À Barlin (62), école maternelle et Ehpad font bon ménage

La ville de Barlin a décidé d'installer son école maternelle au sein d'un Ehpad. Une première en France qui, par effet domino, a réglé bien des questions dans la commune. À commencer par la volonté de renforcer les liens intergénérationnels.

Une simple idée peut parfois débloquer plusieurs situations à la fois. C'est ce qui est arrivé à Barlin en ce début d'année 2023. Dans cette commune d'environ 7.500 habitants du bassin minier du Pas-de-Calais, à environ 8 kilomètres de Béthune, le maire Julien Dagbert a, dès le début de son mandat en 2018, décidé de travailler sur le bien-vieillir. "On se pose des tas de questions pour trouver des solutions afin de faciliter le vieillissement et accompagner au mieux les seniors, explique l'élu. Nous avons créé une assemblée des aînés et un service de mobilité avec une navette pour faciliter les transports. "Cette politique en faveur des aînés est en particulier tournée vers l'Ehpad de la commune, doté d'une soixantaine de lits, d'une résidence autonomie de 24 chambres et d'une unité fermée Alzheimer, et géré par l'Ahnac (Association hospitalière nord Artois clinique), un acteur reconnu de la santé publique dans les Hauts-de-France. Malgré ces réalisations, une question restait en suspens dans l'esprit de Julien Dagbert : l'intergénérationnel.

En octobre 2020, alors que la crise sanitaire bat son plein et que de nombreux projets sont en sommeil, le maire tombe sur un documentaire diffusé par Canal + : "Une vie d'écart". Il montre des élèves de grande section de maternelle qui, pendant six semaines, font l'école dans un Ehpad. Aussitôt, l'édile se dit que c'est le type de projet qu'il faudrait à sa ville pour créer du lien. Avec son adjointe à l'éducation, il imagine déplacer une fois de temps en temps quelques classes au sein de l'établissement pour personnes âgées de la commune.

Puis, en décembre 2021, le projet prend une tournure nouvelle et décisive. "Nous nous sommes rapprochés de l'inspectrice d'académie car l'école était menacée de fermeture. Il y avait trop peu d'effectifs, trente-trois élèves pour deux classes, raconte Julien Dagbert. L'idée était donc de la sauver en la transférant grâce à un projet un peu ingénieux." L'idée ? Elle a tout simplement consisté, avec l'accord de l'Ahnac, à transférer les classes menacées de fermeture… dans les locaux de l'Ehpad.

Réticence des parents

Le chantier va alors durer toute l'année 2022. Premier obstacle à surmonter : obtenir l'aval de l'inspection académique. "Pour l'académie, explique le maire, la priorité devait être le respect du programme d'enseignement de l'Éducation nationale dans sa globalité. Il fallait être vigilants là-dessus, même si on créait des moments intergénérationnels."

Autre obstacle à franchir : la réticence des parents qui s'est rapidement manifestée. "C'est normal, admet Julien Dagbert. On chamboule les façons de faire et les habitudes." Un chamboulement qui promettait d'aller au-delà des élèves concernés car l'école maternelle était alors couplée avec l'école élémentaire. Il a alors fallu gérer les fratries car des enfants d'une même famille fréquentaient parfois les deux niveaux. Une navette gratuite pour faciliter le transport des enfants de maternelle vers leurs nouveaux locaux, situés à moins de deux kilomètres de l'ancienne école, a été mise en place.

Enfin, il était indispensable d'adapter les nouveaux locaux pour accueillir au mieux les enfants. Dans l'ancien bâtiment, il y avait deux salles de classe et un dortoir pour les maternelles. Cette disposition a été reconduite à l'identique en exploitant l'ancienne salle des résidents de l'Ehpad et ses 153 m2.

