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Contentieux de l'aide sociale : le Tribunal des conflits précise qui juge quoi

Le contentieux de l'aide sociale a fait l'objet d'une réforme en profondeur. Il restait encore quelques zones d'ombre, que le Tribunal des conflits, sais par le Conseil d'État, vient éclairer en lien avec une affaire concernant un département. Qui  est compétent ? Juridictions administratives ou juridictions judiciaires ?

En application de l'article 12 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, le contentieux de l'aide sociale - et plus largement ce qu'il est convenu d'appeler la "justice sociale" - ont fait l'objet d'une réforme en profondeur, qui redistribue entièrement les juridictions compétentes. Cette réforme a notamment fait l'objet de deux ordonnances et d'un décret du 16 mai 2018 (voir notre article ci-dessous du 24 mai 2018), suivis d'un décret du 30 octobre 2018 (voir notre article ci-dessous du 5 novembre 2018). Ces textes ont supprimé, à compter du 1er janvier 2019, les deux juridictions sociales spécifiques qui se partageaient jusqu'alors ce contentieux : d'une part, les juridictions du contentieux de l'admission à l'aide sociale et celles du contentieux des commissions départementales et de la commission nationale d'aide sociale ; d'autre part, les juridictions du contentieux général et du contentieux technique de la sécurité sociale. Entretemps, un décret du 4 septembre 2018 est venu désigner les juridictions de droit commun désormais compétentes pour en connaître : tribunaux de grande instance (TGI) et cours d'appel spécifiquement désignés d'une part, tribunaux administratifs et cours administratives d'appel d'autre part (voir notre article ci-dessous du 24 septembre 2018).

Un bloc de compétence, mais avec des fissures...

Si les bases de la nouvelle organisation sont ainsi posées, il restait encore quelques zones d'ombre. Un arrêt important du Tribunal des conflits, saisi par le Conseil d'État, vient lever un coin du voile. L'affaire concerne en l'occurrence le département de la Drôme. Le tribunal administratif de Grenoble avait été saisi par Mme A... d'un recours tendant à l'annulation du titre exécutoire émis le 9 février 2018 par le département de la Drôme en vue du paiement de la somme de 1.400 euros, correspondant à son obligation alimentaire pour le séjour de son père au sein d'un Ehpad. S'interrogeant sur sa compétence en la matière, le tribunal administratif avait alors transmis la question au Conseil d'État, qui a décidé de saisir à son tour le Tribunal des conflits pour trancher entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires.

Dans un mémoire transmis au Tribunal des conflits, la ministre des Solidarités et de la Santé demandait que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige, "par les motifs que la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 a entendu créer un bloc de compétence au profit du juge judiciaire en matière d'obligation alimentaire et lui confier l'ensemble des décisions en matière d'aide sociale qui prennent en compte, puis mettent en œuvre l'obligation alimentaire".

Au juge administratif le contentieux de l'aide alimentaire, au  juge judiciaire celui de son recouvrement…

Une position de l'État suivie seulement pour partie par le Tribunal des conflits. En effet, après avoir passé en revue les différents textes applicables dans le cadre de la nouvelle organisation, l'arrêt conclut "qu'il résulte de ces dispositions, applicables au litige opposant Mme A... au département, que sont transférés à la juridiction judiciaire les recours des obligés alimentaires contestant les décisions prises par l'État ou le département pour obtenir le remboursement des sommes avancées par la collectivité, les recours contre les décisions relatives à l'admission à l'aide sociale continuant en revanche de relever de la juridiction administrative même en présence d'obligés alimentaires".

Dans ces conditions, "il incombe désormais à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande de Mme A... contre le titre exécutoire émis à son encontre par le président du conseil départemental de la Drôme". Une sorte de jugement de Salomon, qui s'explique pour des raisons juridiques, mais risque de nuire à la lisibilité du contentieux de l'aide sociale - déjà complexe -, une même affaire (la contestation du montant de l'aide alimentaire, puis celle de sa mise en recouvrement) pouvant dorénavant conduire un requérant à saisir successivement le juge administratif, puis le juge judiciaire.

Référence : Tribunal des conflits, arrêt n°C4154 du 8 avril 2019, département de la Drôme, Mme A. (publié au recueil Lebon).