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Aménagement numérique - Zones à mauvais débit : un "casse-tête" à traiter aussi en priorité

Le déploiement du réseau très haut débit en fibre optique devrait s'étaler au moins sur dix années. Que faire, dans ce cas, pour ne pas trop désavantager les usagers servis dans les tranches éloignées ? Améliorer la performance de leur connexion pour les aider à passer le cap plus confortablement ? La table ronde "priorité aux zones à mauvais débit" organisée par l'Avicca dans le cadre du "Trip 2012", présentait quelques expériences de terrain allant dans ce sens. La dimension technico-économique et la contrainte financière révèlent une complexité à laquelle l'ensemble des territoires - principalement ruraux - vont être ou sont déjà confrontés.

Un "levier" de réduction de la fracture numérique

En 2020, près d'un tiers des habitants de la Somme ne seront pas éligibles au très haut débit. Aussi le schéma directeur élaboré par le conseil général leur garantira-t-il des accès à 10 Mbps, ce qui suppose un accroissement de performance des réseaux existants… De son côté, l'Oise, dont le réseau public en fibre optique apporte déjà le "triple play" (internet, téléphone, télévision) à plus de 10.000 nouveaux foyers, peut envisager plus sereinement de donner la priorité du déploiement de la fibre aux zones disposant du plus faible débit.
Mais la faible performance des connexions n'affecte pas seulement certaines zones rurales, elle peut toucher aussi les zones péri-urbaines. L'agglomération de Bordeaux compte encore 15.000 foyers mal desservis (moins de 2 Mbps). Afin de corriger ce déséquilibre, la communauté urbaine de Bordeaux prépare un plan d'urgence "haut débit pour tous".
En milieu rural, comme en milieu urbain, la "montée en débit" vise à réduire la fracture numérique et à rendre, si possible, les foyers éligibles au "triple play". De telles actions accompagnent systématiquement le déploiement du FTTH dans les schémas départementaux afin de compenser le "préjudice" subi par les foyers contraints d'attendre au moins cinq années l'arrivée de la fibre.
De telles actions se révèlent complexes. Elle impliquent souvent des interventions sur mesure, afin d'épouser au mieux les conditions particulières de chaque territoire. Et surtout, elles mobilisent d'importantes capacités d'investissement. "Le coût moyen d'une ligne améliorée (NRA ZO fibre optique) nous revient à 850 euros, soit trois fois celui d'une ligne FTTH en zone urbaine. C'est le prix à payer pour un aménagement du territoire de qualité en milieu rural, mais les chiffres illustrent aussi le caractère très inégalitaire dans lequel nous sommes contraints d'agir", constate Mireille Bonnin, directrice du département numérique au conseil général de l'Oise.

Profiter des opportunités de l'agenda du déploiement et des technologies

"La difficulté est d'obtenir le meilleur rapport entre la qualité des services rendus et les coûts, sachant que certains investissements seront plus pérennes et que l'éventail des technologies et de leurs modèles économiques complexifient l'équation à résoudre", souligne Pascal Bourdillon, chef du service TIC au conseil général du Cher. "Mieux vaut travailler sans parti-pris, ajoute-t-il, car il faut également savoir saisir les opportunités."
Ainsi, le fait d'obtenir de France Télécom le report du déploiement de la fibre dans certaines zones afin de traiter en priorité les plus mal desservies a sans doute fait économiser plusieurs millions d'euros à la communauté urbaine de Bordeaux (CUB). Sept communes en bénéficieront par anticipation, dès 2014. "Elles représentent près de la moitié des foyers du plan d'urgence et constituent une opération blanche pour l'institution", rappelle Béatrice de François, vice-présidente de la CUB.
Mais à côté des actions "commando", la montée en débit est plutôt une démarche de longue haleine. Elle consiste à proposer "un mix technologique" ciblant, la plupart du temps, le relèvement du seuil de performance de la boucle locale de cuivre et l'usage de technologies additionnelles, comme la radio ou le satellite, afin d'accroître la bande passante et d'atteindre un taux de couverture à 100%.

Amélioration des performances du cuivre : une addition "salée"

La montée en débit s'opère le plus souvent sur des technologies filaires. Le NRA-Med (nœud de raccordement à l'abonné "Montée en débit") est un peu la "Rolls". Ce point de raccordement mutualisé, régulé par l'Arcep (tarifs et conditions d'implantation) et proposé par France Télécom aux collectivités territoriales, permet de rapprocher les abonnés des installations des opérateurs tout en maintenant les conditions d'exercice d'une saine concurrence. Obligatoirement relié à un réseau optique, ce type de NRA  autorise des débits supérieurs à 10 Mbps.
Mais l'offre est controversée. Comprise entre 120.000 et 250.000 euros en fonction de la longueur de la fibre à poser, elle représente une solution coûteuse pour les collectivités territoriales et ne génère aucune recette. L'installation dans la Somme de 119 NRA-Med et de quelques NRA de plus ancienne génération mobilisera sur 3 ans environ 20 millions d'euros, représentant un coût moyen par ligne supérieur à 900 euros.
Autre inconvénient de la formule NRA Med, souligné par l'Avicca : "La collectivité ne maîtrise ni les tarifs ni les services proposés" et l'offre ne s'articule pas toujours avec les schémas directeurs en place, ce qui peut fortement perturber les programmes de déploiement locaux de la fibre.
Le conseil général du Cher sera l'un des premiers à expérimenter une autre offre dite "PRP" (point de raccordement passif). Conçue par l'Arcep, elle fait partie du catalogue de France Télécom et semble moins coûteuse à déployer. De plus, elle ne cannibalise pas les réseaux existants puisque le délégataire conserve ses clients et ses recettes. "Seul inconvénient, France Télécom dit ne pas encore maîtriser cette solution et surtout ne montre pas grand enthousiasme à la promouvoir", commente Pascal Bourdillon.

