Zones à faibles émissions : l'inquiétude gagne du terrain chez les professionnels… et les élus

Dans la métropole du Grand Paris, le calendrier d'application de la zone à faibles émissions (ZFE) suscite de plus en plus d'inquiétudes chez les professionnels. Mais dans la capitale comme dans d'autres grandes métropoles concernées par l'instauration progressive des ZFE ou zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m), certains élus locaux affichent aussi leurs préoccupations.

Artisans, commerçants, livreurs... les professions fortement dépendantes de leur véhicule redoutent que l'interdiction progressive des véhicules polluants dans la zone à faibles émissions (ZFE) de la métropole du Grand Paris ne mette en danger leur activité.

"On va être bloqués", explique Antony Hadjipanayotou, plombier-chauffagiste à Clamart (Hauts-de-Seine). Cinq de ses six véhicules sont classés Crit'Air 3 (diesel antérieur à 2011 et essence avant 2006) et ne pourront théoriquement plus circuler à partir de juillet prochain. Une échéance qu'il redoute, n'étant pas en mesure de renouveler son parc automobile. "On ne pourra pas emprunter pour tous les véhicules en même temps", observe-t-il. Pour son véhicule au gaz naturel, classé Crit'Air 1, il a déjà déboursé 38.000 euros.

L'interdiction du Crit'Air 3 est un pas de plus vers l'objectif "100% véhicules propres" fixé par la ville et la métropole du Grand Paris pour 2030. Délimitée par l'autoroute A86, la ZFE francilienne concerne 77 communes, soit 5,61 millions d'habitants. Au-delà du Crit'Air 3, la crainte de devoir passer à un moteur électrique ou hybride domine.

Christophe Dassonville, poissonnier, parcourt quotidiennement 240 kilomètres pour relier son entreprise, installée à La Chapelle-Moutils (Seine-et-Marne) aux marchés franciliens. Un trajet qu'il estime incompatible avec l'autonomie des utilitaires électriques, d'autant qu'"il faut y ajouter le poids des batteries qui diminue la charge utile et l'eau salée susceptible de les abîmer".

"Et comment on recharge nos camions ? Il y a très peu de marchés avec des bornes électriques", appuie Maria Da Silva, charcutière à Drancy (Seine-Saint-Denis) et vice-présidente de la Fédération nationale des marchés de France. Dans le secteur réservé aux poissonniers de Rungis, il y a seulement quatre prises pour environ 5.000 camions.

Tensions dans le secteur du transport de voyageurs

Mêmes tensions dans le secteur du transport de voyageurs. "Une majorité d'autocars viennent de province ou de l'étranger. Ils ne peuvent pas venir en véhicules électriques, qui n'ont qu'une autonomie maximum de 250 km", explique Jean-Sébastien Barrault, président de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Sur les 66.000 autocars de leur parc automobile, la FNTV en compte 69 électriques et 1.200 au gaz naturel. Ce qui semble impératif, selon lui, c'est de "sauver le véhicule diesel". En France, 52,5 % des autocars sont Crit'Air 2 (tous les diesels, et les essences d'avant 2011) et ne pourront plus rentrer dans la ZFE parisienne en 2024, selon le calendrier. "Il faut un calendrier réaliste et cohérent avec la disponibilité du matériel proposé par les constructeurs, et des dérogations quand c'est nécessaire", appelle le président de la FNTV.

"Nous ne sommes pas à deux ans d'un régime drastique concernant les automobilistes", tempère Bruno Millienne (MoDem), député des Yvelines et co-rapporteur de la mission flash consacrée aux mesures d'accompagnement de la ZFE. "Il faut veiller à ce que les solutions les plus logiques puissent se mettre en place territoire par territoire."

"Quand j'ai commencé à entendre parler de la ZFE, j'ai préféré anticiper", explique Sylvain Dey, gérant de la poissonnerie Vents et Marées dans le XIXe arrondissement de Paris. Depuis un an et demi il a opté pour le leasing (location) de deux camions hybrides à prolongateur d'autonomie électrique. Avec des mensualités de 600 euros et des rechargements à Rungis, Paris ou à son entreprise, cela lui revient à "bien moins cher qu'un achat direct".

