Congrès de l’Unccas : le temps des "pactes"… et des urgences

En ouverture ce 28 mars à Bourges du 92e congrès de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, le ministre Jean-Christophe Combe a notamment évoqué les axes du "pacte des solidarités" qui sera présenté dans quelques semaines. Le président de l'Unccas, Luc Carvounas, a pour sa part demandé "une feuille de route concrète" en faveur des publics toujours plus nombreux qui poussent aujourd'hui la porte des CCAS. Et puis il y a tous ceux qui ne la poussent pas... Cet enjeu du non-recours a été largement abordé, avec l'évocation de situations parfois dramatiques.

"Oui, les CCAS sont bien au cœur du pacte social", assure Jean-Christophe Combe. Le ministre des Solidarités intervenait à distance ce 28 mars lors de la plénière d’ouverture du 92e congrès de l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) organisé sur deux jours à Bourges.

Dans cette allocution vidéo, le ministre a tout d’abord évoqué la "crise inflationniste" du moment, listant les diverses mesures prises par le gouvernement pour y répondre, qu’il s’agisse de carburants, d’énergie, de revalorisation des allocations ou des minima sociaux, d’aides pour les élèves, les étudiants ou les familles monoparentales… Et il a, surtout, évoqué le futur "pacte des solidarités" qui doit prendre le relais du plan pauvreté et sera présenté "dans les prochaines semaines". Ce pacte se veut "plus ambitieux" que l’ancien plan et entend en "corriger les limites", a-t-il d’emblée précisé.

Jean-Christophe Combe a fait état des "quatre axes" de ce pacte des solidarités :
- "la prévention de la pauvreté et la lutte contre les inégalités à la racine" ;
- "l’amplification de l’accès à l’emploi pour tous" ;
- "la prévention de la bascule dans la pauvreté et la lutte contre la grande exclusion", en "allant chercher les personnes qui sont les plus exclues et les plus isolées", entre autres dans le cadre de "Territoires zéro non-recours que pourront porter les CCAS volontaires", dispositif pour lequel un appel à projets sera lancé "dans les prochains jours" ;
- "l’accompagnement des plus précaires dans la transition écologique en diminuant les charges qui pèsent sur les plus modestes", y compris dans le domaine de l'alimentation : "Nous avancerons dès cette année sur le programme 'Mieux manger pour tous', déclinaison du Fonds d'aide alimentaire durable auquel les CCAS sont éligibles", a précisé le ministre.

Tout cela "ne pourra se mettre en œuvre que dans le cadre d’un partenariat étroit entre l’Etat et les collectivités", a-t-il souligné, citant trois exemples :
- "l’aller-vers et la lutte contre le non-recours", donc ;
- "la poursuite et l’amplification des cantines à 1 euro" ;
- "le renforcement de la domiciliation" des personnes sans domicile fixe avec des crédits en hausse cette année et, en réponse à une demande de l’Unccas, des crédits ouverts aux CCAS.

Pour assoir ce partenariat, le nouveau pacte doit être "l’occasion de refonder la démarche contractuelle", en concluant "de véritables pactes locaux des solidarités avec les départements et les métropoles", a poursuivi le ministre – sans mention, donc, de l’échelon local hors métropoles. Cette "voie contractuelle" permettra de "placer chacun au bon niveau de responsabilité" et de corriger "les lourdeurs et travers des précédentes contractualisations". "Nous prendrons le temps de préparer" ces pactes locaux "pour qu’ils puissent se déployer opérationnellement à compter du 1er janvier 2024", a-t-il dit.

Une "pauvreté qui avance à bas bruit"

Le président de l’Unccas, Luc Carvounas, qui a apporté sa contribution au pacte des solidarités, attend en tout cas "une feuille de route concrète" de la part du gouvernement. Soulignant dans sa prise de parole d’ouverture du congrès que "un Français sur cinq a poussé la porte d’un CCAS", comme le montre le baromètre de l’action sociale qui venait d’être présenté (voir notre article), le maire d’Alfortville a également insisté sur le fait que les CCAS voient aujourd’hui affluer de nouveaux publics : salariés, jeunes… sur fond de "pauvreté qui avance à bas bruit".

Et l’élu d’évoquer toute une série d’enjeux d’actualité pour les CCAS (comme il l’avait fait il y a quelques jours dans l’interview qu’il avait accordée à Localtis) : le logement, le grand âge et les aidants, la domiciliation, l’alimentation, les territoires ultramarins auxquels l’Unccas avait la veille dédié une séquence pré-congrès… Or qui dit "nouveau pacte social" dit "de vrais moyens" : "investir dans le social aujourd’hui, c’est réduire la dette de demain". "Chaque personne insérée, logée, c’est une personne qui peut contribuer à nouveau."

