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Changement climatique : l’action publique foncière s’outille pour accompagner la résilience territoriale

Lieu d'échange privilégié, la cinquième rencontre des acteurs publics du foncier s'est tenue ce 7 mars sur le thème "Comment le changement climatique et le ZAN (zéro artificialisation nette) recomposent l'action publique foncière ?". Pour faire face aux nécessaires adaptations et relocalisations induites par le changement climatique, l’action publique foncière perfectionne sa palette d’outils d'aide à la décision et à l'anticipation des transitions territoriales.

L’une des conclusions de la démarche "Habiter la France de demain" lancée par la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, est d’avoir confirmé le diagnostic partagé par nombre d'acteurs que le foncier est "un levier essentiel" pour accélérer les transitions territoriales, et notamment vers des territoires plus résilients face au choc climatique, a rappelé Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l'aménagement durable, en ouverture de la cinquième rencontre des acteurs publics du foncier, qui se tenait ce 7 mars, sur le thème "Comment le changement climatique et le ZAN (zéro artificialisation nette) recomposent l'action publique foncière?".
La matinée a été l’occasion autour d’une table ronde de faire le point, en prenant notamment pour exemple le recul du trait de côte, sur les développements récents et à venir en matière d'outils d'aide à la décision et à l'anticipation et sur la modélisation économique de ces transitions territoriales. La réflexion s’est poursuivie dans l’après-midi à travers un atelier consacré à l’accompagnement des relocalisations induites par le changement climatique.
Inondations, sécheresse, îlots de chaleur… aucun territoire n’est épargné. Et pour cause la moitié des communes françaises sont en exposition forte à moyenne au changement climatique. "Néanmoins l’adaptation dans les faits demeure extrêmement complexe" puisqu’elle comporte "des enjeux techniques, des équations économiques difficiles à résoudre et aussi beaucoup de parties prenantes qu’il s’agit de mettre en mouvement", observe Jean-Baptiste Butlen, soulignant la nécessité "d’un accompagnement à l’anticipation et à l’action avec des outils opérationnels". 

Améliorer la connaissance et partager l’information

Listes, cartographie, informations des acquéreurs et locataires (IAL)…, la connaissance et le partage de l’information est "la pierre angulaire de tout l’édifice", insiste Magali Pinon-Leconte (DGALN/DHUP), adjointe au sous-directeur de l'aménagement durable, dont l’intervention s’est davantage centrée sur l’exemple du recul du trait de côte. Il y va, selon elle, notamment "de l’équilibre économique des opérations qui sont montées qui est aussi très compliqué et inédit". Des outils techniques sont développés à la fois pour observer et nourrir la prise de décision stratégique et opérationnelle, comme le souligne Nathalie Metzler, responsable au Cerema du secteur d'activité "Gestion du littoral et de la mer", qui en a fait un tour d’horizon avec un focus sur son domaine d'expertise les enjeux littoraux.
L'indicateur national de l’érosion côtière, élaboré à la demande du ministère de la Transition écologique, en est une bonne illustration. La loi Climat et Résilience va obliger les communes qui seront dans la future liste établie très prochainement par décret de cartographier ces zones exposées au recul du trait de côte (à 30 ans/entre 30 et 100 ans) et d’établir les règles adaptées à leurs territoires pour gérer, en tenant compte de la connaissance de l'aléa, les constructions existantes ou les projets futurs. "Ce n’est pas une punition, au contraire c’est une opportunité pour les collectivités de pouvoir bénéficier de tout un arsenal technique, juridique et économique mis en place pour accompagner ces stratégies", martèle Magali Pinon-Leconte. 

