Handicap / Citoyens - Etre handicapé et vivre de prestations sociales n'empêche pas d'être naturalisé
Un arrêt du Conseil d'Etat remontant à quelques semaines apporte des précisions importantes sur le lien entre handicap, prestations sociales et naturalisation. En l'occurrence, deux ressortissants marocains, nés respectivement en 1983 et 1993, demandaient leur naturalisation. Une demande refusée par le ministre de l'Intérieur, au motif que les intéressés ne disposaient pas de revenus personnels et ne subvenaient à leurs besoins qu'à l'aide de prestations sociales (AAH et allocation logement).
Des positions antagonistes
Dans un premier temps, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du ministre de l'Intérieur. Mais, saisi à son tour d'un recours, la cour d'appel administrative de Nantes a annulé les décisions du tribunal administratif et donné ainsi raison au ministre. Il revenait donc au Conseil d'Etat de trancher ente ces deux positions antagonistes.
Dans ses arrêts confirmant la position ministérielle, la cour administrative d'appel de Nantes avait "souverainement constaté que les ressources des intéressés n'étaient constituées, à la date des décisions contestées, que de l'allocation aux adultes handicapés et de l'allocation de logement ou de l'aide personnalisée au logement et qu'ils ne pouvaient pas travailler en raison de leur handicap [...]". Au vu de ces constatations souveraines, la cour administrative d'appel avait considéré "que le ministre avait pu, sans illégalité, opposer aux intéressés la nature de leurs ressources" et donc refuser la naturalisation.
Un large pouvoir d'appréciation, mais pas sans limites
La décision du Conseil d'Etat prend le contrepied de cette position. L'arrêt estime en effet qu'en jugeant ainsi, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. L'arrêt rappelle certes que "l'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation ; qu'elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France".
Mais, malgré ce pouvoir d'appréciation assez large, "l'autorité administrative ne peut, en revanche, se fonder exclusivement ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni sur le fait que les ressources dont dispose l'intéressé ont le caractère d'allocations accordées en compensation d'un handicap, pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française". En d'autres termes, le handicap et la dépendance à des prestations sociales peuvent être un élément de la décision, mais ne peuvent suffire à fonder cette dernière.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : Conseil d'Etat, 2e et 7e chambres réunies, arrêt n°389399 du 11 mai 2016.