Luc Carvounas a aussi rappelé avoir pris contact avec d’autres associations d’élus locaux (notamment l’AMF, l’AMRF, Intercommunalités de France et Départements de France) pour constituer une "alliance des territoires du social" afin, notamment, de mener un "travail de lobbying parlementaire" en vue de toutes les prochaines réformes sur lesquelles les acteurs sociaux territoriaux estiment avoir leur mot à dire.

"Faire en sorte que les souffrances sociales reculent"

La question des moyens financiers et humains des CCAS et, plus largement, ceux des services publics locaux, a été largement abordée l’après-midi même lors d’une table ronde consacrée à l’accès aux droits. Selon Martial Bourquin, vice-président de l’Unccas, maire et ancien sénateur, le non-recours serait de 40% pour le RSA, de 30% pour les allocations familiales. De multiples causes peuvent être identifiées : méconnaissance des dispositifs, "crainte d’apparaître comme un assisté", problèmes linguistiques, "déficit de sociabilisation juridique", difficultés d’accès (distance, horaires)… sans oublier l’obstacle du numérique.

Parce qu’il est "insupportable qu’autant de personnes précaires ne bénéficient pas de l’aide à laquelle elles ont droit", parce qu’il faut "faire en sorte que les souffrances sociales reculent", il est impératif d’arrêter l’hémorragie des services publics, a insisté Martial Bourquin. Et celui-ci d’estimer que le réseau des CCAS, lieux de proximité par excellence, "toujours présents", constitue une réponse pertinente. Mais pour cela, oui il faut "des budgets, des personnels formés".

Car même lorsqu’on est un CCAS, il faut être en mesure de développer le désormais fameux "aller-vers" - "aller chercher les gens au bon endroit, dans les résidences sociales, les centres sociaux, les pharmacies…", estime l’élu. Ceci vaut aussi pour les personnes dont les difficultés sont récentes, suite notamment à une perte d’emploi, car à leurs yeux, le CCAS ne leur est pas destiné : "Le CCAS, c’est pour plus faible que soi". C’est par exemple ce que constate Elisabeth Blanchet, maire de Chappes, une petite commune de l’Allier. Pour qui il faut "entendre" les difficultés croissantes liées aux crises successives des dernières années : "Dans un premier temps, les gens sont dans la résignation ; puis vient le temps de la colère", dit-elle, redoutant même aujourd'hui, si rien n’est fait, "un pays à feu et à sang".

La tableau dressé à Bourges par Claire Hédon, la Défenseure des droits, est lui aussi plutôt sombre, à l’heure où "on demande à l’usager de s’adapter" alors que ce serait aux services publics de s’adapter à l’usager : "Les agents publics eux-mêmes sont mis en difficulté, les services publics sont mis à mal, les citoyens sont énervés à force de ne pas recevoir de réponse", dit celle dont on connaît le combat contre un tout-numérique excluant.

"Une question urgente à traiter"

Selon Claire Hédon, le non-recours, ce sont aussi "des personnes qui commencent des démarches puis, devant les obstacles, renoncent". Et si France services peut favoriser l’accès aux droits, ce ne serait pas toujours la formule magique dans la mesure où les agents n’ont pas toujours "accès aux dossiers" et ne peuvent donc "pas faire grand-chose". Evoquant par exemple le cas de retraités "sans pension pendant 12 ou 18 mois" du fait de dossiers bloqués, la Défenseure des droits considère elle aussi que "le non-accès aux services publics est un facteur de division de la société" et est "une question urgente à traiter".

Le plan pauvreté 2018-2022 aurait toutefois permis de lancer certaines actions en termes d’accès aux droits, y compris pour les personnes les plus "à la marge". C’est ce qu’a fait valoir Cécile Tagliana, la Déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté : les départements chefs de file du dispositif "premier accueil social inconditionnel", qui couvre aujourd’hui 95% du territoire ; France services donc, qui mérite certes d’être "mieux connu" ; les Points conseil budget (50 CCAS labellisés) qui, par le biais d’un conseil budgétaire, conduisent souvent à l’ouverture de nouveaux droits ; l’automatisation de certaines aides (dont la complémentaire santé solidaire pour les bénéficiaires du RSA).

Parallèlement, ont été tentées des "campagnes de détection, grâce aux données sociales", explique Cécile Tagliana, tout en prévenant que l’exercice est difficile. Et quelques collectivités se sont déjà engagées dans la démarche de "territoires zéro non-recours". Tel est le cas de Bastia, du 10e arrondissement de Paris et de Vénissieux, avec "des techniques diverses" selon les territoires. Mais avec deux constats communs : "il faut du temps, il faut tester plein de choses", et il faut impliquer "de très nombreux partenaires, jusqu’à trente ou quarante, tels que les associations, les offices HLM…". Le tout autour du CCAS.