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Aide au développement : le projet de loi Lopdsi bloqué par le "1,2%" ?

Annoncé pour le printemps, puis l’automne, le projet de loi d'orientation et de programmation de la politique partenariale de développement et de solidarité internationale (Lopdsi) ne sera finalement pas examiné au Parlement avant 2020. Alors que le texte doit revaloriser leur rôle, les collectivités estiment que la contrainte budgétaire du "1,2%" inscrite dans les "contrats de Cahors" menace la coopération décentralisée.

Après l’heure… c’est encore l’heure. Alors que la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (Lopdsi) du 7 juillet 2014 est arrivée à échéance, sa révision se fait toujours attendre. Fort heureusement, l’article 15 de la loi dispose qu’elle s’applique "jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation". Une mesure d’autant plus bienvenue qu’il est désormais certain que le nouveau texte – qui doit notamment renforcer le rôle des collectivités en la matière – n’est pas près d’être adopté.

Pas de discussions parlementaires avant 2020

Espéré au printemps dernier (voir notre article), au point que la commission des affaires étrangères désignait dès le 13 février le député Hervé Berville (LREM), par ailleurs auteur d’un rapport  sur le sujet, rapporteur du "projet de loi d’orientation et de programmation sur la politique de partenariats pour le développement solidaire sous réserve de son dépôt", le texte ne sortit finalement pas de terre.
Dans son discours de politique générale du 12 juin dernier, le Premier ministre actait le retard, indiquant que le projet serait "déposé au Parlement à l’automne et discuté en 2020". En juillet, le ministère des Affaires étrangères annonçait pourtant qu’il serait "soumis à l’avis du Conseil économique, social et environnemental avant d’être présenté en conseil des ministres puis déposé et débattu au Parlement à l’automne 2019". Il n’en sera rien. Le Premier ministre a confirmé aux sénateurs, lors de sa déclaration sur la politique migratoire de la France et de l'Europe du 9 octobre, qu’il leur sera proposé de l’examiner "au cours de l'année 2020".

Le "verrou de Bercy"

Interrogé, André Viola, président du conseil départemental de l’Aude, qui a succédé en juillet à François Rebsamen à la vice-présidence de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) au titre de l’Assemblée des départements de France, nous a fait savoir qu’il ne connaissait pas les raisons de ce report. Au ministère, on invoque l’argument d’un calendrier parlementaire "particulièrement embouteillé". De même dans l’entourage de Hervé Berville, où l’on affirme toutefois que le projet devrait bien être présenté en conseil des ministres "avant la fin de l’année". En concédant néanmoins que "des arbitrages seraient encore en attente". Tel est effectivement le cas.
Dès la session plénière de la CNCD du 13 décembre 2018, les collectivités avaient alerté sur le fait que les engagements du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018 de "doubler les financements transitant par les collectivités territoriales" (point 24.2 du relevé de conclusions du Cicid ) seraient "privé[s] d’effet si les subventions apportées par l’État ou l’Union européenne continuent d’être incluses dans l’assiette prise en compte pour déterminer le montant des dépenses de fonctionnement plafonnées en application de la loi n°2018-32 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022" (voir l'avis de la CNCD ) Autrement dit en application de la contractualisation financière obligeant les grandes collectivités à contenir l’augmentation de leurs dépenses réelles de fonctionnement à un taux annuel de 1,2% - les désormais fameux "contrats de Cahors".
Afin de sortir de l’impasse et de surmonter cette "injonction contradictoire" de l’État, les représentants des collectivités ont proposé plusieurs pistes. Un compromis avait semble-t-il un temps été trouvé, prévoyant que les recettes externes et dépenses corrélatives dédiées à des projets de coopération décentralisée ou d’action internationale seraient sorties de l’assiette de calcul des 1,2%. Las, à leur grande surprise, les participants de la 3e session extraordinaire du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) du 22 mars 2019 ont découvert que la mesure avait été purement et simplement supprimée du texte qui leur était soumis. Depuis, en dépit de demandes au président de la République, que l’on dit, comme le ministre des Affaires étrangères, sensible à l’argument, le dossier est bloqué – Bercy et Matignon ne paraissant pas décidés à céder. La question n’avait d’ailleurs pas été mise à l’ordre du jour de la réunion de la CNCD du 2 juillet dernier.

Succession de rendez-vous manqués

Le nouveau Conseil du développement** est aux abonnés absents. Annoncé d’abord pour juillet par le Premier ministre dans son discours de politique générale, il avait finalement été reporté, ce dont s’était d’ailleurs ému le collectif Coordination Sud (qui regroupe 117 organisations non gouvernementales) dans une tribune au Journal du Dimanche. Le président de la République lui-même a ensuite indiqué, lors de son discours à la conférence des ambassadeurs du 27 août, qu’il se tiendrait "début octobre". Mais il n’en fut rien. L’Elysée nous a indiqué qu’"il n’y a pas, à ce jour, de date arrêtée à ce sujet".
En outre, aucune nouvelle séance du CNDSI – qui aux termes du décret n°2013-1154 "se réunit au moins deux fois par an", et même "trois fois par an depuis 2015", selon le ministère des Affaires étrangères – ne s’est tenue depuis celle de mars ni ne semble programmée à ce jour.

Un objectif présidentiel difficile à atteindre

La question de la trajectoire budgétaire vers l’objectif présidentiel d’atteindre 0,55% du revenu national brut consacré à l’aide publique au développement d’ici 2022 (soit environ 15 milliards d’euros), puis 0,7% en 2025, n’est également pas sans poser difficulté. Le taux de 2018, désormais connu, est identique à celui de 2017 : 0,43% (soit 10,3 milliards d’euros en 2018), contre 0,44% fixés par le gouvernement lors du Cicid de 2018. Si le budget de 2018 était, comme le soulignait le député Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis de la commission des Affaires étrangères, en séance le 3 juin, "un budget de transition" (le niveau le plus bas avait été atteint en 2014, avec 8 milliards), la marche à franchir reste substantielle, en dépit des augmentations du budget 2019 et de celles prévues dans le projet de loi de finances pour 2020 actuellement en discussion. Elles sont d’ailleurs jugées insuffisantes par beaucoup, sans qu’un montant précis fasse l’unanimité. Le 3 octobre dernier, lors de l’audition du ministre Le Drian à l’Assemblée, la député Bérengère Poletti estimait ainsi l’effort budgétaire à conduire au cours des deux prochains exercices budgétaires "à hauteur de 1,6 milliard d’euros", quand les députés Jean-Michel Clément et Jean-Paul Lecocq l’évaluent respectivement à 4 milliards d’euros et 5,5 milliards d’euros supplémentaires. "Alors que le président Macron continue de crier haut et fort son ambition d’atteindre la cible des 0,55%, les ONG sont de plus en plus dubitatives quant à la capacité du gouvernement d’atteindre cet objectif", a de son côté déclaré l’ancienne ministre Cécile Duflot, administratrice de Coordination Sud.

 

**Dont la création a été décidée lors du Cicid du 8 février 2018 (point 15.1 du relevé de conclusions) ; il est présidé par le président de la République et se réunit "à un rythme ad hoc".

 

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