Un investissement largement partagé

Côté budget, l'Ahnac a financé les travaux intérieurs, à hauteur de 152.000 euros, tandis que la commune prenait à sa charge 30.000 euros pour l'ensemble de l'aménagement de la cour de recréation : installation du préau et réalisation d'enrobé pour l'accessibilité PMR. Une partie des travaux intérieurs vont en partie être subventionnés par l'ARS et le réseau Villes amies des aînés de l'OMS, auprès duquel la commune a répondu à un appel à projets. Enfin, toujours au chapitre de l'ingénierie financière, la ville va compenser le coût des travaux restant à la charge de l'Ahnac via une subvention de fonctionnement.

Côté ressources humaines, le dispositif pédagogique reste inchangé, avec deux enseignantes, un jeune en service civique, tous pris en charge par l'Éducation nationale, et une Atsem (agente territoriale spécialisée des écoles maternelles) mise à disposition par la mairie. De son côté, l'Ahnac fournit une animatrice pour les activités et le suivi avec les résidents.

Le 3 janvier 2023, les nouveaux locaux situés au sein de l'Ehpad pouvaient accueillir les élèves de maternelle. Et l'heure était venue de tirer un premier bilan de tous les avantages que cette solution a procurés à la commune de Barlin.

Cantine sur place

Tout d'abord, en quittant ses anciens locaux, l'école maternelle, menacée de fermeture, a été sauvée. Son déménagement a par ailleurs permis aux classes de l'école élémentaire de quitter les constructions modulaires de type Algeco qu'elles occupaient pour intégrer des bâtiments en dur.

Autre avantage : les repas des écoliers de la maternelle sont dorénavant pris au sein de la résidence alors qu'auparavant un bus de ramassage venait les prendre à l'école pour les déposer au collège voisin disposant d'un restaurant scolaire. Outre ce confort lié directement à la restauration, les enfants ont désormais la possibilité de suivre des activités périscolaires après le repas. Grâce à ces nouvelles conditions, les effectifs de  demi-pensionnaires sont passés de quatre à dix.

L'intérêt le plus attendu relève bien sûr du projet intergénérationnel. Si lors des premières semaines chacun a d'abord mis le temps à profit pour se familiariser avec les lieux, le braquet a changé depuis le 16 janvier et la première rencontre entre seniors et jeunes enfants autour de la Galette des rois. "Une quarantaine de résidents sont alors descendus, ce qui montre leur intérêt pour ce projet", se réjouit Julien Dagbert.

Gymnastique et arts plastiques en commun

Le temps de lancer des ateliers est maintenant venu. Un premier groupe de quatre ou cinq enfants et quelques résidents va travailler sur la motricité et la gymnastique douce. Peinture et arts plastiques sont également au programme. "L'idée est que ce soit utile à la fois aux enfants et aux seniors, qu'on ne se contente pas uniquement de fêtes d'anniversaire ou de moments de convivialité", plaide le maire de Barlin.

Les premières semaines ont enfin été l'occasion de rassurer les parents. Le 3 janvier, ils étaient accueillis autour d'un café et ont pu visiter les locaux. Durant la semaine du 30 janvier, ils vont pouvoir venir participer aux activités. "Une maman était tout à l'heure en rendez-vous avec moi [mercredi 18 janvier, ndlr], sourit le maire. Elle me disait fort justement qu'elle avait des craintes au départ mais qu'aujourd'hui sa fille était heureuse de ce fonctionnement, que les nouveaux locaux, qui répondent aux standards actuels, étaient plus confortables. Tout le monde est vraiment content."

À Barlin, l'installation de l'école maternelle au sein de l'Ehpad, loin d'être une simple expérimentation, va s'inscrire dans la durée. Et pourrait faire des émules. À l'occasion des cérémonies de vœux auxquelles Julien Dagbert participe sur son territoire en ce mois de janvier 2023, il croise de nombreux maires très intéressés. "Ils sont attirés par le retentissement médiatique que cela a pu avoir mais restent dans l'attente de savoir comment vont se passer ces six premiers mois. J'espère qu'on pourra dupliquer ce genre d'initiatives, conclut le maire de Barlin. Cela correspondant tout à fait à ce qu'il faut faire pour développer les relations intergénérationnelles. Cela aide à la fois les résidents et les enfants, c'est bénéfique pour tous."