Énergies renouvelables : fin de l'examen à l'Assemblée, en attendant le vote solennel

L'Assemblée nationale a achevé dans la nuit du 15 au 16 décembre l'examen en séance du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables. Le vote solennel interviendra, lui, le 10 janvier prochain. Au cours de cette dernière semaine de débats, les députés ont notamment adopté des mesures pour faciliter le développement de l'éolien en mer et rétabli la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) pour des projets d'énergies renouvelables, pour réduire certains recours en justice. Ils ont aussi voté des dispositions pour définir et encadrer l'installation de panneaux solaires sur des terrains agricoles et supprimé le principe de ristournes sur les factures en faveur des riverains d'installations d'énergies renouvelables.

Clap de fin ou presque pour le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables à l'Assemblée nationale : les députés ont achevé l'examen en séance des articles dans la nuit du 15 au 16 décembre, après 62 heures de débat et l’adoption de 351 amendements, dont près de la moitié provenant de l’opposition. Lors du vote solennel, prévu le 10 janvier, les différents groupes politiques devront choisir entre voter pour, s’abstenir ou s’opposer.  Après un large soutien du Sénat en première lecture, l'exécutif croit pouvoir obtenir un vote favorable de l'Assemblée, grâce au PS et au groupe indépendant Liot, tandis que la position des écologistes et de LFI reste plus incertaine.

Eolien en mer

Au cours de cette dernière semaine d'examen du texte dans l'hémicycle, les députés ont adopté une série de mesures visant à accélérer l'installation de parcs éoliens en mer, en votant l'un des articles clés du projet de loi, malgré les réticences d'une partie d'entre eux. Comme au Sénat, la question d'une distance minimale d'éloignement pour les grandes éoliennes offshore a animé les débats, mais tous les amendements en ce sens ont été repoussés lundi et mardi, comme l'espérait le gouvernement.

L'article 12 adopté ce 13 décembre, avec 98 voix contre 65, vise à faciliter le lancement de nouveaux projets par des procédures de consultation moins complexes des acteurs locaux et instaure une planification de l'éolien en mer. Une première cartographie de zones "prioritaires" devra intervenir en 2024. Elles devront se situer prioritairement en zone économique exclusive, à 22 km au moins des côtes, mais il ne s'agit pas d'une obligation, au grand dam de députés de divers bancs. Députés Modem et Horizons, appartenant au camp présidentiel, ont défendu en vain des amendements limitant au maximum la possibilité d'installer des éoliennes à une distance moindre, afin de garantir leur "acceptabilité sociale". Les communistes, plus réticents que le reste de la gauche sur le sujet, ont eux aussi tenté sans succès de "sacraliser la bande côtière" jusqu'à cette limite de 22 km pour "donner un signal aux pêcheurs" inquiets, a fait valoir le député Sébastien Jumel. Quant aux députés LR, très hostiles aux éoliennes qui "défigurent" selon eux le littoral, ils ont essayé en vain de les repousser au-delà de la "ligne d'horizon" (50 km) ou encore de réintroduire la limite de 40 km, à laquelle leurs collègues sénateurs avaient fini par renoncer. Les députés RN ont confirmé de leur côté leur hostilité totale au "cauchemar" des éoliennes en mer, qui "saccagent un patrimoine français". Plusieurs amendements visant à interdire les éoliennes dans les zones maritimes protégées ont été repoussés. "Cela reviendrait tout simplement à mettre fin à la filière", a justifié le rapporteur Pierre Cazeneuve (Renaissance).

Emmanuel Macron a fixé l'objectif de déployer 50 parcs pour atteindre 40 GW à l'horizon 2050. C'est "l'équivalent de 20 centrales nucléaires" et "cela va nous permettre de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles", a insisté lors des débats la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. "J'ai toujours eu des positions pro-nucléaires", mais "il faut 15 ans pour construire un EPR", a-t-elle souligné, vantant avec l'éolien en mer "une énergie abondante et bon marché". La ministre a assuré que les procédures de consultation prévues permettront de tenir compte des appréhensions des collectivités et de certains acteurs économiques, comme les pêcheurs.

