Escalade : malgré la loi 3DS, les maires restent frileux

La loi 3DS de 2022, qui a limité la responsabilité des gestionnaires de sites naturels pour la pratique de l'escalade, aurait dû rassurer les collectivités. Pourtant, depuis le début de l'année, les arrêtés d'interdiction de cette pratique se sont multipliés. Explications.

Plus d'un an après le vote de la loi 3DS, qui allège le régime de la responsabilité en cas d'accident dans un espace de sport de nature, les collectivités territoriales sont loin d'être rassurées et se montrent parfois réticentes à s'engager pleinement en faveur de la pratique de l'escalade sur leur territoire. Partout en France, on a vu cette année se multiplier les arrêtés d'interdiction de ce sport.

Pour comprendre les enjeux, il faut remonter à 2010, année où un guide de haute montagne et sa compagne sont victimes d'un grave accident à la suite de la chute d'un bloc rocheux sur un site d'escalade de la commune de Vingrau (Pyrénées-Orientales) dont l'exploitation avait été confiée par la commune à la Fédération française de montagne et d'escalade (FFME) par une convention d'usage, laquelle disposait que la FFME serait responsable de l'entretien et du maintien en l'état du site ainsi que gardienne de celui-ci. Condamnés en 2016 par le tribunal de grande instance de Toulouse à payer la somme de 1,18 million d'euros aux victimes, la FFME et son assureur cherchent alors à faire reconnaître la responsabilité de la commune de Vingrau. L'affaire trouve son épilogue en juillet 2020 quand la Cour de cassation condamne définitivement la FFME et son assureur et affirme avec force l'application de l'article 1242 du Code civil dans le domaine des sports de nature : "L'absence de faute du gardien [du site] ne lui permet pas d'échapper aux conséquences de [sa] responsabilité."

Vague de déconventionnements

La FFME et son assureur anticipent toutefois cette décision, et le second, menaçant de ne plus couvrir les risques, demande à la première de dénoncer les conventions d'usage des sites d'escalade qui la lient à des collectivités ou des propriétaires privés. Début 2020, la FFME décide le déconventionnement de quelque 650 sites avant le 31 décembre 2022. Parallèlement à ce transfert aux propriétaires de la garde du site, et donc de la responsabilité sans faute, la FFME leur propose un contrat d'entretien des falaises, parfois très coûteux.

Pour les collectivités concernées, cette décision a une double conséquence : elles se trouvent en première ligne en matière de responsabilité en cas d'accident et doivent dorénavant prendre en charge, directement ou non, l'entretien des sites. Pour certaines d'entre elles, le choix a été d'interdire purement et simplement l'escalade dès 2022. Comme plusieurs petites communes rurales, Brison-Saint-Innocent (Savoie) met ainsi en cause "le risque juridique grave encouru par la commune en raison du désengagement de la FFME" ainsi que des "moyens humains, techniques et financiers [qui ne lui] permettent pas d'assurer l'entretien et le contrôle des sites" pour interdire la pratique de l'escalade sur l'ensemble de son territoire. Le conseil départemental de la Vendée suit le même chemin et justifie sa décision par le fait que "la FFME a dénoncé la convention de gestion [d'un] site pour la pratique de l'escalade et que la gestion des équipements installés par les clubs affiliés ne peut être assurée par le département".

Acceptation du risque

Devant cette impasse, il faut faire évoluer le droit. Début 2018, à la suite de l'affaire de Vingrau, le Sénat adopte une proposition de loi disposant que "les dommages causés à l'occasion d'un sport de nature ou d'une activité de loisirs ne peuvent engager la responsabilité du gardien de l'espace, du site ou de l'itinéraire dans lequel s'exerce cette pratique pour le fait d'une chose qu'il a sous sa garde" (voir notre article du 1er février 2018). Mais ce texte ne sera jamais examiné par l'Assemblée nationale. En cause : l'exonération totale du gardien du site qui laisse sans recours la victime d'un accident.  

Une avancée législative a finalement lieu en février 2022 avec l'adoption de l'article 215 de la loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification). Le législateur réintroduit alors l'acceptation des risques dans la pratique sportive en disposant que "le gardien de l'espace naturel dans lequel s'exerce un sport de nature n'est pas responsable des dommages causés à un pratiquant, sur le fondement du premier alinéa de l'article 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d'un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée".

Face à cette nouvelle donne, la FFME estime toutefois qu'en tant que gardienne d'un site, elle "pourra toujours voir sa responsabilité sans faute recherchée (même partiellement) et restera exposée". De leur côté, de nombreuses collectivités ont fait le même calcul et les arrêtés d'interdiction de l'escalade se sont multipliés depuis le début de l'année 2023. La loi 3DS fait en effet toujours peser la menace de la responsabilité sans faute puisqu'il reviendra au juge d'apprécier le caractère "normal et raisonnablement prévisible" du risque, autrement dit, il devra apprécier le comportement du pratiquant mais aussi l'aménagement du site (installations, entretien, signalétique, etc.). En tout état de cause, la première décision de justice en la matière donnera le ton… et redonnera, ou non, confiance aux collectivités.