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Réforme territoriale - En commission, les députés redonnent un visage plus régionaliste au projet de loi Notr

Examinant en commission le projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République, les députés se sont nettement démarqués des sénateurs en rétablissant de nombreuses dispositions du texte initial. Les transferts aux régions des routes et des transports routiers interurbains (y compris les transports scolaires) sont de nouveau d'actualité. Les députés ont aussi réintroduit le seuil de 20.000 habitants pour les intercommunalités, en prévoyant toutefois de nombreuses exceptions.

La menace d'un quasi-désossement des départements s'était éloignée à l'occasion en janvier de l'examen au Sénat du projet de loi Notr sur les compétences des collectivités territoriales. Mais pour les élus en charge de ces institutions bicentenaires, le répit aura été de courte durée. La tension devrait grimper de nouveau après l'examen du texte par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a débuté le 3 février.
Dans la soirée du 3 février et le 4 février au matin, celle-ci a en effet voté un quasi-retour au texte du gouvernement, qui prévoyait de massifs transferts de compétences des départements vers les régions. Principale compétence visée, la voirie départementale échoira le 1er janvier 2017 pour l'essentiel aux régions - les métropoles exerceront aussi cette responsabilité sur leur territoire. Pour le gouvernement, qui est à l'origine de l'amendement, la région constitue bien "l'échelon pertinent" pour répondre tant à "l’exigence d’une certaine proximité qu’à celle de rationalisation et de coordination".
Avant le début de l'examen des articles, ce 3 février, les départementalistes avaient pourtant mis en garde leurs collègues. A l'instar de Patrick Devedjian, député et président du conseil général des Hauts-de-Seine, qui a vanté le savoir-faire séculaire des départements dans le domaine routier et, a contrario, la totale inexpérience des régions. En charge de l'acte 2 de la décentralisation dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il avait lui aussi un temps envisagé un transfert de la voirie aux régions, avant de faire machine arrière pour cause de pragmatisme, a-t-il témoigné. De son côté, Dominique Bussereau, député et président UMP du conseil général de la Charente-Maritime - et ancien secrétaire d'Etat en charge des transports -, s'est élevé contre une mesure qui éloignera les routes des élus et des citoyens, entraînant à la fois "une perte d'argent et de réactivité".

Les collèges continueront à relever du département

Les ports qui sont aujourd'hui gérés par les départements seraient eux aussi transférés, le 1er janvier 2017. La commission des lois a décidé qu'ils entreraient dans le giron de la région ou des communes et de leurs groupements, suivant la procédure prévue par le projet de loi initial.
Les députés ont aussi décidé de remettre entre les mains des élus régionaux la compétence pleine et entière des transports interurbains, alors que les sénateurs avaient prévu de nombreuses exceptions au bénéfice des départements. Ainsi, les transports à la demande, ceux qui concernent les élèves handicapés et, enfin, les transports scolaires relèveront eux aussi de la région. En sachant que celle-ci aura la possibilité de déléguer sa compétence, partiellement ou totalement au département, ou à une intercommunalité. La mutualisation des lignes ordinaires de cars avec les lignes de cars assurant le transport scolaire est une solution plus efficace et économe, a avancé Alain Rousset, député, président de l'Association des régions de France et auteur de l'un des amendements.
S'agissant des collèges, le gouvernement a respecté l'engagement qu'il avait pris devant le Sénat de les maintenir dans le giron des départements. "Les collèges ne s'inscrivent pas dans ce qui fait l'attractivité et la compétitivité d'une région", a expliqué le secrétaire d'Etat chargé de la réforme territoriale, lors de son audition par la commission, ce 3 février. André Vallini a aussi relevé, en s'en félicitant, que la mutualisation de la gestion des collèges et des lycées progresse sur le terrain, à l'initiative des conseils généraux et régionaux. Si certains, comme l'UDI Michel Piron, ont estimé qu'il serait logique que les régions, en charge de la formation professionnelle, aient la responsabilité des collèges, les députés ont finalement accepté les concessions faites par le gouvernement en direction du Sénat.

