Produire plus, rénover mieux : la quadrature du cercle pour les bailleurs sociaux

Dans sa dernière étude "Perspectives", publiée le 11 septembre 2025, la Banque des Territoires estime qu’atteindre les objectifs climatiques ambitieux sans compromettre la production de logements neufs sera un numéro d'équilibriste, nécessitant des arbitrages structurels et probablement des évolutions de politiques publiques.

Face à la crise du logement et à l’urgence climatique, le secteur HLM est sommé d’aller vite… sur deux fronts. Mais à moyens constants, les choix à faire deviennent stratégiques, voire douloureux. Dévoilée à quelques jours du congrès HLM, l’édition 2025 de l’étude "Perspectives" de la Banque des Territoires propose une plongée chiffrée dans un avenir où chaque euro investi pèsera lourd.

Les bailleurs sociaux ont déjà dû faire face à une année 2023 particulièrement éprouvante, marquée par la persistance de l'inflation et une hausse significative du taux du livret A. Une grande partie de la dette des bailleurs étant indexée sur ce taux, le paiement des intérêts de la dette a grimpé en flèche (+81,4% par rapport à 2022), pesant lourdement sur leur capacité d'autofinancement, qui a atteint un niveau historiquement bas de 1,5%. Le marché immobilier dégradé et l'accès plus difficile au crédit pour les particuliers ont également impacté les ventes de logements sociaux, réduisant ainsi une source importante de revenus pour les bailleurs.

Malgré ce contexte économique défavorable, le secteur a montré sa résilience. Les bailleurs ont maintenu leurs investissements dans la production et la réhabilitation, et le potentiel financier par logement, bien qu'en baisse par rapport à 2022, est resté comparable à celui de 2021 et supérieur à la période pré-Covid.

Le double défi de la construction et de la rénovation

Au 1er janvier 2024, le parc social français comptait 5,7 millions de logements, avec 47.200 logements supplémentaires nets en un an. Cependant, la croissance ralentit, notamment en raison d'un volume élevé de démolitions et d'une légère baisse des ventes.

Les bailleurs sociaux doivent à la fois maintenir un rythme de production soutenu d'au moins 75.000 nouveaux logements par an pour faire face à la demande croissante (le parc devrait ainsi atteindre 7,9 millions de logements en 2063), et engager une vaste campagne de rénovation pour se conformer à la loi Climat et Résilience (éradication des DPE E/F/G d'ici 2034) ainsi qu’aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) visant la quasi-totalité du parc en étiquettes A ou B d'ici 2050. 

L'étude estime qu'environ 950.000 logements devront être réhabilités thermiquement d'ici 2034 pour respecter la loi Climat et Résilience, et près de 4,8 millions d'ici 2050 pour la SNBC.

Un équilibre précaire et un potentiel financier en baisse

Le scénario central de la Banque des Territoires, qui vise un équilibre entre une production élevée et des efforts massifs de réhabilitation thermique (5,3 millions de réhabilitations sur 40 ans dont 3,3 millions de réhabilitations thermiques), met en lumière une trajectoire financière préoccupante. Les investissements colossaux nécessaires pour atteindre ces objectifs, largement financés par l'emprunt, pèseraient lourdement sur les capacités d'autofinancement du secteur.

Le potentiel financier par logement s'éroderait fortement entre 2024 et 2035, passant de 1.420 euros à 365 euros. Une période de latence est anticipée entre 2035 et 2052, où ce potentiel se stabiliserait à un niveau bas (environ 320 euros par logement).

Autre point crucial, malgré ces investissements massifs, l'objectif de neutralité carbone de la SNBC ne serait que partiellement atteint : 60% du parc serait conforme en 2050 et 80% en 2060. Ce n'est qu'à partir de 2050, avec l'arrivée à échéance d'une grande partie des dettes contractées, que le potentiel financier commencerait à se redresser, pour atteindre environ 1.200 euros par logement en 2063.

Des scénarios alternatifs pour des choix cruciaux

L'étude explore également trois scénarios alternatifs, illustrant les arbitrages difficiles auxquels sont confrontés les bailleurs :
- priorité à la rénovation climatique : en accentuant encore les efforts de réhabilitation, l'objectif SNBC de 100% d'atteinte en 2060 serait réalisable, mais au prix d'une chute de la production de nouveaux logements à 46.000 unités par an et d'un potentiel financier réduit de moitié en 2063 (610 euros par logement) ;
- priorité à la production de logements neufs : maintenir un rythme très élevé de 100.000 nouveaux logements par an permettrait un parc final plus important et un potentiel financier doublé (2.405 euros par logement en 2063). Cependant, les objectifs climatiques seraient encore plus retardés (50% en 2050, 75% en 2060) ;
- maîtrise des coûts de construction : si les coûts de construction (ICC) s'alignaient sur l'inflation à partir de 2030, cela libérerait des marges de manœuvre financières. La SNBC serait atteinte à 66% en 2050 et 94% en 2060, tout en maintenant les efforts de production du scénario central, avec un potentiel financier par logement comparable en fin de période (1.240 euros en 2063). Cette hypothèse constituerait une rupture avec les vingt dernières années, marquées par une hausse des coûts structurellement supérieure à l'inflation.

En tout état de cause, "tous les scénarios illustrent de fait que les objectifs de la SNBC sur le volet logement ne pourraient être atteints qu’avec retard, et au détriment d’une politique volontariste de construction de nouveaux logements, à politiques publiques actuelles", conclut l’étude.

 

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