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Commande publique et insertion - Clauses sociales : comment favoriser la qualité des projets ?

Les collectivités sont à présent assez nombreuses à utiliser la commande publique comme un levier en faveur de l'insertion professionnelle des publics en difficulté. Toutefois, les pionniers d'hier ressentent le besoin de passer à une nouvelle étape plus qualitative. L'exemple de Nantes et de son agglomération, présenté le 17 octobre à Paris lors d'un colloque organisé dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne, illustre ce tournant. Depuis 2005, 200 opérations menées dans l'agglomération nantaise ont permis à 515 personnes de bénéficier d'un contrat de travail. Mais voilà, seulement la moitié a décroché un emploi par la suite. Trop peu. "Il faut que l'entreprise transmette une réelle expérience aux bénéficiaires de l'insertion", souligne le directeur de la commande publique de la ville de Nantes, Florent Solier. Depuis début 2007, la réponse de la communauté urbaine et de la ville est un cocktail détonant (qu'elles ont été parmi les premières collectivités en France à tester) : à l'article 14 du Code des marchés publics, le plus couramment utilisé ("les conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental..."), est associé l'article 53 alinéa 1. Plusieurs critères liés à la qualité de "l'ingénierie sociale" sont ainsi introduits dans l'appel d'offres. L'entreprise doit notamment désigner un tuteur qui accompagne les bénéficiaires pendant la formation. Il faut aussi que les tâches confiées permettent à la personne en insertion d'accéder à une réelle expérience professionnelle. Enfin, l'entreprise doit être en mesure d'alerter les opérateurs d'insertion au cas où le travailleur rencontrerait des problèmes personnels liés au logement ou à la santé. Ces critères d'attribution liés à la "performance de l'insertion" représentent 15% dans l'échelle de pondération du marché, ce qui est loin d'être négligeable.

 

Guide de la Commission européenne

Le bilan est positif. Les services de Nantes métropole n'ont pas constaté d'augmentation des marchés infructueux. De même, ils n'ont pas observé de surcoûts liés à la clause d'insertion. De plus, les entreprises semblent jouer le jeu. Elles "ont commencé à identifier des référents insertion" et "les formations au tutorat se mettent en place", constate Florent Solier. Le directeur de la commande publique observe aussi "un renforcement du lien entre les entreprises et les structures d'insertion surtout sur l'accompagnement social".
Après Nantes, le conseil général du Nord va utiliser la formule gagnante, mais en l'appliquant, pour démarrer, sur "un pourcentage mineur". "Là où le bât blesse aujourd'hui, c'est sur la constitution de véritables parcours d'insertion", constate un représentant du département. "Les bénéficiaires de nos dispositifs n'ont pas suffisamment de travail en continu pour se former véritablement, acquérir des compétences et donc être employables."
Le cocktail magique ne peut être appliqué dans n'importe quelles conditions. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, "il faut que les acheteurs justifient d'un lien entre les critères d'attribution [de l'article 53.1] d'une part et l'objet du marché par ailleurs, qui doit évidemment être un lien pertinent", a rappelé Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques du ministère de l'Economie. "Ces clauses ne sont en définitive utilisables que lorsque le marché comporte une dimension sociale importante", a-t-elle ajouté. C'est pourquoi, le guide diffusé depuis juillet 2007 par l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP) sur "la commande publique et l'accès à l'emploi des personnes qui en sont éloignées" recommande aux acheteurs publics de "bien étudier la nature du besoin avant de prévoir un critère de performances en matière d'insertion".
Par conséquent, la prudence s'impose. Autant l'utilisation de l'article 14 est bien rôdée, autant celle de l'article 53.1 paraît risquée sur le plan juridique. Le guide sur l'achat socialement responsable que prépare la Commission européenne sera donc le bienvenu. Sa diffusion prévue pour la fin du printemps 2009 doit éclairer les acheteurs publics dans la mise en œuvre des diverses possibilités juridiques qui s'offrent à eux. Bruxelles, qui cherche à concilier les grands principes du Traité communautaire, devrait aussi rappeler qu'il n'est pas possible de tout faire.

 

T.B. / Projets publics