Commande publique - Comment rejeter une candidature dans les règles de l'art ?
Dans un arrêt du 24 juin 2011, le Conseil d'Etat précise qu'après avoir communiqué les motifs justifiant le rejet d'une candidature ou d'une offre, un pouvoir adjudicateur peut procéder ultérieurement à une nouvelle communication "pour compléter ou préciser ces motifs, voire pour procéder à une substitution de motifs". L'arrêt apporte également de nombreuses précisions sur les modalités d'appréciation des capacités professionnelles, techniques et financières des groupements d'entreprises candidats à un marché de maîtrise d'œuvre.
Les motifs de rejet d'une candidature ou d'une offre peuvent être complétés ultérieurement
La commune de Rouen avait lancé un appel à candidatures pour un concours de maîtrise d'œuvre relatif à l'aménagement d'une place. La commune a écarté la candidature d'un des groupements d'entreprises candidats et lui a indiqué, conformément à l'article 80 du Code des marchés publics (CMP), les motifs du rejet de sa candidature : faiblesse des qualifications économiques au regard de la complexité du projet envisagé et caractère incomplet du groupement. Suite à une demande d'explication émise par le mandataire du groupement, la commune a, dans un second courrier, complété les motifs de rejet de la candidature en indiquant que "les garanties financières du mandataire du groupement étaient trop faibles au regard du montant du projet" et "que manquaient les garanties suffisantes d'une participation effective d'un bureau d'études environnement à l'exécution du projet".
Saisi du litige, le juge des référés précontractuels a annulé la procédure de passation du marché au motif que la communication ultérieure de "motifs différents" révélait "l'existence d'une contradiction constitutive d'une violation de l'article 80 du Code des marchés publics". Le Conseil d'Etat a au contraire considéré que cette seconde lettre se contentait de préciser et de compléter les motifs initialement énoncés, "sans d'ailleurs qu'une contradiction puisse être relevée". Or aucune disposition de l'article 80 n'interdit au pouvoir adjudicateur, "après avoir communiqué les motifs justifiant le rejet d'une candidature ou d'une offre, de procéder ultérieurement à une nouvelle communication pour compléter ou préciser ces motifs, voire pour procéder à une substitution de motifs".
Plusieurs précisions sur l'évaluation de l'aptitude des candidats
Les requérants soutenaient par ailleurs que l'article 52 du CMP interdit au pouvoir adjudicateur d'exiger que chaque membre du groupement apporte la preuve de l'aptitude requise. Selon eux, la commune aurait dû rechercher si l'insuffisance financière du mandataire ne pouvait être compensée par l'aptitude financière des autres membres du groupement. Le Conseil d'Etat rappelle tout d'abord qu'il est possible d'exiger "que chaque membre du groupement fasse preuve de l'aptitude requise". Dès lors, le pouvoir adjudicateur peut parfaitement "exiger que le mandataire du groupement, compte tenu de ses responsabilités propres, dispose de garanties financières suffisantes, sans rechercher si une absence de telles garanties peut être compensée par celles offertes par les autres membres du groupement".
Par ailleurs, la commune avait exigé dans l'avis de concours que les candidats présentent des références "parmi les plus représentatives et de complexité équivalente à l'objet du concours". Le groupement soutenait qu'en posant cette exigence, la commune avait apprécié et écarté sa candidature au regard de niveaux minimaux de capacité qu'elle n'avait pas préalablement publiés, violant ainsi les dispositions de l'article 45 du CMP.
Le Conseil d'Etat confirme, dans l'arrêt du 24 juin 2011, sa jurisprudence bien établie en matière de niveaux minimaux de capacité (voir encadré ci-dessous). Il s'avère en effet qu'en exigeant que le candidat ait conduit des projets de complexité équivalente, "la commune n'a pas fixé de niveaux minimaux de capacité". Elle s'est simplement contentée d'exiger, conformément à l'article 45 du CMP, des éléments en rapport avec l'objet du marché susceptibles de lui permettre d'apprécier les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats.
Les Sages du Palais-Royal apportent en outre deux précisions intéressantes. D'une part, la seule production des documents exigés par le règlement de consultation n'établit pas en elle-même que les candidats ont les capacités requises. D'autre part, le fait que le mandataire du groupement ait déjà assuré la maîtrise d'œuvre de projets plus importants ne lui confère pas automatiquement les garanties financières exigées par la réalisation d'un projet de complexité équivalente. Le pouvoir adjudicateur doit donc contrôler, de manière systématique, les références présentées par les candidats et peut écarter les candidatures qui bien que présentant les références demandées, n'apportent pas des garanties suffisantes au regard des spécifiés du marché.
Référence : Conseil d'État, 24 juin 2011, Commune de Rouen, N° 347840
rappels sur les Niveaux minimaux de capacité
Pour rappel, lorsque le pouvoir adjudicateur décide de fixer des niveaux minimaux de capacité il doit veiller à ce que ces exigences soient proportionnées à l'objet du marché et les publier dans l'avis d'appel public à la concurrence ou, pour les consultations dispensées d'un tel avis, dans le règlement de la consultation. Les candidatures qui ne répondent pas à ces exigences peuvent alors être écartées.
Le Conseil d'Etat a précisé que le pouvoir adjudicateur n'était pas tenu de fixer des niveaux minimaux de capacité (Conseil d'Etat, 8 août 2008, arrêts n° 307143, n° 309136 et n° 309652). Il est néanmoins tenu de contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l'attribution d'un marché public. L'acheteur est donc obligé de demander certains documents ou renseignements prévus par l'article 45 du CMP et son arrêté d'application du 28 août 2006. Précisons enfin que si le rejet d'une candidature s'avère délicat en l'absence de niveaux minimaux de capacité, les juges ont estimé que le pouvoir adjudicateur devait, au regard de l'objet du marché, écarter la candidature d'une entreprise faisant état d'une insuffisance manifeste sur le plan professionnel, technique ou financier (Conseil d'Etat, 20 mai 2009, Commune de Fort-de-France, n°311379).