Eragny-sur-Oise (95) cultive la mixité entre élus

Elue maire en 2001, Dominique Gillot a rapidement fait de la parité un levier de transformation du travail municipal. Au sein de son conseil, elle a mis en place une répartition des tâches qui établit l'équilibre entre hommes et femmes.

L'aspect le plus spectaculaire de la parité à Eragny-sur-Oise (Val-d'Oise, 15.000 habitants) porte sur l'alternance entre femmes et hommes au sein de l'exécutif : le maire est une femme, le premier adjoint un homme, et ainsi de suite. Mais la prise en compte de la parité ne se résume pas à la composition de l'exécutif : "L'important dans les responsabilités électives est de s'en tenir à une règle simple : rechercher d'abord la compétence, souligne Dominique Gillot, maire de la commune et auteur du rapport de 1999 qui déboucha sur la loi sur la parité. Un dossier, une responsabilité ne sont supposés techniques qu'aux yeux des hommes qui pensent ainsi nous écarter. Je crois au contraire qu'aucun domaine n'est réservé. Du coup, je ne fais aucune distinction entre hommes et femmes."
Dominique Gillot cite l'exemple de l'adjointe à la qualité de la vie, une femme dotée et d'une forte sensibilité à ces sujets et d'une expérience d'écologiste : "Très active et impliquée dans les dossiers, elle suscite aujourd'hui le respect de nos fournisseurs en discutant d'égal à égal", relève le maire, qui ne cantonne pas les femmes aux seuls dossiers sociaux et fait de la mixité un élément de dynamique interne. "Notre adjoint à l'urbanisme, un homme en charge du développement urbain, suit souvent des dossiers en parallèle avec la responsable de la qualité de la vie, leurs sensibilités s'additionnent. Hommes ou femmes, il n'y a d'élus que plus ou moins compétents ou plus ou moins impliqués."

Moins formelles et plus concrètes ?

Ces responsabilités données aux femmes entraînent des modifications du travail municipal. "Les femmes se montrent plus réalistes, justifie Dominique Gillot. J'ai une conseillère dans la commission sociale qui intervient aussi pour une bonne utilisation des deniers publics en commission des finances car cela lui paraît naturel, alors qu'un homme soupèserait l'implication politique et finalement renoncerait à prendre la parole." La femme s'intéresserait donc moins à la politique comme tribune que comme réalité. "Elle se montre moins comédienne mais c'est peut-être trop s'avancer, poursuit Dominique Gillot. En tout cas les femmes s'investissent davantage sur des problèmes à résoudre que pour une place à prendre. Elles prennent moins la pose, une attitude qui finit par gagner toute l'équipe !"
Autre exemple à Eragny, celui d'un dossier plus traditionnellement dévolu aux femmes : l'éducation. Ici, son intitulé est "éducation et préparation de l'avenir". L'adjoint en charge du dossier y développe une vision globale à long terme : de la naissance, donc des modes de garde, aux premiers exercices de citoyenneté (inscription sur les listes électorales) en passant par les écoles et les dossiers jeunesse. "Je reste convaincue qu'une femme est mieux à même dans une municipalité de dégager ce type de perspectives, de ne pas faire de distinction justement entre dossiers techniques ou non techniques, court et moyen termes, gestion et politique", plaide Dominique Gillot.

La mixité s'arrête aux limites de la commune

Sur le long terme justement, l'arrivée de femmes aux responsabilités et la prise en compte de la mixité permettent aussi de résoudre des problèmes plus concrets de la vie quotidienne des élus, à l'instar de la garde de leurs enfants. Des gardes sont ainsi prévues à Eragny à l'occasion de réunions importantes, en interne ou avec la population. Il n'est pas rare non plus qu'une femme ou un homme se fasse remplacer parce que c'est à son tour de veiller sur sa progéniture.
La mixité a aussi des effets au-delà du noyau dur de l'exécutif et se diffuse sur la ville. Dominique Gillot cite ainsi les récentes grèves d'enseignants, où la mairie a organisé des gardes d'enfants pour que personne ne soit lésé dans la ville, tout en restant solidaire du mouvement. Enfin, et surtout, l'expérience de la parité à Eragny se veut le point de départ pour amener davantage de femmes aux responsabilités et contribuer à changer les comportements en politique. "Quand nous avons désigné nos délégués au conseil de communauté, sur les six postes attribués, j'avais choisi de désigner quatre femmes. Pour moi, c'était naturel. Encore une fois nous l'avons fait en fonction des seuls dossiers à défendre et des compétences de nos délégués." L'exemple reste cependant isolé, car au niveau de la désignation des délégués communautaires, aucune obligation légale en faveur de la parité n'existe. "Les hommes reproduisent alors leur système habituel de pouvoir et se retrouvent entre eux", déplore Dominique Gillot.

