Chantier du tram-train de l'agglomération mulhousienne : la clause d'insertion tient ses promesses!

Avec le tram-train de la région mulhousienne, l'article 14 du Code des marchés a favorisé 230 embauches. La clause de promotion de l'insertion et de l'emploi (CIE) a trouvé un terrain de prédilection sur des marchés de travaux imposant peu de qualification dans un contexte de pénurie d'emplois.

Les collectivités locales du Haut-Rhin administratrices du Sitram (Syndicat intercommunal des transports de l'agglomération mulhousienne) ont innové en inscrivant dans le marché de réalisation du tram-train, d'août 2001, la clause de promotion de l'insertion et de l'emploi (CIE), prévue à l'article 14 du Code des marchés publics (CMP). Avec l'appui de Jean-Marie Bockel, président du Sitram et député-maire de Mulhouse, les donneurs d'ordre - communes, Sitram et Sivom (syndicat à vocation multiple) - ont saisi l'opportunité de ce vaste chantier pour développer des opérations d'insertion. Elles avaient pour but de permettre à des personnes en difficulté de se former à un métier du secteur des travaux publics, puis d'accéder à un emploi. Les partenaires institutionnels (1) et opérationnels (2) ont constitué un comité de pilotage et se sont mobilisés dans le cadre du PLIE (plan local pour l'insertion et l'emploi) du Pays de la région mulhousienne. Cette structure a été chargée de mettre en oeuvre le volet "emploi et formation", l'utilisation d'une main-d'oeuvre locale contribuant au développement durable du territoire. Une cellule baptisée "Mission emploi tram-train" (Mett) a été spécialement créée pour faciliter les relations entre les entreprises du chantier du tramway en quête de personnel et les chercheurs d'emploi.

Article 14 : une possibilité ouverte aux entreprises

L'article 14 du Code des marchés prévoit d'intégrer la promotion de l'insertion et de l'emploi dans un marché comme condition d'exécution et non comme critère d'offre dans un marché public. "Ce qui concrètement veut dire que n'est pas une obligation pour l'entreprise mais une possibilité", tient à préciser Myriam Studer, juriste à la société d'équipement de la région mulhousienne (mandataire de la maîtrise d'ouvrage dans la partie urbaine du projet). Les chantiers de terrassement, de voirie, ou encore d'espaces verts, offraient plus facilement la possibilité de faire des travailler des personnes peu qualifiées et en recherche d'insertion. "Nous avions un CCAP (cahier des clauses administratives particulières) commun à tous les marchés du tram-train." "Et comme il était difficile d'ouvrir les marchés spécialisés à du personnel n'ayant pas les qualifications requises, nous avons prévu une annexe spécifique sur l'article 14", ajoute Myriam Studer. Après une explication sur l'enjeu du projet global pour la collectivité, la population et les entreprises, l'annexe précise : "C'est pourquoi, si vous souhaitez participer à cet effort, nous vous suggérons d'expliciter dans votre offre vos intentions en matière de recrutement, de formation et de sous-traitance."

