Agenda rural français et fonds européens : une cohésion à parfaire

Une étude récemment publiée par l’ANCT, rédigée par Leader France, souligne l’insuffisante articulation entre les politiques européenne et nationale en faveur du développement rural, d’autant plus préjudiciable que les fonds européens accordent une faible place à cet objectif. L'étude recommande de s’appuyer davantage sur les GAL pour favoriser cette articulation, ou encore de créer un fonds dédié afin de faciliter le cofinancement des projets soutenus par Leader. 

Renforcer la complémentarité des fonds européens avec l’Agenda rural français, telle est la préconisation d’une étude réalisée par Leader France pour l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT). Elle relève en effet que l’articulation entre ces dispositifs, difficilement mesurable, est aujourd’hui très hétérogène et globalement insuffisante. Rappelons d’ailleurs, à l’appui de la thèse, que ce n’est que dans un second temps que les travaux de l’acte 2 de cet Agenda rural avaient intégré un groupe de travail dédié aux questions européennes (voir notre article du 15 novembre 2022).

Une articulation difficilement mesurable…

Premier constat, l’articulation entre les dispositifs de l’Agenda rural – un catalogue de mesures en mal de stratégie, jugea naguère l’IGEDD (voir notre article du 13 avril 2023) – et les fonds européens est difficilement mesurable. L’étude pointe notamment la visibilité "particulièrement réduite" de l’impact du Feder 2014-2020 : "Aucun financement n’a été spécifiquement fléché vers le développement rural, contrairement au développement urbain." Un défaut qui, pour les auteurs de l’étude, "participe à renforcer le sentiment d’inaccessibilité de ce fonds pour les territoires ruraux". À tort, puisque l’étude estime à plus de 55% l’apport du Feder au développement rural. Si la nouvelle programmation est en progrès – avec l’introduction de l’objectif spécifique (OS) 5.2 ("Encourager le développement social, économique et environnemental intégré et inclusif ainsi que la culture, le patrimoine naturel, le tourisme durable et la sécurité ailleurs que dans les zones urbaines") –, l’étude insiste sur la nécessité d’améliorer, quantitativement et qualitativement, la mesure des actions (et résultats) conduites en faveur du développement rural. Elle suggère en particulier de favoriser le "rural proofing" ("test rural", voir notre article du 12 juillet 2021) afin de s’assurer que les politiques européennes soient "alignées sur les besoins et réalités des zones rurales".

… variable…

Difficilement mesurable, cette articulation est en outre jugée très variable.

Elle est jugée plutôt "naturelle" pour le numérique – principalement financé par le Feder (les infrastructures, comme le très haut-débit, la téléconsultation) et le programme Leader dans le cadre du Feader (tiers-lieux numériques, matériels informatiques avec un objectif marketing ou touristique…) –, l’accès aux soins/l’aide au vieillissement – financé par le Feader (Leader et la mesure 7 - "services de base et rénovation des villages"), bien que cela reste une thématique "peu développée" dans ce cadre "malgré la crise sanitaire" –, ou le soutien aux petits commerces, qui bénéficient tant du Feder que du Feader, mais aussi d’initiatives directes de l’Agenda rural, comme 1.000 cafés (voir notre article du 25 avril 2023), Bouge ton coq (voir notre article du 31 janvier 2023), Bistrots de pays, Villages vivants…

Elle serait davantage défaillante en matière d’accessibilité des services aux publics, en raison de priorités différentes : l’Agenda rural (aujourd'hui remplacé par le plan France ruralités) se concentrait sur l’administration publique (Maisons de service au public et Maisons France Services), alors que le Feader privilégie la notion de services à la population sans la limiter aux "services publics" (aménagement d’espaces publics et d’équipements de proximité, amélioration de l’accès aux services…). De même en matière de mobilités, du fait d’une "différence de vision" entre les mesures de l’Agenda rural, axé "sur la politique du dernier kilomètre", et celles financées par les fonds européens, "orientées vers les mobilités dites douces et l’acquisition de matériel partagé électrique" (le Feader bénéficiant surtout aux mobilités douces, quand le Feder finance des infrastructures plus importantes).

Elle est encore jugée "très limitée" dans le domaine de la jeunesse, axe important de l’Agenda rural, mais matière "souvent rattachée à des compétences nationales comme l’éducation, le service civique et la formation professionnelle". Si de nombreux projets sont traités via le Fonds social européen, le Feader joue néanmoins son rôle, via des investissements liés au sport, à la culture ou encore à l’enfance.

… mais "indispensable"

Or l’étude souligne que cette articulation est pourtant d’autant plus "indispensable" que "la part du développement rural reste faible dans les financements européens", dont elle déplore qu’ils restent très agricolo-agricoles. "Seuls environ 10% du Feader et du Feder ont été, sur cette programmation, engagés dans les territoires ruraux", évalue-t-elle. Visant en particulier le deuxième pilier du Feader, elle constate que 70% des crédits ont été fléchés sur seulement 5 des 20 mesures prévues, toutes "agricoles" : largement en tête, les indemnités compensatoires de handicap naturel ou autres contraintes spécifiques, suivies de l’aide aux investissements favorisant les performances économiques et environnementales de l’exploitation agricole, les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), les aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique et l’appui au développement des exploitations agricoles et aux entreprises, qui couvre l’aide à l’installation de jeunes agriculteurs et aux entrepreneurs non agricoles s’installant dans les zones rurales. 

S’appuyer sur Leader…

Si l’étude juge que la mise en œuvre de France ruralités (voir notre article du 15 juin 2023) "doit permettre une meilleure articulation des politiques européennes et nationales pour le développement rural", elle suggère d’autres pistes. Afin de renforcer les synergies entre Agenda rural, autorités de gestion, et territoires ruraux, les auteurs de l’étude – plaidoyer pro domo ? – recommandent singulièrement "une reconnaissance et le renforcement du rôle des groupes d’action locale" ainsi que "l’appui à l’ingénierie territoriale", estimant au passage que c’est "en grande partie" cette dernière qui a permis à Leader d’apparaître comme "la mesure la plus représentative du développement rural en France". Ils préconisent dans le même temps un renforcement de la formation et de la communication sur cet Agenda rural, l’étude ayant mis en évidence le défaut de connaissance de ce dernier par les acteurs des fonds européens.

Par ailleurs, ayant relevé que l’un des principaux freins aux actions de développement rural "est le cofinancement public obligatoire en contrepartie du Feader", l’étude recommande la création d’un fonds dédié aux projets soutenus par Leader, qui pourrait être alimenté par un fléchage des crédits de la DETR/DSIL. Loin d’être un atout, elle estime en effet que "la multiplicité des cofinancements publics mobilisables" (1.063 cofinanceurs publics, hors maître d’ouvrage public, recensés), pénalise, en rendant difficile leur accès aux porteurs de projets, notamment privés, et en participant au manque d’articulation avec les politiques de développement rural au niveau régional ou national.

… augmenter et sanctuariser leurs fonds

Estimant au-delà "nécessaire de concentrer davantage de crédits européens sur les territoires ruraux", l’étude demande en outre "une augmentation et une sanctuarisation des crédits" de développement durable au sein de la PAC. Si les auteurs considèrent que l’introduction de l’OS 5.2 du Feder est "une première réponse importante", ils déplorent en effet, sans surprendre, que "la décision de garder uniquement 5% des crédits du Feader" pour Leader dans le plan stratégique national "ne facilite pas la prise en compte des territoires ruraux".