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Urbanisme - Comment moderniser les outils de l'action foncière ?

Comment l'action foncière de l'Etat a-t-elle évolué au fil du temps ? Quelles questions particulières pose la réforme des établissements publics fonciers (EPF) issue de l'ordonnance du 8 septembre 2011 ? Telles sont les principaux thèmes du volumineux rapport intitulé "La modernisation des outils de l'action foncière" que le Groupement public de recherche sur les institutions et le droit de l'aménagement, de l'urbanisme et de l'habitat (Gridauh) a récemment rendu public sur son site. Réalisé à la demande de la direction générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) du ministère de l'Ecologie, il dresse un état des lieux des différents opérateurs et instruments des politiques foncières locales et nationales en comparant leurs champs d'intervention respectifs et en examinant les coopérations ou articulations entre les différents acteurs mais aussi les éventuelles concurrences. "La question se posait d'autant plus que les outils fonciers au service des politiques publiques de l'Etat, à savoir les établissements publics fonciers, coexistent aujourd'hui sur le territoire avec les établissements publics fonciers locaux avec lesquels ils sont potentiellement 'superposables' sur un même territoire", note d'emblée le rapport. Une superposition qui n'est pas nécessairement jugée "inopportune ou inutile".

Des EPF en voie de banalisation

Historiquement, les premiers EPF ont été créés par l'Etat pour accompagner les grandes politiques d'aménagement du territoire, qu'il s'agisse des besoins spécifiques à la région parisienne, des secteurs où se posaient des problèmes de reconversion industrielle (Lorraine, Nord-Pas-de-Calais), et pour l'aménagement de l'estuaire de la Seine, rappelle le rapport. Dans la période récente, et notamment à partir de 2000, le recours à la formule des EPF s'est "banalisé", relève-t-il, et un nombre significatif de nouveaux établissements ont vu le jour à l'initiative de l'Etat ou à la demande des collectivités territoriales.
Si elle est généralement régionale et inscrite parfois en partie dans la perspective des contrats de plan Etat-région, la zone de compétence des EPF peut aussi être interrégionale – comme l'EPF Normandie qui couvre la Haute et la Basse-Normandie – ou limitée à un périmètre départemental ou supradépartemental, tels l'EPF de Vendée et les quatre EPF d'Ile-de-France. L'ordonnance du 8 septembre 2011 relative aux EPF, aux établissements publics d'aménagement et à l'Agence foncière et technique de la région parisienne a marqué "une réaffirmation du rôle de l'Etat dans le fonctionnement des EPF, tout en entérinant leur rôle majeur dans la politique du logement", estime le rapport.
Les établissements publics fonciers locaux (EPFL), qui ont fait leur apparition dans la loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991 ont, eux, vu leur régime sensiblement modifié par la loi SRU, avec pour objectif de les relancer. La loi SRU a notamment permis aux régions et aux départements d'adhérer aux EPFL dès leur création. "Bien que calqués sur le modèle des EPF d'Etat, ils s'en distinguent toutefois par leur échelle et leurs ambitions", souligne le rapport. Tout d'abord, leur échelle est uniquement pluri-intercommunale. Leur champ de compétence est donc nettement plus réduit que celui des EPF d'Etat. "Leurs ambitions sont également plus modestes puisque les EPFL sont conçus comme un outil des collectivités, au service de leurs politiques intercommunales, dans une démarche volontariste (ou, pour le moins, d'adhésion), la création de l'EPFL ne pouvant résulter que de délibérations 'concordantes' des assemblées des EPCI et des communes concernées, ce qui signifie donc que la création suppose l'unanimité", relève le rapport. La mise en route des EPFL s'est avérée difficile et leur apparition n'a pas pour autant marqué la fin des EPF d'Etat, souligne le document. La période actuelle montre plutôt une renaissance de ces derniers, en lien avec les nouvelles politiques poursuivies par l'Etat, en particulier en matière de logement.
Les EPF d'Etat comme les EPFL ont vocation à mener des actions foncières en vue de l'aménagement futur des terrains qu'ils acquièrent et gèrent. La formule "rend possible un portage foncier sur le long terme, l'acteur foncier étant doté des moyens, en particulier financiers, d'assurer ce portage. Dans le même temps, parce que l'action foncière s'inscrit dans la durée et comprend une large part d'anticipation, elle contribue à une régulation du marché foncier, en particulier dans les zones où la pression foncière est forte", note le rapport. "Elle permet aussi d'oxygéner ce marché en y réintroduisant des terrains après dépollution, démolition…, terrains qui pourront alors être mobilisés pour la mise en oeuvre de différents projets d'aménagement".

Coexistence des EPF d'Etat et des EPFL

Alors que la création d'un EPF d'Etat suppose l'identification préalable sur le territoire concerné d'enjeux fonciers spécifiques, celle d'un EPFL répond principalement à une logique de mutualisation des moyens humains et financiers des collectivités locales concernées, explique le document. Et la préexistence d'un EPFL ne fait pas obstacle à la création d'un EPF d'Etat, comme le Conseil d'Etat a eu  l'occasion d'en juger le 18 novembre 2009 en validant la seule situation de superposition entre un EPF d'Etat et un EPFL en Languedoc-Roussillon, où coexistent l'EPF Languedoc-Roussillon et l'EPFL Perpignan-Méditerranée compétent sur le territoire de la communauté d'agglomération du même nom. La création de certains EPF d'Etat a aussi parfois été sollicitée par les collectivités territoriales elles-mêmes : cela a été le cas pour l'Etablissement public foncier de l'ouest Rhône-Alpes (Epora) en 1998, dont l'initiative revient au conseil général de la Loire, confronté au démantèlement de l'industrie de l'armement. Plusieurs raisons peuvent justifier la création d'un EPF d'Etat là où existe déjà un (ou plusieurs) EPFL, estime le rapport. La première tient à l'échelle territoriale d'intervention d'un EPF d'Etat, sensiblement plus importante que celle d'un EPFL. Autre explication : les priorités de l'Etat en matière de politique foncière ne coïncident pas nécessairement avec les objectifs poursuivis par les collectivités territoriales à travers la création d'un EPFL. En outre, la création d'un EPF d'Etat sur un territoire où existe déjà un EPFL peut comporter des avantages. La prise en charge par l'EPFL d'un certain nombre d'opérations locales peut permettre à l'EPF d'Etat de concentrer ses moyens sur des interventions de plus grande envergure, répondant à des enjeux qui dépassent le cadre intercommunal. Mais cette complémentarité suppose une coordination dans l'action de chaque EPF, pratiquement sous la forme d'une répartition des tâches.
La coexistence des deux outils présente toutefois un inconvénient d'ordre financier, relève le rapport. L'article 1607 bis du Code général des impôts prévoit en effet que la taxe spéciale d'équipement (TSE), taxe additionnelle aux taxes locales, plafonnée à 20 euros par personne résidant dans le périmètre de compétence de l'EPF, est perçue par l'établissement dont la création est la plus ancienne, qui reverse ensuite la moitié du produit de cette taxe à l'EPF institué plus récemment sur le même territoire. De cette façon, le produit de la TSE pour chaque EPF ne sera plus que de 10 euros maximum par habitant.