Plateformes, applications, centre de ressources d'adaptation au changement climatique

Le Cerema développe une méthodologie pour accompagner les réflexions, qui s'appuie notamment sur la boussole de la résilience, qui permet "de mobiliser, comprendre, projeter et agir sur un territoire avec l’ensemble des acteurs concernés". Des solutions opérationnelles sont positionnées sur le Centre de ressources pour l'adaptation au changement climatique (Cracc) qui met à disposition des leviers pour alimenter des programmes d’actions et des ressources par rapport à des initiatives locales. Nathalie Metzler annonce également l’ouverture, ce 10 mars, d’une plateforme "pour créer des communautés métiers qui permettront aux différents types d’acteurs techniciens, élus et experts d’échanger des ressources sur ces problématiques".
Les acteurs fonciers peuvent aussi s’appuyer sur Météo-France, dont le directeur adjoint de la climatologie et des services climatiques, Jean-Michel Soubeyroux, après avoir fait état des dernières projections climatiques tout à fait "en phase" avec le constat alarmant du sixième rapport du Giec de l’été 2021, a mentionné diverses applications, de type "climat HD" qui fournit des informations sur le changement climatique passé et futur à l’échelle régionale.
Le portail Drias sur les données du changement climatique sera prochainement complété d’un portail équivalent pour les données sur l’eau (Drias eau). Une nouvelle version de la plate-forme BAT-Adapt, développée par l’observatoire de l’immobilier durable (OID), outil d’analyse des risques climatiques avec des cartographie des différents aléas (chaleur, sécheresse, inondations, submersion marine, etc.) est en outre prévue à l’été 2022. 

De nouveaux outils pour la recomposition spatiale liée au recul du trait de côte 

Les études prospectives menées par le Cerema sur l’évolution du trait de côte d’ici 100 ans montrent que le nombre de biens atteints par ce recul va être de plus en plus important au fil des années et aggravé par l’élévation du niveau de la mer (1 mètre à horizon 2100 voire 1,50m dans le scénario du pire), insiste Nathalie Metzler. Le nombre de logements potentiellement atteints par le recul du littoral en 2100 pourrait ainsi s'élever à 50.000 en métropole. Il s’agit de territoires très attractifs avec une densité 2,5 supérieure à la moyenne nationale et 22% des côtes sont aujourd’hui exposées au phénomène d’érosion (12% sont en "avancée").
Le recul du trait de côte impose la recomposition des territoires littoraux concernés et notamment la relocalisation progressive de l’habitat et des activités affectés par l’érosion. L’objectif est bel et bien "de continuer à faire vivre ces territoires qui vont disparaître, de ne surtout pas les vitrifier et d’accompagner progressivement avec des jalons ce repli stratégique (…)", relève Magali Pinon-Leconte (DGALN/DHUP).
Pour ce faire, la loi Climat et Résilience renforce les outils d’intervention et d’acquisition foncière et facilite l’aménagement durable conduit par des collectivités, les établissements publics fonciers (EPF), le Conservatoire du littoral et d’autres organismes de foncier public, capables d’accompagner sur un temps long la recomposition des secteurs menacés. Un droit de préemption spécifique y est introduit pour permettre aux collectivités de racheter des biens exposés dans un but d’éloignement des populations des zones à risques et de renaturation.
Des mesures complémentaires sont également prévues par la voie d’une ordonnance en cours de consultation (lire notre article du 4 mars 2022) qui crée en particulier un nouveau bail réel d’adaptation au changement climatique (Bracc) et prévoit des dérogations à la loi Littoral.
Le ministère de la Transition écologique travaille par ailleurs à la mise en place d’une méthode adaptée d’évaluation des biens soumis à l’érosion du trait de côte "pour équilibrer les opérations". "C’est quelque chose d’excessivement compliqué car l’on est justement sur des biens qui vont disparaitre (…). Pour que les opérations continuent à être tenables économiquement, il faut prendre en compte la vie résiduelle du bien", explique Magali Pinon-Leconte. 

