David Lisnard au diapason des associations départementales de maires

Le président de l’Association des maires de France fait la tournée des assemblées départementales de maires, se voulant à l’écoute de ses collègues. Le 23 juin au matin, avant l’Aube l’après-midi, il faisait étape en Loir-et-Cher, où l’on a entonné des refrains bien connus : inflation normative, perte d’autonomie financière et juridique, montée des "incivilités"… Quelques nouveaux titres menacent l’harmonie : outre le zéro artificialisation nette, la révision de la valeur locative des locaux professionnels semble sonner particulièrement faux.

David Lisnard en tournée. Le terme sied bien à ce fan de rock ! (une photo de Lemmy Kilmister, figure emblématique du groupe Motorhead, orne son bureau, détail révélé dans l’un des rares entretiens que le magazine Rock & Folk ait accordé à un homme politique). Cette matinée du 23 juin, c’est à Blois que le président de l’Association des maires de France (AMF) a donné de la voix, improvisant son discours en écho à ceux déclamés avant lui en "première partie". Catherine Lhéritier, vice-présidente de l’AMF et chef d’orchestre de ce 63e congrès des maires de Loir-et-Cher, en sa qualité de présidente de l’association départementale des maires, a donné le la, amplifiant les "inquiétudes" de ses confrères émises mezza voce.

La ritournelle du ZAN

En tête du box-office, un standard dont le succès ne se dément pas : l’inflation normative. Rendant au passage un hommage appuyé à Alain Lambert pour son action au Conseil national d’évaluation des normes, dont elle espère une meilleure prise en compte des avis, Catherine Lhéritier dénonce dans un pot-pourri les contraintes imposées par les PLUi, "qui ne permettent pas de prendre suffisamment en compte les spécificités des territoires", ou celles du Sraddet, une forme de "tutelle d’une collectivité sur une autre". Et d’appeler en particulier à la vigilance à l’égard de la déclinaison du zéro artificialisation nette (ZAN), rappelant que "le volet réglementaire ne doit pas alourdir la loi" (v. infra). Un sujet dont les maires "doivent s’emparer avant l’automne", exhorte le préfet de département François Pesneau (qui vient d’intégrer le conseil d’administration de l’Agence nationale de cohésion des territoires). Sinon, "la mécanique se déploiera sans vous", prévient-il.

Ubu à la baguette

Autre tourment au répertoire, les finances. Au-delà des "classiques" – baisse des dotations de l’État, augmentation de la valeur du point d’indice, hausse des coûts de l’énergie en particulier et inflation en général, remontée des taux d’intérêt…  –, Catherine Lhéritier attire l’attention sur deux sorties récentes. D’une part, "l’impossibilité de récupérer la TVA sur les travaux assurés en régie, qui risque d’entraîner leur externalisation auprès d’artisans qui ne parviennent déjà pas à répondre à nos sollicitations" (voir notre article du 7 janvier 2021). D’autre part, la révision de la valeur locative des locaux professionnels, qui entraînerait dans un même tempo d’importantes variations d’imposition pour les entreprises — avec une baisse pour les grandes surfaces et une hausse pour le commerce de proximité – et une "diminution insoutenable des recettes pour certaines communes" (voir notre article du 20 décembre 2018). Le préfet lui-même en convient : "Les nouvelles modalités conduisent à des modifications d’assiette beaucoup trop importantes pour pouvoir être encaissées sans mesure d’accompagnement." Il précise avoir alerté les services concernés. Reste à savoir s’il sera écouté. "Ubu peut être roi", entonne pour sa part David Lisnard, pointant la dissonance entre ces impacts et le programme Action cœur de ville, qu’il qualifie par ailleurs de "très bon dispositif". Saluant "un préfet très à l’écoute, c’est agréable", il observe que "tous les représentants de l’État nous disent qu’on a raison" sur ce dossier, pour lequel "l’AMF demande solennellement un moratoire". 

Les fausses notes de l’incivisme

Dans un registre varié – jouant aussi bien de la "tautologie" que du "en loucedé" –, le président de l’Association des maires de France a su séduire l’auditoire. En indiquant d’emblée qu’il était venu avant tout "pour écouter", puis en assurant qu’il voulait renforcer le lien entre "le siège" et les associations départementales – "qui sont un trésor, la dernière instance où se retrouvent les élus communaux" –, il ne prenait il est vrai guère le risque de la bronca. De sa tournée en cours, et en dépit de la diversité des territoires, il constate que la "setlist" des récriminations ou sujets de préoccupations est peu ou prou toujours identique. En tête, la lutte contre l’incivisme – une partition qu’il affectionne. "J’en ai fait le combat majeur de ma commune", avoue-t-il, dénonçant tout à trac jets de déchets, stationnement sur une place réservée aux handicapés et autres "4x4 déposant le gamin dans la cour de l’école". Devant une salle acquise, il dénonce avec force les agressions d’élus lorsque ceux-ci interviennent pour faire cesser un rodéo urbain, faire déplacer des gens du voyage ou fermer un établissement. Il fait valoir que les élus "ne demandent pas à être privilégiés" : "On ne veut pas obtenir un coupe-file parce que notre État est désorganisé, parce que cela ne ferait que créer de l’arbitraire supplémentaire." Mais il assure qu’il continuera à mener le combat pour que l’AMF puisse se constituer partie civile en cas d’agression d’un élu (voir notre article du 13 janvier), ce qui "renforcerait l’effectivité des poursuites et ajouterait une couche d’indemnisation, et donc de sanction pour l’agresseur".

