Congrès des maires – Les élus en première ligne dans la lutte contre les violences intrafamiliales

Dans la lutte contre les violences intrafamiliales, les élus sont souvent en première ligne. En témoigne le forum "Détecter et accompagner les enfants et les femmes victimes de violences intrafamiliales" qui s'est tenu jeudi 23 novembre dans le cadre du 105e Congrès des maires. Dès le lendemain, la Première ministre a lancé une campagne contre les violences que subissent les femmes dans les transports en commun. Une proposition de loi instaurant une ordonnance de protection "immédiate" pour les victimes de violences conjugales sera examinée prochainement à l'Assemblée. L'étau se resserre mais le fléau est encore en augmentation de 15% par rapport à 2021. 

On a beau souhaiter un "sursaut collectif", comme l'a appelé de ses vœux la Première ministre à l'occasion du lancement, ce vendredi 24 novembre, d'une campagne contre les violences sexistes et sexuelles dans les transports (voir notre encadré ci-dessous), il y a des constats qui sautent aux yeux. Le forum "Détecter et accompagner les enfants et les femmes victimes de violences intrafamiliales" qui s'est tenu la veille, dans le cadre du 105e Congrès des maires réunissait principalement… des femmes. Comme si les violences intrafamiliales étaient un problème à régler entre femmes. Pourtant, il serait bon de rappeler quelques chiffres. Parmi les 244.000 victimes de violences conjugales enregistrées en 2022 par les forces de sécurité, la grande majorité des victimes sont des femmes (87%) et les mis en cause sont le plus souvent des hommes (89%). Le fléau est en augmentation de 15% par rapport à 2021. Et encore, ce n'est que la partie "émergée de l'iceberg", a souligné l'animateur du forum. En effet, seule une victime de violences conjugales sur quatre signale aux services de sécurité les faits qu’elle a subis. Les deux tiers de ces violences sont des violences physiques, 30% des violences verbales ou psychologiques et 5% des violences sexuelles. Ces chiffres sont les derniers en date du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure et ont été publiés le 16 novembre 2023. Alors "dans un contexte de libération de la parole", on ne peut que se réjouir de "l'amélioration des conditions d'accueil des victimes". Il n'empêche que leur nombre officiel a doublé depuis 2016.

"En tant qu'élus, nous recevons des mails toutes les semaines de femmes qui cherchent un hébergement d'urgence", a-t-on pu entendre lors de ce débat. Les élus sont en première ligne dans la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF). "On a plein de signaux faibles mais on n'a pas de zone pour les centraliser. C'est ma frustration…", confie le maire d'une commune près de Toulouse qui a connu récemment l'assassinat d'un enfant de 3 ans.

Remise du guide pratique de l'AMF à la ministre

L'AMF a introduit ce forum avec sa vice-présidente, Cécile Gallien. Cette dernière a remis un guide pratique intitulé "Les maires et la lutte contre les violences faites aux femmes" à la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Bérangère Couillard, venue clôturer cet échange d'une heure et demie. "Qui se sent agressé doit trouver un écho auprès des mairies, des associations, des départements, des CCAS, des gendarmeries, de la police… même s'il faut encore que l'on arrive à mailler complètement le territoire français", a-t-elle déclarée. L'AMF souhaite "apporter des solutions aux victimes mais aussi traiter les agresseurs". Avec ce guide, l'AMF entend permettre de mieux appréhender les différentes formes de violence et de "structurer une réponse complète", à travers la formation, l'information, le repérage et le suivi des victimes. 

"Quand on parle de violences, de quoi parle-t-on concrètement ?", a sondé l'animateur. "Très souvent les femmes se tournent vers les élus, vers les secrétaires de mairie pour réclamer un hébergement d'urgence, un travail en urgence", témoigne Clémence Pajot, directrice générale de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF). Elle souligne l'intérêt de les former à cette "première écoute" mais aussi à être capable de donner les ressources utiles sur le territoire. Elle énumère ce qui constitue "souvent un continuum de violences que subissent les femmes, qui vont du sexisme aux violences conjugales, sexuelles, jusqu'au harcèlement de rue, et cela tout au cours de leur vie". La fédération a fêté ses 50 ans l'année dernière et a pour objectif d'apporter une réponse "de proximité sur tous les territoires". À noter que, comme en 2021, la Seine-Saint-Denis, la Guyane, le Pas-de-Calais, le Nord et la Réunion sont les départements qui affichent les plus forts taux de victimes enregistrées pour 1.000 habitantes âgées de 15 à 64 ans.

112 féminicides en 2022 et "la plupart ont lieu dans la ruralité"

Les équipes des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), présentes dans tous les départements, sont composées de juristes, de psychologues, de conseillères en insertion professionnelle. Clémence Pajot rappelle que 112 féminicides ont eu lieu en 2022 et "la plupart dans la ruralité". Dans leur travail avec les élus et les collectivités locales et dans une optique "d'aller vers", les CIDFF animent des permanences juridiques dans les CCAS, maisons des femmes portées par des collectivités, dans des centres commerciaux, dans des bus itinérants. On recense 2.400 permanences d'information juridique dont 500 dans la ruralité. 

Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) rappelle pour sa part que c'est la FNSF qui a créé le 3919, le numéro national de référence d'écoute téléphonique et d'orientation à destination des femmes victimes de violences. 13.000 appels sont pris en charge chaque année par la ligne d'écoute, "moins connue en milieu rural", regrette la directrice. La ligne d'écoute est gratuite, anonyme, confidentielle, accessible aux personnes malentendantes et, depuis novembre 2023, "en traduction simultanée pour les femmes allophones", se félicite Françoise Brié. La FNSF recouvre aussi 81 associations en France avec 5.000 places d'hébergement ainsi que les LEAO, les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation, ou encore un accueil de jour dans tous les départements. La directrice rappelle l'importance de s'inscrire dans un "réseau de travaux contre la violence, dont les CLSPD (conseils locaux et conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance), pour être en lien avec tous les élus". Elle incite enfin à s'intéresser aux textes internationaux, et notamment la convention d'Istanbul, portée par le Conseil de l'Europe, qui met en avant les politiques intégrées et l'intérêt d'exercer des actions conjointes.

"45 interventions ont lieu toutes les heures sur le territoire français"

Harmonie Lecerf Meunier, présidente du CCAS de Bordeaux, qui représente lors de la table ronde l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), décrit pour sa part "des femmes qui arrivent à l'accueil de la mairie, avec des enfants, des valises, parfois des traces de coups, en état de choc, des femmes qui descendent des trains dans les grandes villes car elles doivent se sauver (voir notre encadré), une femme brûlée vive sur le trottoir à Bordeaux". "Les gens connaissent les CCAS", se félicite-t-elle avant de rappeler que "45 interventions ont lieu toutes les heures sur le territoire français". Sur la question de la proximité, elle évoque la nécessité d'un travail de "prévention". "Nous avons besoin de former les travailleurs sociaux et de sensibiliser les agents pour repérer les choses un peu subtilement. Nous avons un programme très large de formation et de sensibilisation y compris des élus dans leur relation avec les agents." 

Un référent VIF au sein de chaque brigade de gendarmerie

Parce que la gendarmerie et la police nationales coopèrent sur ces questions, notamment depuis l’impulsion donnée par le Grenelle des violences conjugales, en 2019, les référentes nationales VIF des deux forces de l'ordre, la colonelle Dorothée Cloître et la commissaire de police Charlotte Huntz, ont souhaité intervenir ensemble. "La gendarmerie dispose désormais d’un référent VIF au sein de chaque brigade et d’une maison de protection des familles (MPF) au sein de chaque groupement de gendarmerie départementale (GGD), qui sont des interlocuteurs essentiels pour les élus et travaillent en synergie avec les acteurs associatifs locaux", a détaillé la colonelle Cloître. Concernant le volet formation, elle a indiqué que "plus de 2.000 experts, gendarmes et policiers, forment leurs camarades et collègues à la prise en compte de ces violences, et qu’ils peuvent aussi sensibiliser les agents au sein des collectivités".
Les deux professionnelles ont aussi rappelé l’existence de la plateforme numérique de signalement des atteintes aux personnes et d'accompagnement des victimes (Pnav), "utile quand les victimes sont réticentes à se déplacer physiquement" mais aussi pour que "les élus puissent signaler des faits". Elle est accessible sur le site et l’application "Ma sécurité". En entrant le code postal, l'outil liste tous les liens utiles des associations d'aide aux victimes locales. La colonelle Cloître a enfin insisté sur la volonté de la gendarmerie "d’aller vers" les victimes de VIF, "de parcourir le dernier kilomètre", en prenant la plainte en mobilité, là où la victime le souhaite, par exemple au sein d’une association ou d’un établissement hospitalier.

  • Lancement d'une campagne contre les violences sexistes dans les transports

"Contre les agresseurs, levons les yeux" : la Première ministre, Élisabeth Borne, a pris exceptionnellement le métro vendredi 24 novembre 2023 à Paris pour lancer à la gare Saint-Lazare une campagne contre les violences sexistes et sexuelles dans les transports. Cette campagne de communication, qui va durer un mois et a coûté 1 million d'euros, "répond à un constat alarmant : la quasi-totalité des femmes, neuf femmes sur dix, déclarent avoir subi des agressions verbales ou physiques dans les transports en commun, (...) des sifflements, des insultes, voire des agressions sexuelles ou même des viols. C'est totalement inacceptable", a affirmé la cheffe du gouvernement. "On a besoin d'un véritable changement des mentalités" et de "provoquer un sursaut collectif. (...) Ne gardons pas les yeux rivés sur nos téléphones. Réagissons collectivement, levons les yeux", a ajouté Élisabeth Borne, qui était accompagnée par trois ministres, Clément Beaune (Transports), dont le ministère est à l'initiative et financeur de la campagne, Dominique Faure (Collectivités) et Bérangère Couillard (Égalité). La Première ministre a ensuite salué des agents de la RATP et les forces de l'ordre. "Ça arrive que des tierces personnes interviennent, mais il faut un certain courage", a témoigné une policière. Outre les transports collectifs, Clément Beaune va réunir vendredi après-midi le comité dédié à ces violences pour travailler avec le secteur des VTC et des taxis. 
De retour à Matignon, Élisabeth Borne a présidé une réunion avec des acteurs engagés contre les violences faites aux femmes. "Les violences faites aux femmes, c'est encore trop souvent la honte. Une honte qui envahit les victimes alors qu'elle devrait accabler les coupables", a-t-elle relevé. Elle a salué plusieurs mesures qui vont entrer en vigueur à compter du 1er décembre, comme le versement aux victimes de violences conjugales qui doivent quitter leur domicile d'une "aide financière d'urgence" (notre article du 17 février 2023) . 
Le décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023, publié vendredi au Journal officiel, dote en outre toutes les juridictions de "pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales".
Élisabeth Borne a aussi promis l'examen à l'Assemblée d'une proposition de loi de la députée Renaissance Émilie Chandler, qui instaure une ordonnance de protection "immédiate" pour les victimes de violences conjugales.