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Dépôts sauvages de déchets : 2.000 communes partagent leur sentiment d'abandon

Selon une étude prochainement publiée par l'Ademe, l'exaspération est à son comble chez les élus locaux. Ils ont massivement répondu à son enquête visant à mieux cerner le phénomène des dépôts illégaux de déchets et à trouver des solutions pour l'endiguer. Ses résultats nourriront le projet de loi en préparation sur l'économie circulaire et un guide de bonnes pratiques qui devrait les aider. 

En langage de sondeur, on parle de taux de retour et il est ici plus que satisfaisant : 2.700 collectivités et associations ont répondu à l'enquête sur "la caractérisation de la problématique des dépôts sauvages de déchets" prochainement mise en ligne sur le site de l'Ademe. Réalisée sous son pilotage (avec Amorce, l'Association des maires de France et le ministère de la Transition écologique et solidaire) et par questionnaire par le bureau d'études Ecogeos, elle a été dévoilée en petit comité lors d'une réunion mi-décembre au ministère de la Transition écologique. Le premier enseignement qui s'en dégage est le sentiment d'exaspération voire d'impuissance des élus locaux. Loin d'être nouveau le phénomène est considéré comme ancré (plus de dix ans) et en voie d'aggravation. Sa récente médiatisation est relevée. 

21 kg de dépôts sauvages par habitant

Parmi les répondants figurent 2.400 communes - dont un grand nombre de petites et rurales - et communautés de communes. Un point fort dans un domaine où les données manquent : 86% des répondants pointent cette lacune. "Les données de quantification sont rares ou éparses", confirme-t-on chez Ecogeos. Une moyenne à considérer avec prudence a pu être établie autour de 21 kg par an et par habitant de dépôts sauvages (tous types de déchets confondus). Quant aux coûts supportés par les collectivités, ils sont évalués à 50.000 euros par an par territoire. Un chiffre à prendre aussi avec des pincettes, les variations étant marquées selon la typologie de l'habitat, la présence d'espaces boisés, etc. Soit un coût par habitant de 4,7 euros/an. La typologie des dépôts se précise : il ne s'agit pas forcément de déchets de construction, plus souvent de déchets diffus, sacs d'ordures ménagères résiduelles (OMR) et dépôts contraires au règlement de collecte.

A qui la faute ?

L'étude interroge les raisons qui poussent les usagers à abandonner des déchets sur la voie publique (ou sur des terrains privés). Outre l'incivisme et le refus de payer pour leur gestion, le faible maillage en déchetteries et l'absence de sanctions sont évoqués. "En termes de sanction un toilettage s'impose : prenez les PV pour infractions, les élus en ont tant dressé qui furent classés sans suite qu'ils sont découragés !", illustre Sylviane Oberlé, responsable du service prévention des pollutions à l'AMF. L'abandon de déchets peut être à la fois réprimé par la police judiciaire (responsabilité pénale) et administrative (procédure de sanctions fixée par l'article L.541-3 du code de l'environnement, voir à ce sujet ce dossier instructif de Zéro Waste, p. 15 à 21). Le maire et ses agents sont donc habilités à constater les infractions. Ici ou là des brigades vertes aussi s'organisent. Récemment ce fut à Amiens (cinq agents assermentés) ou Saint-Denis (sept agents). Dans le Haut-Rhin, cela se construit au niveau intercommunal entre gardes champêtres. Mais la pérennité de ce type de dispositif pose question. Autres critiques : un manque d’implication des polices municipales et gendarmerie, la lourdeur des procédures, la difficulté à identifier les responsables et le manque de moyens humains. Pour sanctionner graduellement et en connaissance de cause, un besoin d'accompagnement, de coordination plus étroite entre services et de formation juridique est relevé. 

Ni vu, ni connu

Les collectivités sondées parlent aussi d'un autre enjeu : les dépôts sauvages qui s'accumulent autour des points d’apport volontaires (PAV), c'est-à-dire hors des conteneurs. Des mesures préventives (numéro vert pour signaler les débords) ou d'insertion du PAV dans son environnement existent. Mais vraisemblablement cela ne suffit pas. Parmi les pratiques d’identification et de signalement à essaimer selon les répondants figurent la vidéoprotection de sites sensibles et la géolocalisation des dépôts via des applis citoyennes. La mise en place de pièges photographiques, comme l'a fait l’ONF en forêt de Fontainebleau, est aussi préconisée. Tout comme la suppression des corbeilles publiques de rue, afin d'inciter les usagers à repartir avec leurs déchets. Les opérations citoyennes de nettoyage et collecte du quartier laissent dubitatif. Des territoires constatent un engouement pour ces pratiques, d'autres trouvent qu'elles s'essoufflent. "Veillons à ce qu'elles ne dérivent pas pour ne pas que cela soit assimilé à du travail dissimulé", conseille un responsable de la métropole d'Aix-Marseille-Provence (AMP). 

Bientôt un guide de bonnes pratiques

Les résultats de cette enquête viennent alimenter les deux groupes de travail qui planchent depuis plusieurs mois sur ce fléau sous l'angle de la prévention (GT piloté par Carole Carpentier de Gestes Propres) et du renforcement des sanctions (GT piloté par le ministère). Ils nourriront les travaux de préparation du projet de loi sur l'économie circulaire. "Aux mesures législatives qui figureront dans ce texte et font actuellement l'objet de discussions en interministériel, il faut associer du non-réglementaire pour lutter contre ce fléau", prescrit-on au ministère. "Cette enquête nourrira un guide de bonnes pratiques destiné aux élus locaux. On le veut clair et concis. Il devrait sortir en juin prochain une fois la loi prête pour accompagner sa mise en œuvre. D'ici là que les collectivités n'hésitent pas à faire remonter leurs pratiques !", conclut Christophe Marquet, expert en prévention des déchets à l'Ademe.