Un bilan exemplaire pour un effet boule de neige

Aux sociétés qui acceptent les règles du jeu, il est demandé de transmettre toute offre d'emploi ou de stage au PLIE, et à insérer le pourcentage de temps de chantier réservé à des personnes en insertion. L'annexe prévoit ensuite un tableau des différents contrats (CDI, contrats en alertenance, CDD...) à remplir. Alors que le chantier, démarré en février 2004, ne s'achèvera qu'en mars prochain, l'objectif initial de 130 à 150 embauches par an a déjà été largement dépassé, puisque 230 personnes ont d'ores et déjà décroché un emploi : 40% d'embauches directes par l'entreprise, 36% via les entreprises de travail temporaire d'insertion et 25% via le groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification. Le public touché était pourtant très en marge du marché du travail, puisque 95% des embauches concernent des personnes n'ayant ni BEP, ni CAP. Les entreprises telles que Screg, Eiffage TP, DGC et Amec Spie ont collaboré positivement et ont mené des opérations significatives. Loin de vivre la CIE comme une contrainte supplémentaire, elles y ont vu l'occasion de formaliser un pacte avec la collectivité. "Pour des chantiers postérieurs à celui de l'agglomération mulhousienne, des collectivités telles que Valenciennes, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Paris ou encore Lyon, ont demandé à leurs PLIE d'intervenir, indique Nordine Boudjelida, directeur délégué du PLIE de la région de Mulhouse, et des entreprises nous sollicitent également pour reproduire l'opération ailleurs."
(1) Villes, département, région, Etat, ANPE, Assedic, chambre de commerce et d'industrie, union départementale des syndicats du BTP, chambre des métiers.
(2)  Donneurs d'ordre, ANPE, organismes de formation, entreprises, structures chargées de l'accompagnement et du suivi des demandeurs d'emploi.

Catherine Barnasson / EVS Conseil pour Localtis

"Les PLIE peuvent apporter l'appui nécessaire aux collectivités"

Claudine Camilleri est présidente d'Europlie, association qui regroupe 130 directeurs de PLIE (plans locaux pour l'insertion et l'emploi).

Pourquoi les collectivités territoriales ont-elles recours à la clause d'insertion et de l'emploi (CIE) lors de la passation de leurs marchés ?

Chaque année, ce sont près de 250.000 marchés publics qui sont passés pour un montant d'environ 120 milliards d'euros, dont 60% par les collectivités, soit quelque 72 milliards. La commande publique, par les achats de fournitures, de travaux et de services, représente donc un levier important de maintien et de création d'emplois dans tous les secteurs professionnels de l'économie nationale et locale. De nombreuses collectivités, soucieuses de lutter contre l'exclusion sur leurs territoires et de les dynamiser, ont pris des initiatives en ce sens, en s'appuyant sur de grands chantiers tels que les tramways ou d'autres équipements importants, et aussi sur des marchés de moyenne importance d'entretien, de nettoyage, de peinture et de rénovation. Europlie, qui est un lieu privilégié d'échanges de pratiques, a mis en place il y a deux ans, un groupe de travail Marchés publics qui fonctionne bien aujourd'hui.

Quels sont les objectifs de ce groupe de travail Marchés publics ?

Il croise les problématiques "insertion professionnelle" et "marchés publics". En juin 2004, il a publié un guide pratique, intitulé "Promouvoir l'emploi dans les marchés publics" qui propose une méthodologie opérationnelle pour les collectivités locales. A l'occasion de la journée technique que nous venons d'organiser à Lyon, le 14 octobre, sur la promotion de l'emploi dans les marchés publics, nous l'avons complété avec un additif juridique sur les articles 14, 30 et 53 du Code des marchés publics (CMP). Le deuxième objectif du groupe est la création d'un Observatoire des initiatives en matière de promotion de l'emploi dans les marchés publics. Nous souhaitons enrichir notre travail avec de nouvelles actions pertinentes. Car les collectivités multiplient leurs initiatives et ne les limitent pas au domaine du bâtiment et des travaux publics. Elles explorent de nouvelles pistes avec la restaurations scolaire, les transports ou même des enquêtes auprès de leurs habitants.

Le goût amer du "mieux-disant social" subsiste aujourd'hui : quel argumentaire développez-vous pour lever les réticences des responsables de l'achat public ?

