Émilie Kuchel (RFVE) : "Nous sommes partenaires et non prestataires de l'Éducation nationale"

Le Réseau français des villes éducatrices (RFVE) tient ses rencontres nationales ces 29 et 30 septembre 2022 à Montpellier, avec la participation des représentants d'une soixantaine de collectivités. Juste avant l'ouverture des travaux, la présidente Émilie Kuchel, adjointe au maire de Brest chargée des politiques éducatives, est revenue pour Localtis sur les sujets du moment – cités éducatives, AESH, rénovation énergétique du bâti scolaire, restauration, inflation, avenir des REP et REP+... – et sur la nécessaire complémentarité entre politiques éducatives locales et Education nationale.

Localtis - Quelle va être la ligne directrice de vos travaux lors des Rencontres nationales du RFVE à Montpellier ?

Émilie Kuchel - Nous allons y défendre l'éducation dans le sens de l'émancipation et du bien-être de l'enfant dans une période où le ministère de l'Éducation nationale parle de plus en plus d'évaluation, de savoirs fondamentaux, de diplômes qui doivent correspondre aux besoins des entreprises ou de formations par bassins d'emplois et qui lance réforme sur réforme. Nous sommes plus sur du long terme. Nos villes éducatives sont des villes à hauteur d'enfant, avec des espaces publics pour les enfants et par les enfants, et pas uniquement autour de l'école. Il y a les temps périscolaires et la cantine, des sujets très importants pour nous, mais aussi l'école inclusive, avec la question de savoir comment on peut être partenaire de l'Éducation nationale. Mais cela va plus loin que ça. Beaucoup de villes ont fait des travaux sur leurs cours d'école, on travaille aussi à la façon dont l'enfant peut se réapproprier la ville. Une des premières étapes est de rendre les abords des écoles sécurisés pour que les enfants puissent y évoluer en toute tranquillité.

Vous allez discuter avec le maire de Montpellier de la vision politique de l'éducation. Or les collectivités n'interviennent pas dans les contenus pédagogiques. Est-ce un handicap pour développer une vision et une action globales ?

Il faut que l'Éducation nationale reste nationale, qu'elle reste forte pour que chaque enfant ait accès à l'éducation, c'est important. Nous collectivités, nous sommes là en tant que partenaires et nous voulons que l'éducation ne soit pas uniquement cantonnée à l'école. Nous essayons d'associer tous nos partenaires, l'éducation populaire, les centres de vacances, etc., autour de l'éducation dans sa globalité. Le programme continue d'appartenir à l'Éducation nationale, cela ne pose pas de problème. En revanche, un enfant habite dans une ville et on se pose la question de savoir comment on amène un plus, par l'éducation aux sciences ou à la culture par exemple. L'Éducation nationale a très peu de moyens. Quand vous avez du théâtre dans une école, ce sont les collectivités qui financent.

Cela évoque les cités éducatives, lancées il y a trois ans pour fédérer les acteurs qui interviennent auprès des enfants y compris au-delà de l'école. Comment les jugez-vous ?

Le RFVE fait partie du Conseil national d'orientation et d'évaluation des cités éducatives. L'idée est de se dire qu'il ne s'agit pas d'un dispositif mais d'une façon de travailler pour qu'il y ait de la fluidité sur le terrain et qu'on ne soit pas bloqué chacun dans notre vision des choses. Les cités éducatives fonctionnent bien et ont permis de changer la façon de voir les choses. À Brest, il y a des vacances apprenantes depuis longtemps. Nous avons travaillé avec les structures de quartiers, la métropole, ce qui a permis aux enfants d'avoir des cours le matin avant de partir l'après-midi faire du bateau. Cela donnait envie aux enfants de venir et de découvrir des choses. Le matin, ils suivaient un cours de sciences et avaient la suite concrète l'après-midi en rencontrant un pêcheur. On a pu faire cela grâce à cette façon différente de travailler et aux moyens financiers de l'Éducation nationale dont on espère la pérennité.

La présentation du budget 2023 de l'Éducation nationale annonce 4.000 recrutements d'AESH (assistants d'élèves en situation de handicap) et la volonté de leur octroyer du temps plein autant que faire se peut. Où en est-on des travaux entre l'Éducation nationale et les collectivités à propos du temps de travail des AESH ?

Le dossier avance plus ou moins, mais plutôt moins que plus. L'augmentation du nombre d'AESH et de leur temps de travail, c'est très bien, mais on se retrouve toujours dans la même difficulté avec les temps périscolaires et de pause méridienne qui ne sont pas comptés par l'Éducation nationale. Nous nous retrouvons à devoir embaucher des gens pour la pause méridienne ou la garderie du soir quand on peut, quand on a les agents. Cela devient de plus en plus compliqué. On est dans une rupture de droits par rapport à ces enfants. Tant que l'Éducation nationale dira que l'école est dans le temps scolaire et pas dans un temps complet, ce sera compliqué.

Le ministère de l'Éducation nationale a confirmé qu'il n'y aurait pas d'aides spécifiques à la rénovation énergétique du bâti scolaire. Comment l'hiver s'annonce-t-il en matière d'énergie pour les écoles ?

Je ne pourrai pas me prononcer pour toutes les villes. À Brest, nous avions déjà commencé des travaux de rénovation énergétique. Sur 35 groupes scolaires, nous en avons rénové six en quatre ans. Nous bénéficions en outre d'un chauffage urbain. Ailleurs, selon la dimension des villes, il y a ou non des moyens financiers ou techniques pour réaliser des rénovations. Mais nous avons une vraie réflexion sur le bâti scolaire, nous allons certainement devoir fermer des parties de bâtiments scolaires, réaffecter des bâtiments à un autre usage que l'école. Il y a des villes on l'on perd des élèves et où l'on va dire "stop" à l'étalement scolaire.

Dans les cantines, cela fait quelques mois que l'on annonce des hausses importantes des prix des denrées alimentaires en plus de celles des prix des transports. Quelles remontées de terrain observez-vous ?

Sur notre réseau, nous avons moins d'alerte. Nous sommes beaucoup moins impactés car nous faisons souvent appel à des aliments bio et locaux. Nos fruits et légumes ne sont pas livrés depuis l'autre bout de la France et nos repas encore moins. Nous fonctionnons beaucoup en centrale et en régie et sur un achat local et peu industriel, voire pas du tout. Ceci dit, certaines villes sont en difficulté, avec des prestataires qui souhaitent renégocier leurs contrats et augmenter leurs tarifs. Cela va poser des problèmes juridiques importants dans les semaines et les mois qui viennent. Et quand il y a déjà eu augmentation des tarifs, beaucoup de villes ont fait le choix de l'absorber, d'autres en ont répercuté une partie sur les familles. On navigue à vue. On ne sait pas l'impact que les augmentations de tarifs auront, et cela vaut également pour les gymnases, les piscines, etc.

Le fonds d'innovation pédagogique annoncé par le président de la République est prévu dans le budget 2023 à hauteur de 150 millions d'euros. Les collectivités sont invitées à y participer. Comment voyez-vous cette initiative ?

On se pose des questions par rapport à l'avenir des REP et REP+. Nous avons rencontré le ministère de l'Éducation nationale mais on ne nous a pas précisé la méthode. Allons-nous être impliqués directement ? Car si c'est pour créer des écoles et nous demander d'y faire des travaux sans avoir été impliqués, cela va être compliqué pour nous. Nous n'avons aucune visibilité, y compris sur le rôle des collectivités. Nous rappelons que nous sommes des partenaires et non des prestataires de l'Éducation nationale.