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Formation professionnelle - Apprentissage en France et en Allemagne : des différences majeures

Avec un taux de chômage des jeunes trois fois moindre qu'en France, le modèle allemand de l'apprentissage est souvent pris en exemple. Dans une enquête en deux volets menée à Berlin, Localtis tente de comprendre ce système et d'analyser ce qui le différencie du système français qui patine. Premier volet avec le rôle primordial des partenaires sociaux et des entreprises. Ces dernières sont responsables de la formation des apprentis et des moyens pour la mettre en oeuvre.

Le modèle allemand de l'apprentissage est souvent mis en exergue comme pour mieux marquer les défaillances du système français. La première des différences tient au nombre d'apprentis, beaucoup plus important en Allemagne (1,3 million d'apprentis) qu'en France (420.000). Un écart à nuancer toutefois, car, comme le notait récemment une étude de la Dares (ministère du Travail), outre-Rhin, l'apprentissage fait partie intégrante du système éducatif, ce qui reviendrait en France à comptabiliser les bacs pros par exemple.
Au-delà des chiffres, la grande différence tient au rôle central des entreprises. Celles-ci sont reconnues, tant par l'Etat que par le corps social, comme l'opérateur naturel et principal de cette formation dite "professionnelle" ou "système dual". Elles sont ainsi chargées de dispenser les formations aux apprentis et de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour les mener à bien, y compris leurs rémunérations (en moyenne 400 euros par mois). Coût pour l'entreprise : 15.000 euros par an et par apprenti. Rien ne les oblige à se lancer dans ces activités de formation. Elles ne reçoivent ainsi aucune prime ni subvention pour l'embauche d'apprentis contrairement au mécanisme d'incitation financière français. En France, les entreprises sont chargées de recevoir en formation des apprentis, et reçoivent en contrepartie des aides financières (prime de 1.000 euros par an et par apprenti). Elles ne sont pas responsables du financement de leur formation mis à part leur rémunération.
20% des entreprises allemandes assurent cette formation. Elles y ont tout intérêt car, par ce biais, elles "peuvent former leur propre main d'oeuvre qualifiée", comme l'explique Mario Patuzzi, chef de division, politique générale en matière de formation professionnelle et de formation continue à la fédération des syndicats allemands (DGB), à l'occasion d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis) en novembre 2014.
Du côté des apprentis, l'avantage est de se préparer, à travers cette formation professionnelle, au marché du travail. Leur taux d'insertion une fois la formation terminée est plutôt bon : entre 95% selon le ministère de l'Economie, et 65% selon les syndicats. Le nombre d'entreprises formant des apprentis est toutefois en diminution : 25% en 2004 contre 30% en 1994. Et le nombre d'élèves souhaitant suivre des études universitaires, au lieu d'une formation par l'apprentissage, a tendance à augmenter, signe de l'érosion lent du système.

Le rôle de l'Etat fédéral et des "Länder"

Dans ce système allemand, les chambres de commerce et d'industrie et les chambres des métiers jouent aussi un rôle important. "Chaque contrat conclu doit être présenté aux chambres et enregistré", signale ainsi Karola Wolprecht, chargée de mission main d'oeuvre spécialisée, politique de formation et formation professionnelle, au ministère de l'Economie. Les chambres consulaires sont également responsables de l'organisation des examens, et elles sont chargées de vérifier si les entreprises sont toujours aptes à dispenser des formations. De ce côté, "il y a un équilibre parfois difficile à tenir entre les tâches qui nous sont confiées et les services que nous proposons à nos entreprises adhérentes, souligne Theede Sandra, chargée d'affaires pour les questions liées à la formation professionnelle à la chambre de commerce et d'industrie de Berlin, il peut y avoir des conflits d'intérêts. Mais le plus souvent, nous réglons les problèmes en nous rendant sur place, dans les entreprises."
En France, les CCI sont aussi impliquées dans l'apprentissage. Elles financent des centres de formation d'apprentis et assurent la promotion de ce système de formation, par l'intermédiaire des développeurs de l'apprentissage notamment. Elles n'ont en revanche pas de rôle en matière d'examens et de contrôle de la formation.
L'Etat allemand fixe quant à lui le cadre légal de la formation en entreprise, à partir d'un certain nombre de requis minima (contenu et organisation matérielle de la formation). Il contribue accessoirement au financement de la formation, par l'intermédiaire des Länder, les régions allemandes. Ces derniers sont ainsi responsables des 1.600 écoles professionnelles dans lesquelles les apprentis réalisent leur apprentissage théorique, à raison d'un à deux jours par semaine (contre trois à quatre jours par semaine en entreprise). Ils participent aussi aux opérations de promotion de l'apprentissage et au soutien à l'insertion de certains groupes cibles défavorisés. "Les Länder reçoivent des informations pour adapter leurs écoles de formation, mais ils sont en deuxième ligne", explique-t-on au ministère de l'Economie.
Un système bien différent de la logique française, où les régions prennent de plus en plus de poids en matière d'apprentissage. Depuis la loi du 13 août 2004, les régions françaises définissent et mettent en oeuvre la politique régionale d'apprentissage, avec notamment la participation au financement des centres de formation d'apprentis (CFA). Dans le cadre de la nouvelle réforme de l'apprentissage (loi du 5 mars 2014), elles ont été reconnues comme l'échelle pertinente de déploiement des politiques d'apprentissage. Depuis lors, elles bénéficient d'une ressource autonome et dynamique dans ce domaine. Une nouvelle fraction régionale, de l'ordre de 51%, a ainsi été créée dans la taxe d'apprentissage, pour les régions. Elles sont également chargées de financer les primes d'apprentissage destinées aux entreprises pour lesquelles elles perçoivent une compensation (une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). 

Le système d'auto-administration

En termes budgétaires, l'Allemagne consacre près du double de la France à l'apprentissage : 11,5 milliards d'euros, dont 5,6 milliards d'euros issus des entreprises et 5,9 milliards de l'Etat et des Länder (3,2 milliards d'euros). "Le budget est réparti entre les entreprises et le public, avec une participation plus importante des Länder côté public", détaille-t-on au ministère allemand de l'Economie.  En France, les dépenses pour l'apprentissage, tous financeurs confondus, s'élevaient à 5,88 milliards d'euros en 2011 : 2,3 milliards de l'Etat ; 2 milliards des régions ; 1,16 milliard des entreprises, le reste se répartissant entre les ménages, Pôle emploi et l'Unédic, et une petite part pour les autres niveaux de collectivités.
Autre spécificité du système allemand : l'implication des partenaires sociaux. Les syndicats de salariés, à l'image de DGB, sont étroitement associés à la régulation du système. Ils mettent en avant les intérêts des salariés et des apprentis. Ils définissent, avec le patronat, les contenus et les conditions matérielles de réalisation de la formation. Les pouvoirs publics ne jouent quant à eux qu'un rôle de médiateur, avec un pouvoir d'arbitrage rarement utilisé. "Les contenus de formation ne sont pas décidés par les ministères mais par les partenaires sociaux qui négocient pour arriver à un consensus", détaille ainsi Stefan Schnorr, sous-directeur artisanat et politique de formation au ministère de l'Economie.
Enfin, dernière différence : la référence au métier. Les partenaires sociaux définissent en effet pour chaque formation le métier concerné. A l'heure actuelle, 330 métiers sont homologués. Il y en avait 350 il y a dix ans, et "il devrait y en avoir entre 310 et 320 dans dix ans", précise Mario Patuzzi. Ces référentiels métiers, validés par les ministères, précisent les compétences professionnelles et savoir-faire nécessaires pour obtenir l'examen.

 

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