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Atteintes environnementales : le Sénat adopte les nouvelles dispositions sur les juridictions spécialisées

Le Sénat a bouclé dans l'après-midi du 25 février l'examen en première lecture du projet de loi relatif "au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée". Le texte entend notamment améliorer la réponse judiciaire aux atteintes à l'environnement.

Il aura suffi d'un après-midi au Sénat ce 25 février pour boucler l'examen en séance du projet de loi relatif "au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée" défendu par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Le texte, qui avait été présenté en conseil des ministres le 29 janvier dernier, adapte la procédure pénale de la France à la mise en place en novembre prochain du Parquet européen qui sera compétent pour les "fraudes portant atteinte aux intérêts financiers" de l'Union européenne (escroqueries à la TVA, faits de corruption, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance, de blanchiment d'argent et certains délits douaniers).

"Une réponse judiciaire effective et plus rapide"

Le projet de loi vise aussi à renforcer la justice pénale spécialisée, en particulier en matière d'atteintes environnementales. Face à l'urgence écologique, le texte "hisse notre organisation judiciaire à la hauteur de notre ambition politique et des attentes de nos concitoyens", a défendu Nicole Belloubet. "Le contentieux environnemental représente seulement 1% des condamnations pénales et 0,5% des condamnations civiles", a-t-elle indiqué. L'action quotidienne des inspecteurs de l'environnement permet, par la mise en œuvre des mesures de police administrative, de prévenir, de sanctionner, voire de réparer les infractions les plus courantes à l'égard de l'environnement. Mais certaines atteintes exigent une réponse judiciaire effective et plus rapide, car ces actes constituent des dommages graves et irréversibles à l'environnement pour lesquels une réponse administrative ne peut suffire pour faire cesser les manquements." "Lorsque la justice est saisie, elle doit être efficace", a poursuivi la ministre. "Cela passe par une organisation et des réponses judiciaires rénovées. Nous créons donc dans ce texte une justice pour l'environnement construite en première instance sur trois niveaux."

Trois niveaux d'organisation

Les dossiers les plus fréquents (décharges sauvages, infractions aux permis de pêche ou de chasse, permis de construire illégaux, pollution visuelle et sonore) continueront à être traités par les tribunaux judiciaires dans chaque département. "Quand plusieurs tribunaux judiciaires existent dans un même département, un tribunal pourra, le cas échéant, être spécialisé pour ce contentieux, comme le permet la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice", a précisé Nicole Belloubet.
Pour la protection contre les atteintes graves ou la mise en péril de l'environnement, une juridiction spécialisée de première instance est créée dans chacune des 36 cours d'appel. "Ces juridictions pour l'environnement auront vocation à traiter, par exemple, les pollutions d'effluents ou des sols par des activités industrielles, les infractions au régime des installations classées qui dégradent l'environnement, les atteintes aux espèces ou aux espaces protégés, les infractions à la réglementation sur les déchets industriels, etc., a-t-elle expliqué. Nous spécialisons dans ce cas-là à la fois les magistrats qui dirigent ces enquêtes et ceux qui jugeront les affaires. Cela permettra de raccourcir le délai de traitement des procédures, qui, actuellement, n'est pas satisfaisant. Cela permettra aussi de mieux maîtriser la technicité du droit applicable."
Enfin, dernier niveau, "pour les accidents industriels causant des victimes multiples ou pour les risques technologiques majeurs – comme les activités nucléaires –, nous maintenons les pôles nationaux environnement et santé publique qui existent aujourd'hui et qui sont basés à Paris et à Marseille, a poursuivi la ministre. Ils sont compétents à eux deux sur l'ensemble du territoire national. Typiquement, une affaire comme celle de Lubrizol restera de la compétence de l'un de ces pôles."
Quelle que soit la juridiction de première instance saisie, les affaires seront jugées en appel par la cour d'appel territorialement compétente.

Création de la "convention judiciaire écologique"

Le projet de loi prévoit également la mise en place d'"une nouvelle réponse judiciaire", la "convention judiciaire écologique". Pour Nicole Belloubet, "il n'est plus acceptable qu'il soit économiquement rentable pour une entreprise de causer un préjudice écologique ou de s'affranchir des règles qui permettent de préserver notre santé et notre cadre de vie". Inspiré de la convention judiciaire d'intérêt public utilisée dans la lutte contre la corruption, ce dispositif destiné à "responsabiliser" les entreprises doit permettre "sous le contrôle du juge, la réparation du préjudice en complément du versement d'une amende".
Mais il a cristallisé les critiques de la gauche. Les groupes PS et CRCE à majorité communiste ont tenté en vain d'obtenir sa suppression, craignant "une justice à deux vitesses" (Jean-Pierre Sueur, PS), ou "une justice d'exception" (Guillaume Gontard, CRCE). "N'est-ce pas une sorte de permis de polluer ?", a interrogé Jérôme Durain (PS), tandis qu'Éliane Assassi estimait qu'"il y a fort à parier que les entreprises fautives se tireront d'affaire à moindre frais". Le rapporteur Philippe Bonnecarrère (centriste) a au contraire défendu l'"efficacité" de la mesure. "C'est une manière de donner à la justice des leviers extrêmement puissants", a renchéri le président de la commission des lois, Philippe Bas (LR).

Eaux de ballast

Plusieurs amendements relatifs à l’environnement ont par ailleurs été discutés. Deux d'entre eux, déposés par les groupes RDSE et socialistes, ont été adoptés, avec l’avis favorable du rapporteur et du gouvernement. L'un vise à permettre l'immobilisation d'un navire qui a jeté ses eaux de ballast chargées d’organismes nuisibles et pathogènes dans les eaux territoriales et intérieures françaises, dans l'attente du versement d'un cautionnement garantissant le paiement des amendes et la réparation des dommages. En l’absence de cautionnement, les condamnations prononcées contre des capitaines et des armateurs de ces navires étrangers restent inexécutées. "C’est plus efficace pour recouvrer les amendes, comme on le voit pour les rejets volontaires d’hydrocarbures", selon le sénateur écologiste Joël Labbé. L’autre amendement modifie la rédaction de l’article 6 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité. Il prévoit une incrimination en cas de non-respect d’une mise en demeure de remettre en état une exploitation ou un ouvrage après cessation d’activité, aucune peine n’étant prévue avant l'adoption de la loi.

Peine complémentaire dans les transports publics

Le projet de loi comprend encore plusieurs mesures diverses, dont l'institution d'une nouvelle peine complémentaire pour les personnes majeures ayant commis des "infractions graves" dans les transports en commun. Elles pourront se voir interdire l'accès aux transports collectifs pour une durée maximale de trois ans. Inscrite dans la loi d'orientation des mobilités, cette disposition avait été censurée comme "cavalier" législatif par le Conseil constitutionnel. Pour le rapporteur, cette mesure vise surtout deux types d'infractions, "celles que commettent les 'frotteurs' et les voleurs à la tire dans le RER ou le métro". Mais la gauche l'a jugée "disproportionnée et peu opérationnelle".
Un vote solennel sera organisé mardi prochain sur l'ensemble du texte qui ira ensuite à l'Assemblée nationale.

 

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