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Congrès de l'ADF - Collèges, routes... et si départements et régions tombaient d'accord ?

"A titre personnel, je ne suis pas favorable au transfert des collèges et des routes à la région", a déclaré Alain Rousset à Pau lors du congrès des présidents de conseils généraux, lesquels ont saisi la balle au bond pour suggérer qu'un "pacte" soit conclu avant la discussion du projet de loi Notr au Sénat en décembre.

Les propos de Manuel Valls jeudi devant les présidents de conseils généraux ont visiblement apporté une bouffée d'oxygène. Le lendemain, au deuxième jour du congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), la plupart des élus se disaient rassurés par ce qu'ils avaient entendu. Ils avaient bien noté que le Premier ministre parlait encore d'"évolution" du département après 2020. Mais ils retenaient surtout qu'on ne parlait plus de sa suppression. Le gouvernement est "revenu sur le chemin de la sagesse et de la raison", s'est félicité le président de l'ADF, Claudy Lebreton, qui mesure "le chemin parcouru" depuis les déclarations du début de l'année et est convaincu que son association y est évidemment pour beaucoup.
Une fois poussé le ouf de soulagement, on a pu recommencer à parler d'autre chose. Parler d'innovation et de numérique, parler d'égalité des territoires - y compris avec la ministre Sylvia Pinel -, parler de finances et d'investissement… On a aussi pu se tourner vers les représentants des autres niveaux de collectivités pour reprendre le fil d'un dialogue qui était forcément moins audible en début d'année, lorsque les départements étaient en sursis. Et, notamment, du dialogue sur les compétences.
Or cette question des compétences se fait précise et plutôt urgente, sachant que le projet de loi Notr va arriver en discussion au Sénat en décembre - le 3 en commission et sans doute le 15 en séance, a précisé Marylise Lebranchu. Les travaux sont même en réalité enclenchés. La commission des lois du Sénat auditionnera dès la semaine prochaine, le 13 novembre, les présidents des quatre principales associations d'élus (ARF, ADF, AMF, ADCF). Ces auditions permettront notamment de voir si ce qui a pu se dire à Pau en cette deuxième journée de congrès se confirme. Georges Labazée, le président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques qui était l'hôte de ce 84e rassemblement annuel, s'est d'ailleurs félicité que "le débat ait eu lieu au congrès de l'ADF avant d'avoir lieu au Parlement". Et a rappelé que Manuel Valls a dit souhaiter le meilleur accord possible sur ce texte entre le Sénat, l'Assemblée nationale et le gouvernement.

Alain Rousset n'est pas demandeur

Pour les départements, l'une des grandes questions concrètes posées par ce projet de loi, c'est évidemment le fait qu'il soit prévu de les dessaisir de quatre compétences. Et notamment des collèges et des routes. Or, si Manuel Valls dit envisager de "conforter" certaines compétences départementales (voir notre article), il n'a pas mentionné un quelconque maintien de ces compétences dans le giron départemental. Certes, Marylise Lebranchu assure que, dans l'esprit de la loi Maptam, il sera possible pour les territoires qui le souhaitent de faire redescendre certaines compétences par le biais de délégations… Mais elle ne fait pas non plus demi-tour pour le moment, même si ces transferts avaient été, rappelons-le, imaginés à l'heure où le scénario était encore de "vider" le département avant extinction complète.
Pourtant, on sent bien que les choses pourraient bouger. D'abord, les présidents de départements qui se sont exprimés semblent tous vouloir garder les collèges et les routes, sans doute aussi les transports scolaires. Ils conviennent en revanche que le transfert des transports interurbains à la région déjà en charge des TER serait plutôt "logique". Et puis il y a eu ces mots d'Alain Rousset, le président de l'Association des régions de France, venu presque en voisin participer au congrès de Pau : "A titre personnel, je ne suis pas favorable au transfert des collèges et des routes à la région." La phrase n'est pas passée inaperçue. Plusieurs présidents de départements ont aussitôt rebondi pour proposer, sur cette base-là, d'aller plus loin. Notamment André Viola, président de l'Aude et chargé d'une mission sur la décentralisation : "Nous aurions intérêt, régions et départements, à aller voir ensemble le gouvernement pour évoquer ces questions, pour dire que nous nous sommes mis d'accord là-dessus. Et ce, avant que le Parlement ne se prononce. Nous aurions alors franchi un grand pas. Cette plateforme commune dira nos points d'accord. Ensuite, le Parlement traitera les désaccords." De même, Philippe Grosvalet (Loire-Atlantique) se dit qu'"au lieu que chacun écrive des tribunes, on pourrait préparer ensemble une contribution, une alliance qui scellerait ce qui s'est dit aujourd'hui".
"Oui, si nous pouvions dans les heures, les jours qui viennent, nous mettre d'accord sur un 'pacte territorial', j'en serai ravi", a enchaîné Claudy Lebreton, tout en dévoilant une autre piste d'action. Le transfert de ces fameuses quatre compétences aujourd'hui prévu par le projet de loi Notr pourrait peut-être faire l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci a en effet dans le passé déjà eu l'occasion de se pencher sur la question de savoir si l'on pouvait ou pas priver un niveau de collectivité d'une compétence "substantielle".