Le haut débit hertzien a peut-être un avenir…

Les autres solutions de montée en débit sont hertziennes terrestres a travers des offres  portées par cinq ou six petits opérateurs : le Wimax, qui reste une technologie limitée par ses performances (1 à 10 Mbps ), et d'autres solutions radios dans la bande de fréquences "libre" des 5,4 Gigahertz comme le WifiMax (technologie propriétaire de NomoTech, une filiale de SFR Développement) ou l'AirMax (Infosat), qui semblent aujourd'hui plus évolutives.
"Les expérimentations en préparation dans la Somme devraient proposer des débits compris entre 30 et 50 Mbps", indique Jean-François Vasseur, président de Somme Numérique. "Mais il s'agit pour l'instant de quelques zones blanches très spécifiques", souligne de son côté Philippe Legrand, vice-président de NomoTech, qui reste pour l'instant prudent sur la portée de l'opération encore en phase de pré-montage.
L'avantage de ces technologies est sans aucun doute leur coût de déploiement raisonnable : "Nous savons couvrir un département pour moins de 5 millions d'euros", précise Philippe Legrand, qui propose par exemple des abonnements triple play à 18 Mbps et à 30 euro dans le Calvados. Le principal inconvénient reste leur sensibilité au reflief. Les performances vont en effet fortement dépendre de la densité du réseau d'antennes. En outre, le marché, estimé à 40 millions d'euros en France, demeure relativement confidentiel. L'exemple du Cher qui a déployé cette technologie sur l'ensemble de son territoire ouvre toutefois des perspectives nouvelles.

La boucle locale radio du Cher "à la loupe"

Le département rural du Cher, qui compte 320.000 habitants, a lancé en 2009 une délégation de service public (DSP) fixant des objectifs ambitieux : traiter 100% des demandes sur le territoire avec un accès internet de 2 Mbps et pour un budget limité à 6,5 millions d'euros. Les contraintes imposées ont orienté l'ensemble des réponses sur des solutions radios. Aujourd'hui, le réseau est déployé. "Nous sommes satisfaits du résultat, explique Pascal Bourdillon. L'accès à internet fonctionne bien, le débit réel de 5,5 Mbps, mesuré au niveau des utilisateurs, est assez proche du débit théorique annoncé. En revanche, la sensibilité de cette technologie au relief nous a conduit à installer 190 émetteurs et à poursuivre la densification."
Pour rester objectif, Pascal Bourdillon ne cache pas non plus une commercialisation "parfois difficile", assurée par quelques fournisseurs d'accès internet (FAI) parfaitement inconnus du grand public, et un réseau n'autorisant pas encore le "triple play"… Le délégataire a pourtant enregistré 1.000 abonnés et connaît une croissance de 50 à 75 nouveaux entrants chaque mois (le point d'équilibre se situe à 3.000 abonnés). La stratégie de passage au très haut débit désormais arrêtée (Sdan adopté en juin 2012) prévoit un investissement de 93 millions d'euros sur 10 ans et une nouvelle architecture.
Comme dans la Somme, le FTTH couvrira 70% des foyers à l'horizon 2021. Les 30% restants s'appuieront d'abord sur l'ADSL existant (35%) et sur quelques NRA Med (5%), afin de limiter les dépenses, mais sans dogmatisme ("là ou la radio reste peu performante, nous ferons de la montée en débit cuivre si nécessaire") ; ensuite, le conseil général prévoit une montée en puissance de l'offre radio (50%) qui tient compte de l'expérience acquise ; enfin, l'ensemble sera complété par des lignes satellite très haut débit (10%). Sur ce dernier point, les explications données confirment la dimension "résiduelle" de l'usage du satellite : "Il est certes indispensable pour obtenir des taux de connexion à 100%, car disponible partout, mais se révèle peu performant y compris sur les nouvelles générations. En outre, il est bridé par des quotas mensuels et la téléphonie sur IP ne semble pas encore au point", constate encore Pascal Bourdillon. Résultat, le coût total des investissements ne devrait pas dépasser 12 millions d'euros, ce qui ne semble pas excessif.
NRA-Med, WiFi, satellite, stratégies de déploiement… les illustrations d'actions de montée en débit ne manquent pas et si elles racontent toutes des histoires spécifiques, leur déploiement peut enrichir l'action publique. Il serait utile de mieux valoriser les bonnes pratiques identifiées et, surtout, d'étudier en détail les coûts réels engendrés par la montée en débit. Le constat de dépenses parfois très élevées engagées par certains conseils généraux suggère en effet qu'il pourrait être bon de se pencher sur des scénarios de transition plus rapides vers la fibre optique afin de mesurer le différentiel des charges d'investissement. Peut-être réserveraient-ils quelques surprises…

 

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