Rétablissement de la raison impérative d'intérêt public majeur pour les EnR

L'Assemblée nationale a également rétabli ce 14 décembre une disposition clé du projet de loi pour réduire certains recours en justice. Cet article 4 qui vise à reconnaître la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) pour des projets d'énergies renouvelables (EnR), afin d'éviter certains contentieux qui ralentissent leur déploiement, avait été supprimé en commission au grand dam du gouvernement. Avec cette limitation des recours, les oppositions avaient alors critiqué une menace pour la préservation de la biodiversité, ce que contestait le camp présidentiel.

En séance, la ministre de la Transition énergétique a défendu le rétablissement de l'article au nom de la cohérence avec "un texte qui vient d'être voté au Parlement européen en fin de matinée", notamment par des eurodéputés "Verts et les socialistes" (lire notre article de ce jour) . "L'élan qu'on nous demande aujourd'hui, c'est d'accélérer les choses sur les énergies renouvelables", "il serait étonnant qu'on ne vote pas que les énergies renouvelables sont reconnues d'intérêt public majeur alors que le nucléaire est reconnu comme tel", a souligné la ministre.

Opposés aux éoliennes et leurs "nuisances", RN et LR ont combattu l'article en invoquant leur "attachement à la biodiversité". Les éoliennes, "ça détruit nos paysages", ça nous "vrille les yeux et le cerveau" a dénoncé le RN Pierre Meurin. La gauche, plus allante qu'en commission, semblait disposée à négocier un compromis par des amendements LFI, PS et écologistes qui excluent le gaz et l'hydrogène bas carbone des projets relevant de cette raison impérative d'intérêt public majeur. "On est proche d'un accord" avec la gauche, glissait d'ailleurs le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher à l'AFP avant la séance. Mais des députées Renaissance, Marjolaine Meynier-Millefert et Danielle Brulebois, ont maintenu un amendement réécrivant l'article. Il a été adopté, faisant tomber tous les amendements en cours de discussion entre la gauche et le camp présidentiel, dans la confusion. "L'objectif c'était de permettre le débat, pas de supprimer les échanges, c'est vraiment une incompréhension", a assuré Marjolaine Meynier-Millefert, manifestement gênée. "On a l'impression d'avoir été pris pour des imbéciles", a fustigé le LFI Maxime Laisney, "ça engage quand même le vote final pour le texte pour notre groupe".

Définition de l'"agrivoltaïsme"

Les députés ont en outre adopté ce 15 décembre un article pour définir "l'agrivoltaïsme", mélange entre exploitation d'une parcelle et déploiement de panneaux solaires, montés par exemple sur des pieds, permettant la culture, voire le passage d'animaux ou de machines. Ces installations devront permettre de maintenir ou développer "durablement une production agricole", et apporter au moins un "service" à la parcelle : "améliorer son potentiel", l'adapter "au changement climatique", la protéger "contre les aléas" ou "améliorer le bien-être animal". La production agricole devrait rester "l'activité principale", et les installations être "réversibles". Un décret en Conseil d'État doit préciser les modalités d'application. Aurélie Trouvé (LFI) a plaidé pour "prioriser d'abord les surfaces artificialisées avant d'aller grignoter les terres agricoles", au "nom de la souveraineté alimentaire". Un amendement de députés Renaissance, adopté contre l'avis du rapporteur Éric Bothorel (Renaissance) et du gouvernement, prévoit qu'une installation "agrivoltaïque" soit précédée de l'installation de panneaux solaires sur des toits de bâtiments de plus de 300 m³, si ces derniers existent sur le site.

Les députés ont longuement débattu de garde-fous pour éviter que des installations photovoltaïques au sol sur des terres agricoles ne dévoient l'esprit du texte. Le rapporteur Éric Botherel a présenté un amendement encadrant "des dérogations" sur "des terres qui ne sont plus agricoles" selon lui, et qui seraient listées dans un "document cadre" fixé par arrêté préfectoral. Mais pour l'écologiste Delphine Batho, l'amendement adopté fait craindre un "contournement de la définition de l'agrivoltaïsme", et ne mentionne "nulle part que l'on discuterait de terres qui ne sont plus agricoles". Un sous-amendement d'Aurélie Trouvé est venu intégrer la notion de "sols réputés incultes ou non exploités" depuis au moins "dix ans" avant la promulgation de la loi.