Une loi "monolithique et inapplicable"

Reprenant en canon le thème du harcèlement textuel, David Lisnard déplore "les surcharges administratives qui nous éloignent des réalités" : "J’observe aujourd’hui le bel œcuménisme autour de la gestion du covid. Mais je n’oublie pas qu’au départ, le ministère de la Santé refusait nos centres de vaccination, refusait que l’on fournisse des masques dans les hôpitaux alors qu’il n’était lui-même pas en mesure de les offrir…", grince-t-il. Le maire de Cannes a néanmoins tenu à distinguer "la complexification, qui peut être positive, de la complication, qui elle n’est pas acceptable". Las, "la complication est inouïe depuis une vingtaine d’années", constate-t-il, qu’elle soit le fruit "de la loi, du règlement… ou de leur surinterprétation". "La loi est tellement monolithique et inapplicable que l’on est contraint de multiplier les dérogations. Or ces dernières favorisent ceux qui ont du temps, des compétences, des relations – de l’arbitraire, encore – et enrichissent les cabinets de conseils", soupire-t-il. Pour y remédier, l’AMF vient de créer en son sein un "comité législatif local" (voir notre article du 12 mai), qui a pour mission d’intervenir en amont afin d’éviter des "textes aux injonctions contradictoires", "hors-sol", adoptés "sans étude d’impact préalable et sans tenir compte des réalités" – et de prendre exemple du (peu de) temps laissé aux conférences des Scot pour décliner l’objectif ZAN, "quand on sait qu’il a fallu parfois des décennies pour arrêter un Scot, et encore, quand il y en a". Mais aussi en aval, afin de conduire de véritables évaluations.

Dévitalisation des communes et recentralisation

David Lisnard sonne encore la charge contre la "dévitalisation des communes" et la "recentralisation" à l’œuvre, l’État plaçant les collectivités "sous perfusion" sur le plan financier et de l’ingénierie, et les infantilisant sur le plan juridique, via la substitution d’"un régime d’autorisation préalable au régime de sanction a posteriori". Il dénonce de même la logique des "appels à projets, des appels à manifestation d’intérêt, qui mettent dans des silos et excluent au moins la moitié des communes françaises – celles qui n’ont pas l’ingénierie nécessaire – et qui catalysent le phénomène de métropolisation". Ou celle des divers "schémas directeurs opposables, qui devraient apporter de la cohérence mais génèrent des pertes de temps et favorisent là encore les collectivités qui ont des relations". Et d’évoquer le rôle que l’État entend faire jouer aux Sraddet en matière de lutte contre l’artificialisation des sols, qui conduit selon lui à une "soviétisation des territoires", en les soumettant "au bon vouloir des présidents de région". Moquant la multiplication des usines à gaz, "un paradoxe lorsqu’on veut défendre l’environnement", il dénonce les décrets soit disant "d’application" de la loi Climat et résilience – relatifs au ZAN ou au recul du trait de côte –, qu’il juge "en contradiction avec la loi", contraignant l’AMF à déposer un recours devant le Conseil d’État (voir notre article du 23 juin). 

La DGF n’est pas un don, mais un dû !

Côté finances, David Lisnard est sans surprise sur la même tonalité que la vice-présidente. Il s’insurge d’abord contre les dix milliards d'efforts qui pourraient être demandés par l’État aux collectivités "pour assainir les comptes publics" (voir notre article du 6 mai), ou plus exactement selon lui "pour alimenter le laxisme des administrations qui ne veulent pas se réformer". "Nous, nos comptes sont bien gérés", argue-t-il, rappelant que "le bloc communal représente 4,5% de la dette publique. Et nous, nous n’empruntons pas pour le fonctionnement". Et de s’alarmer du coup ainsi "porté à la croissance et à la création de valeur", compte tenu de la place des collectivités dans l’investissement public. Dénonçant une "centralisation de facto", en rendant les collectivités "tributaires des dotations", il attire en outre l’attention sur le fait que "la dotation globale de fonctionnement, ce n’est pas une subvention. Cet argent appartient aux collectivités, aux contribuables – ou futurs contribuables, malheureusement". 

Le maire, ce dernier mur alors que l’hiver vient

Soulignant in fine l’ampleur des "défis démographique, numérique, climatique, énergétique…" auxquels nos sociétés sont confrontées, David Lisnard insiste sur le fait que la France doit en outre affronter "une crise civique majeure", aux sources multiples – "délitement de la raison critique", "faiblesse du système éducatif" (récemment pointée par la Commission européenne, voir notre article du 23 mai), etc.", qui est aussi "celle de l’impuissance publique", cette "incapacité à être opérationnel et simple" et qui entraîne un "sentiment d’injustice". Et le maire de Cannes d’avertir sur les risques d’affaiblir les élus locaux : "Lorsque l’on ne sait plus vers qui se tourner, on s’adresse toujours au maire, qui est souvent le dernier lien social, concret, universel. Ces maires démontrent leur dévouement au quotidien, malgré le manque de moyens, et pour peu qu’on les laisse agir. Mais si l’on n’a plus de maires, alors on n’aura plus personne…"