La région, chef de file du tourisme

La commission des lois a également pris d'autres initiatives qui, sans forcément réduire les compétences des départements, conduiraient à un renforcement des régions. Elle a ainsi réécrit l'article 2 du projet de loi dans une version plus favorable aux régions. Celles-ci redeviennent responsables, sur leur territoire, de "la définition des orientations en matière de développement économique."
Les députés ont aussi voté un amendement du gouvernement faisant de la région le chef de file du tourisme sur son territoire. Une telle évolution permettra de "rationaliser la dépense publique" sans interdire aux autres collectivités d'intervenir dans ce domaine, puisque le tourisme demeure une compétence partagée, comme l'a expliqué la ministre en charge de la décentralisation, Marylise Lebranchu.
La commission des lois a par ailleurs adopté un amendement du rapporteur rétablissant l'obligation pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de réunir au moins 20.000 habitants, alors que le Sénat a choisi de laisser inchangé le seuil actuel de 5.000 habitants. L'amendement prévoit des exceptions pour les zones de montagne, les îles et les archipels, ainsi que pour les territoires peu denses. En Lozère, département le moins peuplé de France, les intercommunalités auraient ainsi l'obligation de dépasser un seuil de 2.900 habitants. Ce seuil passerait à 5.800 habitants dans le Gers et à 7.000 en Corse. Quelques heures plus tôt, Marylise Lebranchu avait défendu le minimum des 20.000 habitants assorti d'exceptions, en mentionnant le rapport du commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) rendu public il y a deux semaines. Un rapport qui, rappelons-le, préconise une drastique cure de minceur des communes au profit de leurs intercommunalités et qui s'est attiré les foudres de l'Association des maires de France (votre nos articles des 30 janvier et 3 février 2015).

"Le jacobinisme a vécu"

La commission des lois est aussi revenue sur le report d'un an de l'élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale. Ceux-ci devront être arrêtés au plus tard le 31 décembre 2015, dans l'optique de l'entrée en vigueur des nouveaux périmètres un an plus tard. Toujours au chapitre intercommunalité, on notera que la commission a adopté un amendement du rapporteur qui apporte des garanties au bénéfice des agents employés par des structures intercommunales (EPCI à fiscalité propre et syndicats de communes) appelés à disparaître avec la mise en œuvre de la nouvelle carte.
Lors de son audition, Marylise Lebranchu a jugé que la proposition socialiste d'accorder le statut de communauté urbaine aux agglomérations qui perdront le statut de capitale régionale (comme ce sera a priori le cas de Châlons-en-Champagne, Amiens, Metz, Poitiers ou Limoges) n'était "pas affolante". Mais il faudra veiller à l'impact de cette mesure sur la dotation globale de fonctionnement des autres collectivités, a-t-elle précisé.
Toujours lors de cette audition, de nombreux députés ont interpellé le gouvernement sur ses intentions concernant l'avenir des départements, en rappelant les évolutions du discours gouvernemental au cours de l'été et de l'automne derniers sur ce sujet. "Selon les territoires, les choses ne seront pas organisées de la même façon, le jacobinisme a vécu, l'uniformité n'est plus de mise", a répondu André Vallini. Pour sa part, Olivier Dussopt, rapporteur PS du texte, a estimé que "le débat sur l'évolution des départements ne sera pertinent que lorsque le fonctionnement des grandes régions sera stabilisé et lorsque les intercommunalités seront montées en puissance". En ajoutant qu'"il n'y a que sur le territoire des métropoles que nous pourrons avoir ce débat plus tôt".

"Tracer le chemin d'un compromis"

Certains députés de droite ont profité de cette séquence pour critiquer le calendrier retenu pour l'examen du projet de loi Notr. Ne sachant pas quelles seront les compétences des conseils départementaux, les électeurs appelés en mars prochain à élire leurs conseillers départementaux seront tentés soit par l'abstention, soit le vote extrême, ont lancé les députés UMP Dominique Bussereau et Guy Geoffroy. De son côté, leur collègue Hervé Gaymard a estimé qu'avec un repli sur les compétences de solidarité sociale et territoriale et les collèges, les conseils généraux auraient des effectifs d'élus "pléthoriques".
Dès le début de son intervention, Olivier Dussopt avait affirmé que son travail visait à "retrouver l'ambition initiale du texte en matière de clarification des compétences, de renforcement du fait régional", sans toutefois le faire "de manière manichéenne et brutale, de nombreux éléments apportés par le Sénat méritant considération et prise en compte". Il a dit vouloir, comme le gouvernement, "tracer le chemin d'un compromis".
La commission devait poursuivre dans l'après-midi et la soirée du 4 février l'examen du projet de loi. Celui-ci sera ensuite débattu dans l'hémicycle en deux temps, d'abord du 17 au 20 février, et ensuite, après la pause des vacances d'hiver, du 3 au 5 mars.