D'accord... jusqu'à un certain point

Cette question des collèges ou des routes semble montrer que, plus globalement, les élus départementaux et régionaux semblent assez d'accord sur une vision que l'on pourrait - en simplifiant - résumer ainsi : la région doit devenir, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui, cette "région stratège" centrée sur l'économie, l'emploi, la formation, la recherche et ne doit donc surtout pas s'"embarrasser" de ces compétences du quotidien et de la proximité que le département est mieux placé pour gérer. Le représentant des communes à la tribune du congrès de Pau, en l'occurrence le président de l'Association des maires ruraux, Vanik Berberian, approuve : "Oui, ayons des régions stratèges, et que le département continue de s'occuper de ce qui relève de la proximité"… y compris de l'aide aux communes, vitale pour les plus petites d'entre elles.
Sauf qu'en écoutant les propos des uns et des autres, on sent bien que les choses coincent rapidement entre, par exemple, un Alain Rousset qui n'a de cesse de vanter les mérites de la suppression de la clause de compétences et un Philippe Adnot (Aube) qui aimerait visiblement pouvoir continuer agir en matière de développement économique ou d'enseignement supérieur, au moins par "subsidiarité" lorsque la région n'intervient pas à un niveau jugé suffisant…

Claire Mallet, à Pau

  Départements : investir malgré tout

Fin 2013, "un tiers des départements étaient en dehors de la zone de sécurisation en termes de solvabilité" et fin 2018, on ne trouverait plus qu'une quinzaine de départements dans cette zone… voire plus que cinq si l'on prend en compte le projet de loi Notr et les transferts de compétences tels qu'ils sont actuellement dessinés. Ce tableau peu réjouissant a été dressé par Michel Klopfer, spécialiste des finances locales, graphiques à l'appui, ce 7 novembre devant les présidents de département. Le consultant a d'ailleurs noté que les quatre grands transferts de compétences de la loi Notr, qui représentent un total de 6 milliards d'euros, ne s'accompagnent pas, en l'état actuel du texte, d'un transfert de dette lié à l'investissement des départements, notamment sur les collèges et les routes. "Il faudrait faire évoluer ce point", a conseillé Michel Klopfer.
"Un transfert de compétences doit s'accompagner d'un transfert de financements et d'un transfert de dette", a confirmé Pierre-René Lemas, le directeur général de la Caisse des Dépôts, venu dialoguer avec les élus dans le cadre d'une table ronde intitulée "Faire réussir la France de tous les territoires". Sa carrière l'ayant conduit à être au premier rang de toutes les réformes de décentralisation depuis 1981, Pierre-René Lemas a en outre souligné que le transfert de compétences entre collectivités (et non plus de l'Etat vers les collectivités) tel que prévu aujourd'hui est un exercice "assez inédit".
Conscient de la "crise des dépenses" qui touche les départements, principalement sur le volet social, parallèlement à la contraction des recettes prévue pour les années à venir, le directeur général a mis l'accent sur la façon dont la Caisse des Dépôts peut "aider les collectivités locales à ne pas baisser leurs investissements". Il a à ce titre rappelé en quoi "la Caisse des Dépôts redevient un acteur majeur du financement des collectivités" à travers l'enveloppe de 20 milliards d'euros sur fonds d'épargne, en relevant que les critères d'accès à ces prêts ont finalement été supprimés, que pour les "petits projets" de moins de 1 million d'euros, le prêt pouvait couvrir jusqu'à 100% du besoin et qu'il pouvait s'agir de prêts de très long terme, jusqu'à 40 ans par exemple. Seul un tiers de l'enveloppe ayant pour l'heure été consommé, les possibilités restent nombreuses.
Pierre-René Lemas a aussi invité les élus départementaux à s'intéresser à de nouvelles sources de financement pour leurs projets, notamment du côté de la BEI, en sachant que les directions régionales de la Caisse des Dépôts sont désormais le "point d'entrée" pour les acteurs locaux souhaitant avoir accès à cette BEI. De même, les "project bonds" (obligations de projet) peuvent offrir des perspectives intéressantes. Enfin, le directeur général a évoqué un "pari" : celui de monter dès maintenant des projets afin d'être très vite en mesure de présenter des dossiers susceptibles de bénéficier des 300 milliards d'euros du "plan Juncker". Certes, tous les arbitrages liés à ce plan n'ont pas encore été pris. Mais justement, des marges de négociation existent encore. Et les premiers projets bouclés devraient logiquement avoir davantage de chances d'obtenir des financements. Alors pourquoi pas des projets français parmi les premiers ?
"Aujourd'hui, il ne faut pas hésiter à aller chercher des financements en dehors du secteur bancaire traditionnel", a conseillé Pierre-René Lemas. Certes, "il faut pour cela s'appuyer sur des personnes dont c'est le métier"... dont les directions régionales de la Caisse des Dépôts. Son directeur général entend justement lui redonner "un ancrage territorial fort", une organisation "plus déconcentrée" afin que "chaque direction régionale soit une petite Caisse des Dépôts" au service des collectivités.
C. M.