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Après le procès du coq Maurice, une proposition de loi pour défendre le patrimoine sensoriel des campagnes françaises

Que "les émissions sonores et olfactives" puissent "faire l'objet d'une inscription au titre du patrimoine sensoriel des campagnes", c'est ce que prévoit une proposition de loi fort étayée que vient de déposer le député Pierre Morel-À-L'Huissier.

Pierre Morel-À-L'Huissier a tenu parole. Après le procès du coq Maurice – remporté par ce dernier (voir nos articles ci-dessous du 5 juillet et du 5 septembre 2019) –, le député (apparenté UDI et Indépendants) de la Lozère et ardent défenseur de la ruralité avait promis, le 4 juillet dernier, de déposer une proposition de résolution en faveur de la reconnaissance et du respect du mode de vie rural. Ce dépôt était alors envisagé sous une dizaine de jours. Le délai a finalement été plus long qu'annoncé, mais la proposition de résolution s'est transformée en proposition de loi "visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises" et y a gagné en densité juridique. Le texte est cosigné par une cinquantaine de députés issus de différents groupes de l'Assemblée (UDI et Indépendants, LR, Mouvement Démocrate, Libertés et Territoires).

Un patrimoine menacé

Dans un long exposé des motifs, l'élu de la Lozère estime qu'après de multiples affaires (cloches de Bondons, mare aux grenouilles de Grignols, coq de l'île d'Oléron...), "le patrimoine immatériel des campagnes françaises est sous la menace des actions en reconnaissance d'un trouble anormal de voisinage". Avocat de profession, Pierre Morel-À-L'Huissier se livre à une intéressante analyse de cette notion, qui remonte à un arrêt fondateur de la Cour de cassation du 27 novembre 1844. Sur un plan plus sociétal, l'exposé de motifs relève que les actions en justice, qui tendent à se multiplier, "sont souvent intentées par des vacanciers ou des 'néoruraux', qui ne supportent pas ce genre de nuisances".

Contrairement à certaines suggestions – comme dans la lettre ouverte aux parlementaires du maire de Gajac (voir notre article ci-dessous du 27 mai 2019) –, l'exposé des motifs précise que "les sons et odeurs de la campagne n'entrent pas dans le champ du patrimoine culturel immatériel défini par l'Unesco", et pas davantage dans celui de l'inscription à l'inventaire national du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France, certes plus large (433 inscriptions contre 17), mais fondé sur les mêmes critères.

Une décision relevant d'une commission départementale

La proposition de loi procède donc différemment. Elle crée dans l'article L.1 du code du patrimoine, qui définit ce dernier, une nouvelle catégorie : le "patrimoine sensoriel des campagnes". Elle introduit ensuite dans le code du patrimoine un titre consacré à cette nouvelle catégorie et regroupant plusieurs articles. Le premier d'entre eux prévoit ainsi que "les émissions sonores et olfactives des espaces et milieux naturels terrestres et marins, des sites, aménagés ou non, ainsi que des êtres vivants qui présentent au regard de la ruralité un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent à tout moment faire l'objet d'une inscription au titre du patrimoine sensoriel des campagnes, par décision de l'autorité administrative".

Une commission départementale – calquée sur le modèle de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture – est chargée d'examiner les demandes d'inscription. Contrairement à ce qu'indique l'exposé des motifs, cette commission n'est pas seulement "consultée lors de l'inscription". L'un des articles de la proposition de loi prévoit en effet que "l'inscription au titre du patrimoine sensoriel des campagnes est effectuée d'office par l'autorité administrative ou sur demande de la commission [...] ou sur demande de toute personne qui justifie d'un intérêt à le faire" (ce dernier point semblant pour le moins fragile sur un plan juridique).

Plus de recours pour trouble anormal de voisinage, mais des recours quand même

La composition de cette commission départementale devrait être précisée par décret, mais la proposition de loi indique déjà qu'elle comprend "des personnes titulaires d'un mandat électif local ou national, des représentants de l'État, des représentants d'associations ou de fondations ayant pour objet de favoriser la connaissance, la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine sensoriel des campagnes, et des personnalités qualifiées". La présidence reviendrait à un membre disposant d'un mandat électif, le préfet assurant la vice-présidence. Par ailleurs, cette commission pourrait aussi "proposer toutes mesures propres à assurer la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine sensoriel des campagnes".

Enfin, la proposition de loi introduit une dernière précision d'importance : "Les nuisances sonores ou olfactives relevant des émissions inscrites sur le fondement de l'article L.660-1 ne peuvent être considérées comme des troubles anormaux de voisinage". L'exposé des motifs prend toutefois soin de préciser que cette disposition ne prive pas les plaideurs de toute possibilité de recours. Elle laisse en effet la possibilité de mise en cause d'une responsabilité pour faute, notamment au regard des exigences posées, en matière de nuisances sonores, par le code de la santé publique et, en matière de nuisances olfactives, par celui de l'environnement.