Les réformes du CMP ont balisé la question, la CIE est légale et juridiquement sûre : elle est strictement conforme à la législation et inscrite dans les pièces jointes du marché en tant que condition d'exécution ou critère de choix. En outre, elle peut revêtir différentes formes selon la durée, la nature des travaux ou prestations, le montant. Souvent, les collectivités disent ne pas savoir comment s'organiser avec l'entreprise, avant, puis après la passation du marché : les PLIE peuvent leur apporter l'appui nécessaire. Quant à la crainte que la CIE n'entraîne un surcoût du marché ou le rende infructueux, des études comparatives sur des échantillons de marchés classiques et avec clause - menées par la communauté d'agglomération rouennaise et le Grand Lyon - démontrent que la CIE n'a aucun impact sur les candidatures des entreprises. Les offres se différencient par des éléments autres que l'insertion, par exemple le coût des matières premières.

Préparation d'un outil multimédia autour de la promotion de la clause d'insertion

Un cadre clair et sécurisé inciterait plus fortement les collectivités locales à mettre en oeuvre la clause d'insertion : plusieurs partenaires amorcent des échanges dans le but de leur proposer un site web, pour un partage d'expériences et de savoir-faire sur le sujet.

L'Alliance villes emploi (AVE), réseau des maisons de l'emploi et des plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE), vient de solliciter différentes têtes de réseaux impliqués dans l'économie et le social : l'Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques), Mairie-conseils, les Chantiers écoles et des experts. Tous sont inscrits dans une préoccupation volontariste et ont donné leur accord de principe pour promouvoir la clause d'insertion dans les marchés publics. Objectif : réaliser, en jouant la complémentarité de chaque partenaire, un site web qui puisse offrir la palette complète des actions possibles. Il sera conçu sur la base d'une mutualisation des savoir-faire et à partir d'un enrichissement apporté par chaque partenaire. Il proposera une palette d'approches et d'outils rassemblera des témoignages et d'exemples - appels d'offres, chartes, modalités opérationnelles... - ainsi que des produits de formation et d'accompagnement. Le projet n'en est qu'à ses prémices mais il fait l'objet d'une première réunion de travail fin octobre 2005.

Dispositif PLIE : le diagnostic est une étape préalable

Pour éviter des appels d'offres infructueux, le PLIE de Mulhouse a mis en place une analyse du marché local de l'emploi au regard des besoins attendus pour les travaux. La mobilisation des entreprises a été facilitée par le fait que le bassin d'emploi souffrait d'une pénurie d'emplois.

"Il est inutile de construire un parcours d'insertion s'il ne correspond pas à une attente de la part des entreprises, souligne Nordine Boudjelida, directeur délégué du PLIE. C'est pourquoi, 18 mois avant le démarrage du chantier, nous avons analysé le marché local de l'emploi au regard des besoins qu'allaient générer les travaux. Il s'agissait en effet d'éviter au maximum les risques de dysfonctionnement sur un chantier qui représentait 320 millions d'euros pour sa partie urbaine." L'évaluation des besoins en main-d'oeuvre de l'Assedic, le nombre d'offres d'emploi déposées à l'ANPE et les données de l'union départementale des syndicats du BTP convergeaient : le bassin d'emploi souffrait d'un déficit de 400 emplois dans le secteur du BTP. Dans ce contexte de pénurie de main-d'oeuvre, les entreprises ont d'emblée été partie prenante de l'opération de formation/recrutement, financée par le Fonds social européen (50%), la région (35%), le département (5 ) et l'Assedic (10%). Dispensées par l'Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes), les actions ont démarré pendant l'hiver 2003 et ont épousé la montée en charge du chantier : au total, 11 sessions ont permis de former 120 personnes (ouvriers des TP et spécialisés béton). La Mission emploi tram-train a assuré le dispositif d'accompagnement : présélection des candidats, évaluations, visites médicales et suivi individualisé des salariés.

Aller plus loin sur le web

Décret 2004-15 du 7 janvier 2004  portant Code des marchés publics, sur Légifrance.

Site du Sitram  (Syndicat intercommunal des transports de l'agglomération mulhousienne).
 
Site du tram-train.
http://www.tram-train.net/
 
Site de la Serm 68 (Société d'équipement de la région mulhousienne).
http://www.serm68.fr/FR/index.php

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