"L'électrification à 100% est envisageable pour les véhicules particuliers et les petits utilitaires. Pour les plus conséquents, il faut miser sur les carburants de synthèse", indique Bruno Millienne. "Aujourd'hui, à l'exception de l'oléo100 (qui peut bénéficier de la vignette Crit'Air 1), tous les carburants alternatifs ne sont pas reconnus", explique Jean-Sébastien Barrault. "S'ils l'étaient, ce serait une solution pour nous inscrire dans la transition énergétique, sans devoir acheter de nouveaux véhicules."

Toulouse, Lyon, Strasbourg, banlieue parisienne... : certains élus locaux inquiets eux aussi

La stratégie de mise en oeuvre des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m), qui concernera la plupart des agglomérations de plus de 150.000 habitants d'ici 2025, ne fait pas non plus l'unanimité chez les élus locaux. Alors que le gouvernement vient de nommer l'architecte-urbaniste en chef de l’État Édouard Manini, comme coordinateur national des ZFE-m, "interlocuteur privilégié des parties prenantes, et en particulier des collectivités locales", sur le déploiement de ces zones, et que le comité de concertation national, qui réunira des représentants des collectivités, des associations, des entreprises et des artisans, des acteurs du transport routier et de l’État, a également été lancé ce 12 janvier, aux côtés de France urbaine, certains élus locaux se disent préoccupés par l'instauration progressive du dispositif.

À Toulouse, depuis le 1er janvier 2023, les véhicules Crit'Air 4, 5 et non-classés sont interdits de circulation dans une partie de la métropole. Mais Jean-Luc Moudenc, maire de centre-droit de la ville rose, "ne donne aucune instruction à la police municipale" pour verbaliser les automobilistes qui ne sont pas en règle, estimant que l'État doit revoir sa copie, notamment en augmentant les aides financières au changement de véhicule. "Nous demandons au gouvernement de doubler l'aide de l'État. Le reste à charge, aujourd'hui, même avec le cumul des aides - État, métropole et parfois région - est encore bien trop important pour nos concitoyens les plus modestes", affirme l'élu. "On a voté le principe d'un pass ZFE, une souplesse qu'on va accorder pendant au moins trois ans, elle permettra à toute personne qui a un véhicule polluant de rentrer dans la ZFE 52 fois par an", précise Jean-Luc Moudenc.

À partir du 1er janvier 2024, la métropole de Lyon (1,4 million d'habitants) interdira progressivement les véhicules Crit'air 4 et 3, et souhaite également interdire les Crit'Air 2 au 1er janvier 2026 pour n'autoriser que les Crit'Air 1, avec des dérogations possibles jusqu'en 2028. "L'exécutif de la métropole de Lyon souhaite avoir le pied sur l'accélérateur alors qu'il y a un décalage total avec le quotidien des habitants", note le conseiller métropolitain d'opposition Philippe Cochet (LR), maire de Caluire-et-Cuire (Rhône). Le périmètre de la ZFE devrait être aussi étendu en 2024 vers l'Est lyonnais. "Une aberration absolue", selon Christophe Geourjon, conseiller métropolitain et régional d'opposition (UDI), pourtant "favorable à la ZFE". "Le projet cible à la fois les habitants et les salariés les plus modestes", selon lui.

Autour de la capitale, Patrice Leclerc, maire PC de Gennevilliers (Hauts-de-Seine, 48.000 habitants) est l'un des premiers à avoir émis des réserves sur la ZFE de la grande banlieue parisienne, où les Crit'air 3 devraient être interdits d'ici le 1er juillet 2023. "La ZFE est nécessaire, surtout que ce sont les milieux populaires qui souffrent le plus de la pollution, mais il faut les aider à prendre ce virage. Sinon, c'est toujours aux mêmes qu'on demande le plus d'efforts", explique l'élu. Il propose notamment de créer des "ZFE pistes" pour les transports en commun afin de fluidifier le trajet banlieue-centre-ville ou encore de multiplier par cinq l'aide financière pour le plan vélo.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2023 dans 33 communes de l'Eurométropole de Strasbourg, la ZFE exclut les Crit'air 5. Thibaud Philipps, maire LR d'Illkirch-Graffenstaden, commune de 26.000 habitants du Bas-Rhin, et vice-président de la région Grand-Est, est l'un des principaux opposants. S'il n'est pas contre la ZFE, il désapprouve la manière dont elle a été mise en place. Il regrette en particulier le manque de communication et aspire à "un accompagnement sur mesure pour les plus défavorisés, qui ont souvent les véhicules les plus vieux".