Comment mieux intégrer l’IA pour en faire une arme au service de la création d’emplois ?
Dans la foulée de la publication en avril dernier du rapport du Conseil national de productivité présidé par Natacha Valla, le haut-commissariat à la stratégie et au plan, présidé par Clément Beaune, organisait lundi 26 mai une conférence intitulée : "Comment relancer la productivité en France et en Europe".

© @StrategiePlan/ Cécile Antonin, Anne Bouverot et Simon Bunel
Le Conseil national de la productivité se penchait dans un rapport publié en avril dernier sur l’évolution de la productivité du travail en France depuis 2019. Le CNP relevait alors que les créations d’emplois en France étaient "soumises à une nécessaire croissance à long terme" et estimait dans le même temps que la compétitivité française demeurait "fragile" en comparaison de nos principaux partenaires européens. Elle pointait enfin l’impact jugé "non négligeable" des technologies numériques sur la productivité globale, domaine dans lequel la France et l’Europe accuse un retard certain en matière d’investissements comparé aux États-Unis, notamment.
En introduction de la conférence organisée lundi 26 mai par France stratégie, qui a récemment fusionné avec le haut-commissariat au plan (voir notre article), l’ancien ministre Clément Beaune a rappelé que la productivité du travail en France était aujourd’hui inférieure de 3,5% à son niveau de 2019, alors mêmes que d’autres pays européens ont déjà retrouvé leur niveau d’avant Covid. Il a ainsi appelé à investir dans la montée en compétence et notamment dans le domaine des nouvelles technologies. En France, a souligné le haut-commissaire à la stratégie et au plan, 50% des entreprises disent intégrer ces technologies dans leur process, contre 70% en moyenne dans les autres pays européens et même au-delà de 70% outre-Atlantique. Le rattrapage passera donc par "la formation, l’investissement et des choix politiques clairs".
Réguler l’usage, pas la technologie
Dans une table ronde consacrée plus spécifiquement à l’impact de l’IA sur la productivité et sur l’emploi, Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’ENS (École normale supérieure) et coprésidente de la commission sur l’IA a rappelé que, dans une précédente étude publiée en 2013, on prédisait la disparition de près de 30% des emplois en lien avec l’intégration des nouvelles technologies. Aujourd’hui, c’est davantage sur les tâches plus que sur les emplois eux-mêmes qu’il convient de se focaliser. "Le domaine de l’IA générative bouge extrêmement rapidement", explique-t-elle, au point que 24% des emplois dans le monde seraient déjà impactés. Un chiffre, admet-elle, "probablement plus élevé dans les économies développées". La question, ajoute-t-elle, est désormais de savoir quels seront les métiers qui seront plus efficients grâce à l’IA et ceux qui seront automatisés avec des destructions d’emplois à la clé. Pour prévenir ces effets délétères, une seule voie : la formation ! Selon Simon Bunel, économiste à la Banque de France, c’est davantage "l’usage de l’IA qui compte", car si, au final, la productivité augmente, les emplois suivront, explique-t-il. "Ce qu’il faut réguler, ce n’est pas la technologie mais l’usage", tout en se posant la question "comment on accompagne les gens touchés".
L’autre enjeu essentiel, soulève Anne Bouverot, c’est celui de la recherche. "Il est important d’avoir un lien permanent entre la recherche publique et privée qui porte l’essentiel de la recherche." Avec l’ambition de faciliter le passage à l’innovation, a fortiori dans un domaine en constante évolution. Céline Antonin, chercheuse à l’OFCE note le nombre insuffisant de diplômés dans les filières de l’IA et des technologies de l’information et de la communication en général et pointe dans le même temps "un biais français" qui consiste à former davantage d’ingénieurs que de chercheurs en entreprise tandis qu’aux Etats-Unis, nombreux sont les doctorants qui travaillent dans le privé. Anne Bouverot plaide quant à elle pour plus de doubles formations "entre l’IA et le juridique, ou encore l’IA et le marketing..." Des choix qui mettront, prévient-elle, "beaucoup de temps à se mettre en place" alors qu’il faut aller vite. Céline Antonin invite à ce propos "à repenser complètement le processus de sélection à l’entrée à l’université", estimant que des filières qui ne mènent pas à l’emploi disparaîtront probablement "et que de nouvelles filières se développeront grâce à l’IA".