Didier Barathon / Verbe online pour Localtis

"La mixité porte sur la reconnaissance et l'implication des femmes dans la vie municipale"

Maire d'Eragny-sur-Oise, Dominique Gillot est aussi l'auteur du rapport sur la parité réalisé en 1999.

Avec la parité aux dernières élections municipales de 2001, les femmes ont-elles obtenu davantage d'influence ?

Je reste plus que jamais partisane de la parité, le seul moyen d'imposer les femmes au pouvoir, mais cet aspect purement mathématique du problème est insuffisant pour inscrire l'influence des femmes dans la durée. Une influence qui dépend beaucoup des personnalités et des équipes en place : certaines s'avèrent très riches et très volontaristes, d'autres, l'écrasante majorité, beaucoup moins. Il faut reconnaître que les mauvaises habitudes reprennent. La plupart des équipes municipales se contentent d'appliquer la loi sur la parité sans plus. Une fois l'élection passée, elles oublient le sujet. Je préfère d'ailleurs le mot de mixité à celui de parité. La parité est indispensable pour donner le coup d'envoi d'une transformation en profondeur et laisser place à la mixité, notion plus qualitative qui porte sur la reconnaissance et l'implication des femmes dans la vie municipale sur toute la mandature et au-delà.

Comment obtenir une nouvelle progression du pouvoir des femmes dans les collectivités locales ?

Je dois rappeler qu'à l'occasion du rapport publié en 1999, nous avions prévu une progression de la parité par paliers. Cette mesure, très délicate à appliquer, n'a pas été retenue par le législateur, mais fut validée par des constitutionnalistes comme Olivier Duhamel. Il s'agissait d'obliger à désigner 20, 30, 40% d'élues femmes dans les différents exécutifs de manière à amplifier le mouvement engagé avec la composition des listes électorales. En quelques années, au fil des mandats, cette mesure aurait permis d'obtenir, non seulement la représentation des femmes dans les conseils municipaux mais surtout, à un deuxième stade, leur accès obligé aux exécutifs locaux. Ce deuxième volet de la parité fait toujours défaut, les femmes n'accèdent au pouvoir que de manière très aléatoire.

Vous sentez-vous isolée à Eragny dans votre conception de la mixité ?

C'est malheureusement une évidence. Actuellement, la parité s'appliquant uniquement dans la composition des listes, la désignation du bureau du conseil municipal est libre. On peut donc se retrouver avec toutes les femmes conseillères, et tous les postes d'adjoints, ou leur grande majorité, attribués à des hommes ! De même, la représentation des élus aux conseils de communauté et la composition de l'exécutif des EPCI ne sont soumises à aucune obligation. Il y a pour le moins un pan entier de la parité qui est à travailler. Les mentalités et les comportements n'évoluent pas si facilement et beaucoup de femmes en viennent à se décourager.

La parité est-elle en panne ?

La parité n'entraîne pas massivement les effets escomptés. Seul le premier stade, celui de la composition des listes aux élections locales et des candidatures aux législatives, est respecté. Et encore...

Comme l'explique Dominique Gillot, rien n'oblige un exécutif local à intégrer des femmes, rien ne l'oblige à désigner des femmes dans les EPCI ou dans les divers syndicats et regroupements. Rien n'oblige non plus un parti à présenter des femmes dans des circonscriptions éligibles. Les partisans de la parité sont même sur la défensive et obligés de compter avec ses effets pervers. D'abord en termes de sanctions : on le sait, un parti qui ne présente pas suffisamment de femmes encourt des sanctions financières. Or, si les petits partis, aux moyens limités, ont suivi scrupuleusement la loi, les plus grands s'en sont en partie dispensés. Avec 36,13% de femmes candidates aux dernières législatives, le PS a dû débourser 1,3 million d'euros. L'UMP, qui ne présentait que 13,9% de candidates, a été sanctionnée à hauteur de 4 millions d'euros.
Les échéances régionales et cantonales de mars prochain ont peu de chances de modifier la situation. Deux régions seulement sur vingt-deux - Rhône-Alpes et Poitou-Charentes - et un département sur 99 - le Calvados - ont une femme à leur tête. La situation n'est guère meilleure dans les communes, certains départements ne comptant aucune femme maire sur leur territoire.
Le sujet passe désormais largement au second plan. De fait, les espoirs fondés avec la création en 1995 de l'Observatoire de la parité et la loi sur l'égalité d'accès entre hommes et femmes aux fonctions électives de 1999 semblent loin. La féminisation de la vie politique et des pouvoirs locaux attend un second souffle. Celui-ci pourrait intervenir, soit par voie législative avec une extension de la parité, soit par un changement de mentalités qui pourrait s'appuyer sur les rares expériences engagées. C'est précisément ce à quoi s'attelle l'association Villes et Banlieues, qui projette d'organiser un séminaire sur le sujet le 8 mars prochain.

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