Trois PPA "trait de côte" à l’expérimentation

La loi Climat et Résilience fait des contrats de projet partenarial d’aménagement (PPA) l’outil principal des opérations de recomposition des territoires, et c’est en ce sens qu’a été lancé l’appel à manifestation d’intérêt sur la recomposition spatiale des littoraux menacés par l’érosion (soutenu financièrement par France Relance). Trois PPA ont été retenus : à Saint-Jean-de-Luz (2,6 millions d’euros), Coutances Mer et Bocage (2,3 millions) et Lacanau (4,5 millions).
D’autres PPA pourraient être mis en chantier avec l’appui d’une nouvelle enveloppe financière sur le "programme 135" entérinée dans la loi de finances 2022. Pour compléter le volet planification - à savoir intégrer dans les documents d’urbanisme (Scot, PLU) les orientations relatives au trait de côte -, le ministère mise beaucoup sur la contractualisation. "On n’est pas ici que dans des solutions de protection, mais dans la construction d’un nouvel aménagement opérationnel qui permet de définir un projet de territoire avec tous les acteurs, les EPF, comme les EPA en dehors même de leurs périmètres, et surtout de mobiliser des financements et des apports fonciers, notamment des cessions amiables de terrains au profit de collectivités", argumente Magali Pinon-Leconte.
Un des ateliers qui est venu ponctuer l’après-midi pour répondre à la question "Comment accompagner les relocalisations induites par le changement climatique ?", a d'ailleurs permis à Gilles Gal, directeur général, de l’EPF Normandie d’exposer la démarche du PPA "Entre deux Havres" co-construit avec Coutances Mer et Bocage, conclu entre l’État, le département de la Manche, la communauté de communes, les trois communes concernées et la Caisse des Dépôts, et qui vise notamment à enclencher le déplacement d’activités (deux campings de Gouville-sur-Mer et le GIE de Agon-Coutainville). De nombreux enjeux sont à articuler, relève Gilles Gal, combinant logique d’habitat et de tourisme, d’écologie et d’économie (décharges littorales, résidences principales ou secondaires, habitations légères, patrimoine culturel et naturel etc.). Et les actions déjà enclenchées seront "ajustées" au regard des nouveaux outils de la loi Climat et Résilience, souligne-t-il.

Plusieurs temporalités de mise en œuvre

Sophie Lafenêtre, directrice générale de l'EPF Occitanie, venue témoigner dans le cadre de cet atelier de la recomposition urbaine post-inondation dans l’Aude, insiste sur l’intégration des différentes temporalités, "c’est-à-dire être à la fois dans l’intervention d’urgence et dans l’anticipation pour traiter les impacts du changement climatique et accompagner les collectivités dans le fait de penser différemment la manière dont va s’organiser leur territoire à l’avenir". L’EPF, sollicité initialement pour une action de court terme (acquisition/démolition), a proposé d’ouvrir le champ de réflexion sur le long terme afin d’opérer un changement dans la perception de la valeur du territoire.
Sur la commune de Vias (Hérault), la zone d’aménagement différé (ZAD) a aussi été utilisée dans l’objectif de constituer les réserves foncières nécessaires au réaménagement de la côte ouest concernée par la submersion marine et des débordements fluviaux. L’EPF a acquis différentes parcelles et un camping - avec un conventionnement sur 18 ans -, à des prix inférieurs au marché, et ainsi réalisé les premières réserves foncières tout en limitant la spéculation. 
Dans la matinée, Claude Bertolino, directrice générale de l'EPF Paca, était également intervenue pour documenter le retour d’expérience sur la gestion des conséquences de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes. "Il faut à la fois préparer l’après et gérer l’urgence et le maintenant, il faut bien avoir les deux fers au feu et bien évidemment concomitamment", fait-elle remarquer. D’où l’importance que "cet écosystème d’acteurs locaux puisse se mettre en place de façon collective pour répondre", souligne-telle. Et les EPF, outil éprouvé, y jouent un rôle central car ils sont en capacité "de constituer rapidement une équipe opérationnelle dédiée avec des compétences pointues dans un marché qui avec le fonds Friche sollicite beaucoup les déconstructeurs", remarque-t-elle. Parmi les progrès enregistrés, elle se félicite en particulier que depuis le 1er janvier 2022, la loi de finances permet que le fonds Barnier soit directement versé aux EPF. Un gain de temps de l’ordre de deux mois "dans une chronologie qui reste complexe". "Il faut sans doute que l'on soit plus réactif collectivement, on travaille ensemble mais là le dispositif oblige à partager les informations, à les communiquer le plus vite possible et notamment aux communes et aux sinistrés dès les premières actions", insiste-t-elle.