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Open Data - Données publiques : après le principe de gratuité, la fin des redevances ?

En attendant les grands chantiers législatifs sur le numérique prévus pour l'année prochaine avec les projets de loi pour une République numérique et sur les Nouvelles Opportunités économiques (NOE), les parlementaires ont voté la loi Valter et valident le principe de gratuité de la réutilisation des données publiques (voir encadré). En restant au plus près du texte européen, sénateurs et députés n'ont pas encore totalement tranché sur la question des redevances qui devrait, selon toute vraisemblance, resurgir en janvier (lors de l'examen du projet de loi pour une République numérique). Les travaux d'Antoine Fouilleron sur les "échanges de données à titre onéreux entre les administrations" devraient éclairer une partie des débats. Après six mois de travail, cet auditeur à la Cour des comptes a remis son rapport au Premier ministre le 8 décembre dernier. Il dresse un état des lieux des échanges de données entre administrations et propose de mettre fin aux redevances.

Des recettes trop faibles entraînant des externalités négatives

Le rapport estime que 20 millions d'euros ont été dépensés en 2014 pour l'achat de données entre administrations et constate que les transactions réalisées sont finalement "modestes en montant" mais aussi "en progression à périmètre constant et concentrées sur quelques acteurs". Ainsi une trentaine d'administrations vendent aujourd'hui certaines de leurs données et seulement quatre concentrent plus de 87% des montants perçus (1). Or les acheteurs sont dans leur grande majorité d'autres administrations dont on estime le nombre entre 900 et 1.400, selon les années. Pour l'auteur, le "panorama des acheteurs publics est beaucoup plus fragmenté" : là où trois administrations dépassent le million d'euros de dépenses (Insee, Acoss, CNAMPTS), les autres se répartissent entre quelques dizaines d'euros et plusieurs centaines de milliers d'euros. Dans ce total, les "administrations publiques locales" représentent 55% des acheteurs mais seulement 8,6% des flux recensés, alors qu'en valeur, les services de l'Etat et les administrations de sécurité sociale sont largement dominants. De manière plus précise, les collectivités et leurs EPCI effectuent respectivement 4% (760.000 euros) et 2% (400.000 euros) des achats. Ces transactions financières entre administrations produisent, pour le rapporteur, plusieurs "effets sous-optimaux" comme "des retards dans la mise en œuvre", des "effets de renoncement à la donnée pour des raisons budgétaires" ou encore la mise en œuvre de "stratégies de contournement de la tarification qui affectent l'efficience de l'action publique" et qui risquent de "menacer l'exercice de prérogatives régaliennes de puissance publique".

Améliorer l'efficience : la gratuité comme principe

Après avoir cartographié les échanges entre administrations, le rapport propose de réformer le système en ouvrant davantage les bases de données publiques. L'auteur milite alors pour un principe de gratuité des échanges de données (proposition 1 & 2). La tarification serait toujours possible sous certaines conditions comme par exemple dans les cas de cofinancement d'enquêtes. Ce principe présenterait, selon lui, "des externalités positives pour l'administration en renforçant la qualité de l'action publique et les effets de réseaux". Ce principe de gratuité réduirait les coûts de transaction (notamment comptables) qui "dans plus de la moitié des ventes recensées […] excèdent le montant de la recette attendue". De plus, si certaines administrations vont voir leurs recettes diminuer, l'ampleur des pertes doit être "considérablement relativisée au regard de leur modestie par rapport au total des recettes d'exploitation de ces organismes". Enfin, les économies réalisées par les administrations acheteuses, dont le volume serait "très faible", ne sauraient justifier la gratuité pour l'auteur. Mais cela aurait un "effet positif sur les charges internes" et permettrait de "dégager des gains de productivité en effectifs, en masse salariale et en coûts de fonctionnement". En ce sens, le rapport préconise la "neutralisation des flux budgétaires […] par des transferts en base dans le projet de loi de finances pour 2017" (proposition 3). Une réaffectation des ressources budgétaires à la source - notamment entre les services de l'Etat et de la sécurité sociale - aurait pour effet d'améliorer l'efficience des services en mettant fin aux transactions.

Travailler à une culture de la donnée dans les services publics

Au-delà de la question financière, qui n'est pas pour l'auteur "le plus puissant obstacle à la bonne circulation des données", le rapport décrit "d'autres effets négatifs". Il met tout d'abord en garde contre un ensemble "d'effets d'incidence" liés à la gratuité : baisse de la qualité, arrêt de la collecte, limitation de l'offre, dégradation des relations, impossibilité de répondre à une demande trop forte … dès lors que les administrations productrices n'auront plus d'intéressement à produire des données. Si le rapporteur estime que ces inquiétudes sont difficilement objectivables, la valeur symbolique de la tarification (qui amène une valorisation) doit être signalée. En ce sens, il propose de mettre en place un accompagnement pour le déploiement d'infrastructures et de services propres à "favoriser la standardisation et la normalisation des échanges" (proposition 4). Cela doit lever les "obstacles sociologiques" pour les administrations productrices comme pour les administrations utilisatrices afin de développer une "culture du "management de la donnée"". Parmi les autres "freins" identifiés on peut également citer la "méconnaissance des bases de données des administrations", les délais de mise à disposition ou encore la possible "instrumentalisation" de contraintes juridiques invoquées par certaines administrations pour ne pas transmettre leurs données.

Ivan Eve / EVS

Sénateurs et députés s'accordent sur la réutilisation des données publiques
Les parlementaires ont dit "oui" au texte remanié en Commission mixte paritaire les 9 décembre (Assemblée nationale) et 17 décembre (Sénat) entérinant le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public porté par Clotilde Valter (secrétaire d'Etat chargée de la réforme de l'Etat et de la simplification). Ce texte visait à transposer dans le droit français, la directive européenne du 2013/37/UE du 26 juin 2013 sur l'Open Data public. Restant au plus près du texte européen, les parlementaires ont confirmé le principe de gratuité tout en laissant aux administrations la possibilité d'exiger une redevance, notamment lorsqu'elles "sont tenues de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l'accomplissement de leurs missions de service public" ou si les données concernées proviennent d'opérations de numérisation des fonds et des collections d'institutions culturelles. Les lois à venir sur le numérique (République numérique et "NOE") devraient conduire à la ré-ouverture du débat sur l'intérêt de maintenir ou non les redevances, compte-tenu des effets négatifs mis en avant dans le rapport Fouilleron.

 (1) Ces quatre administrations sont : la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnav, 9,77 millions d'euros), l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN, 3,02 millions d'euros), l'Insee (2,33 millions d'euros) et la Direction générale des finances publiques (DGFiP, 2,24 millions d'euros).