Un article prévoit que les installations photovoltaïques ne puissent se faire en zone forestière "lorsqu'elles nécessitent un défrichement". Mais des députés de l'opposition ont déploré que l'interdiction ne concernait que les projets à partir de 25 hectares. Le rapporteur a proposé de retravailler la question d'ici à la commission mixte paritaire.

Un amendement du rapporteur, sous-amendé par le gouvernement, prévoit que cette interdiction "s'applique aux dossiers déposés après un délai de neuf mois" suivant la promulgation. Mais pour Delphine Batho il va envoyer le mauvais message : "Dépêchez-vous de déposer des nouveaux dossiers pour raser des forêts".

Plus de ristournes sur les factures des riverains d'installations d'EnR

Avec l'aval inattendu du gouvernement, l'Assemblée a supprimé jeudi le principe de ristournes sur les factures en faveur des riverains d'installations d'énergies renouvelables. Les députés ont voté des amendements remaniant le régime qui était proposé de "partage territorial de la valeur des énergies renouvelables" qui visait à en faciliter l'acceptabilité. Les ristournes sont "un point de blocage" car la "péréquation" nationale des prix de l'énergie est "un bien précieux", avaient averti les députés socialistes, par la voix de Marie-Noëlle Battistel. Leurs alliés PCF, EELV et LFI y étaient également très défavorables, pointant "une fausse bonne solution". "Cela revient à dire qu'un parc d'énergies renouvelables est un dommage qu'il faudrait indemniser", a souligné l'insoumise Clémence Guetté. La droite avait aussi évoqué "un article flou" du projet de loi : "la partage de la valeur" ressemble à "l'achat du consentement", selon Jérôme Nury (LR). Pour Nicolas Meizonnet (RN), il faudrait "une vraie indemnisation" et non des ristournes "dérisoires".

"Beaucoup ont interrogé ce retour aux habitants" et "il faut en tenir compte", a donc déclaré Agnès Pannier-Runacher, s'en remettant à la "sagesse" de l'Assemblée. Elle a proposé de privilégier le financement de projets par les producteurs d'énergies renouvelables : pour les territoires, et nationalement pour la protection de la biodiversité. Les députés ont validé des amendements gouvernementaux prévoyant de rendre obligatoire à partir de juin 2024 le financement de ces fonds, dont les modalités seront fixées par décret. Les socialistes ont fait préciser que les communes, par le biais des fonds territoriaux, pourront aider des ménages modestes souffrant de précarité énergétique.

Dans la dernière ligne droite en soirée, les députés ont adopté des amendements pour raccourcir le délai de raccordement des installations renouvelables d'électricité, ou fixer l'objectif d'un mix de production d'électricité en outre-mer composé de 100% d'ENR en 2030.

  • Les intercommunalités regrettent de ne pas avoir été suffisamment prises en compte

Dans un communiqué diffusé ce 15 décembre, Intercommunalités de France regrette que le rôle structurant des EPCI en matière de planification écologique, d’urbanisme et d’aménagement du territoire n'ait pas été suffisamment pris en compte dans le projet de loi. Les élus appellent donc "solennellement" le gouvernement et le Parlement à reconsidérer la place que doivent avoir les intercommunalités dans le choix des zones d’accélération pour l'implantation des énergies renouvelables. "Dans la version du projet de loi issue des échanges à l’Assemblée nationale, il revient aux communes d’identifier ces zones d’accélération et aux référents préfectoraux d’arrêter leur cartographie à l’échelle du département, relève l'association. Les intercommunalités, lorsqu’elles sont compétentes en matière d’urbanisme, sont simplement informées des zones identifiées par les communes." Lorsqu’elles ne sont pas compétentes en matière d’urbanisme et en présence de SCoT (schéma de cohérence territoriale), elles ne sont pas même informées." Pour "assurer la cohérence des politiques publiques aussi bien en urbanisme qu’en matière de production énergétique", Intercommunalités de France demande donc à ce que les intercommunalités compétentes en matière d’urbanisme soient "consultées formellement" sur la définition de ces zones. "Le processus actuel est en outre tellement complexe et associe tellement d’acteurs que le projet de loi sur les énergies renouvelables risque de produire l’inverse de ce qu’il est censé faire : ralentir le déploiement des énergies vertes, à l’heure où les coûts de l’énergie explosent et que les défis environnementaux sont plus forts que jamais", met en garde l'association.