence de représentation de tous les maires".

L’écueil de la comptabilisation des grands projets

Autre sujet de discorde, la comptabilisation des grands projets d’envergure nationale. Le ministre a une nouvelle fois clairement indiqué qu’il n’entendait pas les exclure du décompte, mais qu’il était favorable à une mutualisation nationale. "Penser que les LGV passées donnent des droits nouveaux à artificialisation […] et qu’à l’inverse ceux qui n’ont pas eu le désenclavement auraient non seulement l’attente, mais en plus on leur prendrait maintenant la totalité de l’espace […], c’est une forme de double peine qui ne semble pas juste", argue-t-il notamment. Christophe Béchu estime que la liste de ces grands projets doit avoir un "caractère limitatif" (Élisabeth Borne avait indiqué au dernier congrès des maires qu’elle serait établie au premier trimestre – voir notre article du 24 novembre dernier). Il évoque les LGV, les centrales nucléaires, les prisons, mais exclut les projets économiques, jugeant "souhaitable qu’il y ait une émulation entre les territoires".

À en juger par les débats, ces projets suscitent pourtant une forte inquiétude chez les élus qui soulignent leur impact direct, mais aussi indirect (les logements induits, notamment) sur la consommation foncière. "Même mutualisés, ils ne pourront être compensés", estime Jean-Baptiste Blanc, qui ne prédit rien de moins, à terme, que la fin des projets structurants en France. Une prophétie que ne partage pas le ministre. "Si on s’amuse à faire des soldes, il faut aussi regarder ce que l’on va faire en moins", invite-t-il, en relevant que "sans ZAN, la plupart des élus ont déjà commencé à se demander comment faire en sorte de rationaliser le foncier". "Personne n’imagine demain faire de grandes zones commerciales de périphérie sur des surfaces aussi importantes que celles qu’on a connues par le passé", ajoute-t-il. Et d’observer : "Ce n’est malheureusement pas des projets industriels ou même des projets avec beaucoup d’emplois qui ont le plus artificialisé ces 30 dernières années. On s’est retrouvé avec une décorrélation des trajectoires d’artificialisation et de création de richesses et d’accueil de population".

La garantie rurale, plus qu’un chiffre

Autre difficulté, qui semble moins aiguë, le "droit à l’hectare" que les sénateurs entendent instituer pour chaque commune. Si le ministre se dit d’accord sur le principe – proposé, rappelons-le, par la Première ministre elle-même lors du dernier congrès des maires – il entend lui subsister un droit à "1% des surfaces urbanisées", au bénéfice des seules communes rurales. Le dispositif reste encore flou, Jean-Baptiste Blanc dénonçant vertement le mutisme de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages. Le ministre a promis des éclaircissements, évoquant "7 à 8 modes de calcul possible", qui aboutiraient grosso modo à "18.000 hectares pour les communes peu denses et 4.000 hectares pour les communes très peu denses". Pour Jean-Baptiste Blanc, le compte n’y est pas. "Les communes peu denses et très peu denses, cela s’appelle les communes rurales. Elles sont 30.775. Avec notre disposition, c’est 30.775 hectares. Avec la vôtre, c’est 22.000 hectares". 

Un compromis semble néanmoins possible. Pour Stéphane Sautarel (Cantal, LR), il est "indispensable" pour répondre à la perte de confiance des élus locaux, également relevée par Dominique Faure, ministre chargée des collectivités territoriales et de la ruralité (qui présentera d’ici fin mars "un accompagnement des maires pour les aider à porter un projet de territoire"). "Il ne serait pas acceptable que l’artificialisation qui a occupé notre pays sur essentiellement sa métropolisation soit aujourd’hui payée par les secteurs ruraux", estime par ailleurs le sénateur. "Le ZAN est vécu comme une perte de solidarité", relève à son tour la sénatrice Sonia de La Provôté (Calvados, UC). Il semble être la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la "perte de confiance et de responsabilité" ressentie par "les maires des petites communes rurales qui, à travers l’intercommunalité, se sentent un peu marginalisés, un peu oubliés, beaucoup parfois", comme le souligne le sénateur Jean-Marc Boyer (Puy-de-Dôme, LR). Bref, au-delà des chiffres, le caractère symbolique de la mesure semble importer. Laurence Rouède appelle d’ailleurs de son côté "à raisonner plutôt par projets". "La sobriété foncière, c’est vertueux. Mais la vertu se perd en chemin. La loi pousse tout le monde sur du quantitatif, et pas du qualitatif", regrette-t-elle.

Impensés du ZAN

Celle qui est également vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine a par ailleurs déploré les "impensés du ZAN" : le logement social, le trait de côte, les capacités de renaturation, les énergies renouvelables… Autant de sujets qu’ont relayé les sénateurs présents, Éric Kerrouche (Landes, SER) y ajoutant notamment les différences d’attractivité des territoires, et singulièrement la pression sur le littoral. Une liste de sujets qui n’est pas sans rappeler celle dressée par la Première ministre lors du dernier congrès des maires (voir notre article précité), auxquels le ministre a répondu pied à pied, ou presque.

"La loi SRU est un mauvais exemple", estime-t-il ainsi, relevant qu’il existe "des communes qui ont du foncier et ne tiennent pas leurs objectifs SRU", et inversement. "Oui, il y a une pression sur le littoral". Mais "notre intérêt collectif n’est-il pas de limiter aussi l’artificialisation là où elle est déjà très élevée ?", interroge-t-il, en ajoutant qu’"en partant de ce principe, on s’est retrouvé historiquement à voter une loi Littoral". Non, "ce n’est pas parce qu’on est dans un territoire rural qu’on n’a pas urbanisé. Tous les territoires ont participé" à l’étalement urbain, observant que 60% de ce dernier lors des dix dernières années a été conduit "en zonage C, et 5% en A". 

Ne pas perdre de vue l’objectif

Plus globalement, le ministre a lui aussi invité ses contradicteurs à ne pas perdre de vue l’objectif – la lutte contre l’étalement urbain et ses effets sur le changement climatique, "qui se retournera contre ceux qu’on prétend défendre ce soir". Pas sûr qu’il aura convaincu. Une chose est, en revanche, certaine : pour qui s’intéresse à la légistique – cette science de l’élaboration des textes normatifs –, nul doute que le ZAN constitue une matière particulièrement fertile.

 

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